Un journaliste en Algérie peut allégrement critiquer, parfois très sévèrement, le président de la République ou se payer la tête d'un ministre alors qu'il n'est même pas déclaré dans son propre journal. Il y a également de jeunes journalistes, souvent par naïveté, qui osent écorcher le DRS, alors même qu'ils perçoivent un salaire sans commune mesure avec leur « courage » et le poids des missions qui leur sont confiées. On peut évidemment multiplier à l'envi ces tares qui collent à ce jour à la presse nationale. Cette fausse grandeur professionnelle cache mal l'insondable précarité sociale dans laquelle évolue le journaliste algérien, propulsé malgré lui au-devant de la scène. Il est, en l'occurrence, au cœur du débat sur la profession. Est-il, en effet, concevable de poser des questions aux allures philosophiques sur la liberté d'expression quand le journaliste censé en jouir boucle difficilement ces fins de mois ? Faut-il jeter à chaque fois la pierre à ces « brebis galeuses » qui tentent de démystifier les impostures et les gabegies des responsables à quelque niveau qu'il soit ? Qu'ont donc fait les autorités pour prémunir le journaliste contre toute forme de manipulation ? Rien ou presque. Dans un pays où les gens des médias n'ont même pas de statut pour sauvegarder leurs intérêts moraux et matriciels, il n'est sans doute pas de bon ton de les accabler sur les dommages collatéraux que pourraient provoquer leurs écrits, parfois difficilement assumés. Tout se passe comme si le pouvoir redécouvre de l'intérêt pour la corporation uniquement quand il a besoin de ses services en fonction de ces projections immédiates. Le journaliste algérien est mal payé, plutôt sous-payé, mal logé ou pas du tout logé. Et plus grave encore pour certains, même pas couverts par la sécurité sociale comme tout travailleur ! Ce constat malheureux, du reste connu de tous, n'a curieusement jamais ému nos honorables ministres de la Communication qui se sont succédé et qui ont tous péché par une inaction qui en dit long sur la virginité de leur ordre de mission qui a toujours consisté en la reconduction… du statu quo. Depuis plus de six années qu'on parle d'amender le code de l'information, de promulguer une loi sur la publicité, une autre sur l'audiovisuel, mais point de concret. Le pouvoir de Bouteflika a été capable de pondre une loi sur l'amnistie des terroristes avec toute la sensibilité du sujet, mais rechigne inexplicablement à encadrer juridiquement une profession dont on a strictement rien à inventer sinon que d'adopter les standards internationaux en la matière. Devant ce constat de carence, certainement voulu, le secteur de la presse est devenu un grand bazar où l'intelligence a cédé la place au commerce. Où la liberté de flatter a pris le dessus sur la liberté de blâmer à contresens de la géniale formule de Beaumarchais. Tel un boomerang, ce tableau de bord peu reluisant, façonné aussi par le pouvoir, lui est revenu au visage. A trop vouloir fabriquer une presse docile et obéissante pour contrer celle qui tente de lui apporter la contradiction, le pouvoir a fini par projeter son image dans la médiocrité. Quand on autorise la création de petits journaux à tour de bras et qu'on les arrose généreusement de la publicité institutionnelle pour tenter d'étouffer maladroitement les voix discordantes des autres, ce n'est sûrement pas un service qu'on rend à la démocratie. C'est dire en définitive que le pouvoir politique en Algérie est coupable d'avoir abandonné le journaliste à son triste sort mais surtout d'avoir imposé un champ médiatique absolument sans relief.