La question de l'augmentation des salaires avait fini par prendre des allures de mauvais film à suspense ayant tenu en haleine des milliers de travailleurs algériens. En organisant une bipartite (sur instruction de Bouteflika, tient-on à préciser), le gouvernement a mis fin à une étourdissante valse-hésitation. Qu'est-ce qui a bien pu motiver une telle décision ? Marketing politique avant l'annonce d'une révision de la Constitution ? Volonté d'appuyer publiquement le nouveau chef du gouvernement ou réelle volonté d'améliorer les conditions de vie des Algériens en envoyant au diable toutes les thèses martelées jusque là sur les risques d'une augmentation de salaires sur l'économie algérienne ? Le fait est que le président Bouteflika annoncé que l'Etat a alloué une enveloppe financière supplémentaire de 98 milliards de dinars pour la revalorisation des salaires dans les entreprises et les administrations publiques. Après des mois d'attente d'une tripartite reportée sine die, après qu'on eut longuement expliqué aux travailleurs qu'une augmentation des salaires était impossible à l'heure actuelle du fait qu'elle doit coordonner avec le triptyque " productivité, croissance, inflation" et après des mois de lutte des syndicalistes autonomes (enseignants, médecins spécialistes, vétérinaires…) et des millions de journées de travail perdues, voilà qu'on décide d'augmenter des salaires. Et alors que l'UGTA et le ministère du travail faisaient- volontairement ou involontairement- traîner ce dossier en longueur, ils semblent mettre aujourd'hui un point d'honneur à accélérer la cadence. Le secrétaire national de l'UGTA a même annoncé que le groupe de travail a finalisé son rapport avant l'échéance arrêtée par le ministre du Travail. Qu'en est-il des thèses exprimées sur les incidences d'une augmentation de salaires sur l'économie nationale ? « Oui, mais… » L'ancien chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, justifiait son refus par des arguments qui semblaient tenir la route. Même des économistes partageaient -en partie- cet avis. Mohamed Saib Musette, maître de recherche au Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) a estimé qu'une importante augmentation de salaires pourrait mener à d'autres problèmes du fait que la politique salariale souffre de nombreuses incohérences. " Depuis les années 80, dit-il, l'Etat n'établit plus d'études de poste pour savoir si les salaires sont justes. Malgré les nouvelles technologies qui sont apparues, le système est resté figé depuis plus de 20 ans. Le calcul du point indiciaire de la Fonction publique n'a pas bougé. L'on a gonflé les salaires par les primes mais il y a un véritable problème de fond qui se pose ". Avant de procéder à une augmentation de salaires, l'Etat devrait, d'après le chercheur du Cread, entamer une série de démarches pour " assainir " l'administration. Avec plus de 1,3 million fonctionnaires et seulement 200.000 travailleurs dans le secteur public économique, l'Etat est le plus grand employeur. Les experts du Fonds monétaire international (FMI) justifient leur " niet " par le fait que l'économie algérienne ne pourrait supporter une telle charge. " Si l'augmentation est très importante, la compétitivité va diminuer et il sera très difficile à l'entreprise de faire face à la concurrence extérieure. Nous ne sommes pas contre l'augmentation des salaires mais il faut savoir que s'il n'y a pas une gestion prudente de l'argent du pétrole, l'inflation serait inévitable ", assène M. de Vrijer, l'un des responsables du FMI. L'organisation de Bretton Woods relève dans l'un de ses rapports élaboré en mars dernier, qu'en dépit " des coûts de main-d'œuvre absolus peu élevés de l'Algérie, les entreprises ne jouissent pas d'un avantage en matière de coût en raison de la faible productivité de la main-d'œuvre ". Les experts du FMI estiment ainsi que dans la dans la mesure où le salaire brut en Algérie correspond à environ 40% du salaire brut de certains pays comme la Hongrie, la Pologne, la République tchèque et la Slovénie et que le PIB par heure ne correspond qu'à environ 25% dans ces pays, il est important que les futures augmentations de salaires soient accompagnées d'une hausse de la productivité ". Viscéralement pour La hausse des salaires induira-t-elle une augmentation de la productivité ? Indéniablement, d'après les syndicalistes. Des économistes algériens estiment, par ailleurs, qu'un pays qui carbure à 64 milliards de dollars de réserves de changes et qui affiche un important taux de croissance ne peut pas laisser le niveau des salaires aussi bas. L'économiste Aït Amara, ne comprenait pas que le SNMG algérien soit à 10.000 DA (100 euros environ), contre de 224 DT en Tunisie (150 euros) et 2000 DH au Maroc (200 euros), alors que le PIB par habitant est de 3000 dollars en Algérie, 2600 dollars en Tunisie et 2000 dollars au Maroc. " Cette différence n'est pas due, constate-t-il, à un pouvoir d'achat du dinar algérien peu élevé. Le pouvoir d'achat de la monnaie est le même pour les trois pays (rapport PNUD 2005). En d'autres termes, le SMIG marocain en pouvoir d'achat, représente le double du SNMG algérien ". Une enquête réalisée par l'UGTA avait, pour rappel, indique que le budget minimum d'une famille type algérienne (7 personnes) est de l'ordre de 24.790 DA, 240 euros, (16.6% de plus que le MMIG marocain). Comble de l'ironie, en Algérie, ce sont les patrons qui réclament une augmentation des salaires ! Convaincu que cette augmentation de salaires entraînera boostera la consommation des ménages, Habib Yousfi, patron de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA) estime qu'elle aurait également des répercussions "positives" sur les entreprises privées, appelées à produire plus pour répondre à une nouvelle demande. . "Si le citoyen a un bon pouvoir d'achat, la demande va augmenter et les entreprises qui produisent des biens et services vont produire plus et vendre plus pour la satisfaire", fait-il observer. Pour les travailleurs, cependant, l'annonce d'une augmentation n'a pas provoqué de fervents engouements. Les syndicalistes autonomes considèrent le verre à moitié vide. Mais alors que les responsables de l'UGTA voient le verre à moitié plein, ceux des syndicats autonomes considèrent, eux, le verre à moitié vide. " Nous avons demandé une augmentation principale des salaires afin de vivre décemment. Une augmentation conséquente qui permet d'améliorer les conditions socioprofessionnelles de l'enseignant, en, vain ", a déclaré récemment, Redouane Osmane, secrétaire général du syndicat des enseignants du secondaire CLA. L'enseignant syndicaliste a sa propre lecture de la décision d'augmenter les salaires. " En haut lieu, assène-t-il, ils ont des préoccupations. Ils (les décideurs), ont des échéances politiques à préparer et dans ce sillage, ils ne veulent pas de perturbations ni de grogne sociale". En tout cas, pour l'instant, tout se déroule comme l'avait prévu le nouveau chef du gouvernement. Dans une récente déclaration radiophonique, Abdelaziz Belkhadem a déroulé son scénario. Il avait, en effet, expliqué que la première étape de l'augmentation des salaires sera de pallier au plus urgent et concernera uniquement 1.5 million de fonctionnaires. La seconde étape, a-t-il dit, englobera tous les secteurs d'activités, public et privé, et consistera en la révision du salaire national minimum garanti (SNMG). Il affirme, par ailleurs, que le statut de la Fonction publique pourrait être promulgué par ordonnance présidentielle entre les deux sessions du parlement. " L'on augmente les salaires d'un coté, et les charges de l'autre. Juste après l'annonce de l'augmentation des salaires, l'on aura une annonce d'augmentation des tarifs de l'électricité, du gaz…c'est du pareil au même ", nous dit un travailleur de la fonction publique. La bipartite n'y changera rien. La complainte des portefeuilles vides devrait, selon lui, se poursuivre…