Poète, romancier et journaliste, Tahar Djaout était aussi un fin connaisseur du monde de la peinture algérienne qu'il a accompagné par ses articles, ses entretiens et ses critiques journalistiques. Dans sa riche production de journaliste culturel qui s'étale sur près de deux décennies, les arts plastiques sont la discipline la mieux représentée avec la littérature. Entre son premier compte rendu d'une exposition de Martinez dans El Moudjahid Culturel en 1976 et ses derniers portraits de jeunes artistes dans Algérie Actualité à l'aube des années 90', Djaout n'a cessé de scruter les tendances, les développements et les impasses qu'a connus la scène picturale en cette période charnière, tant sur les plans politique et économique que culturel de l'Algérie. L'ensemble de ces articles touchant aux arts plastiques a été regroupé en un beau livre édité par les éditions Kalima sous le titre Une mémoire mise en signes (écrits sur l'art). Un document précieux pour l'histoire de l'art en Algérie. Les critiques, entretiens et enquêtes de Djaout, réunis par Michel Georges Bernard, qui a déjà consacré plusieurs écrits à ce sujet, nous offrent une vue d'ensemble de l'évolution de la peinture algérienne moderne entre les grandes figures des fondateurs, encore en activité alors, et les nouvelles expérimentations des jeunes artistes qui s'affirmaient progressivement à l'ombre des premiers. Les concepteurs de l'ouvrage ont opté pour un ordre thématique plutôt que chronologique dans la présentation des articles, mais la préface de Hamid Nacer-Khodja et la postface de Michel Georges Bernard, ainsi que les notices biographiques des artistes cités permettent de replacer les textes dans leur contexte. De par leur densité et leur continuité, ces articles nous permettent de retrouver les tendances artistiques importantes de leur époque. Tahar Djaout a vécu l'effervescence de la peinture du signe post-Aouchem, avec ses réussites et ses limites, il a analysé la crise multifactorielle des années 80' et a porté les espoirs de renouveau de 1988. Djaout n'est certes pas un critique d'art professionnel, mais son instinct de poète, sa large culture et ses idéaux culturels lui ont permis de naviguer avec assurance dans le monde des arts plastiques. Il militera pour une peinture libérée de tous les carcans, y compris celui de «l'authenticité» qui tournait souvent à une folklorisation et celui de l'engagement «révolutionnaire» quand il se résumait à des slogans vides de sens pour artistes en mal d'inspiration. Sur la trentaine d'articles réunis, on notera que Djaout évoque surtout les artistes qu'il aime et qu'il admire, s'attardant très peu sur les autres. Le critique fait part plutôt de ses admirations que de ses déceptions et ne signale les faiblesses d'une œuvre qu'allusivement. Son exigence d'honnêteté intellectuelle et son respect du métier de journaliste (même s'il disait le considérer comme un simple «gagne-pain») l'amèneront à multiplier les entretiens et les enquêtes sur le terrain afin de donner l'image la plus fidèle de son sujet. Deux événements balisent la période que recouvrent les articles de Djaout, comme le note Hamid Nacer-Khodja dans sa préface : la consécration de Martinez par sa première rétrospective en 1976, et le décès de Mohamed Khadda en 1991. Ces deux artistes occupent justement une place particulière dans ses écrits et sa carrière journalistique et littéraire. (Suite en page 12)