Le maintien du ministère de la Communication est «anachronique», juge l'auteur du livre Presse, pouvoir et intellectuels en Algérie. M. Brahimi rappelle, si besoin est, que l'ère de la propagande est «révolue». -Des journaux n'ont pas été imprimés, hier, en raison du non-paiement des créances à l'imprimeur public. S'agit-il d'un chantage «politique» ou simplement de l'application de règles commerciales qui lient les entreprises de presse aux sociétés d'impression ? Il faut rappeler que la presse écrite est passée du harcèlement administratif, policier et judiciaire – où nous avons assisté à des procès en cascade contre des journaux au ton libre et critique – à des pressions économiques qui s'expriment à travers la manne publicitaire publique et l'impression. Il faut relever que depuis juin 2001, certains journaux ont réussi à échapper à ces pressions en se dotant de sociétés d'impression. Je parle des quotidiens El Watan et El Khabar qui sont de véritables SPA avec comme actionnaires des journalistes. Ensuite Le Quotidien d'Oran s'est doté de sa propre imprimerie. Ces journaux, qui ont assuré leur indépendance économique, échappent ainsi au chantage du pouvoir politique. D'un autre côté, nous avons environ 150 journaux inscrits au ministère de la Communication, dont 132 paraissent régulièrement. Si certains travaillent dans le sens de l'intérêt public, la plupart des titres de la presse écrite à faible tirage appartiennent à des groupes occultes arrosés par la manne publicitaire publique dont la vocation est la propagande. -Pourquoi le champ médiatique baigne depuis des années dans une anarchie étouffante ? En effet, le secteur médiatique est englué dans une telle confusion, qu'il est difficile d'y voir clair. La multiplicité des titres n'est pas une mauvaise chose pour peu qu'elle permet à tous les courants d'opinion de s'exprimer. Ce n'est pas le cas, en raison d'absence de règles clairement définies qui ont pour objectif final la liberté de la presse et d'expression. En matière de lois, j'observe un énorme recul. Mohamed Seddik Benyahia était nettement en avance par rapport à aujourd'hui. On assiste, depuis des années, à une permanence d'enfermement et d'embrigadement du champ médiatique. -Le portefeuille de la Communication vient de changer de titulaire à la faveur du dernier remaniement ministériel, signe d'une instabilité chronique. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ? Cela pose fondamentalement la question du sens que l'on donne à ce département. Nous sommes l'un des rares pays au monde où il existe encore un ministère de l'Information et de la Communication et six quotidiens gouvernementaux. C'est anachronique. Une aberration. Cette situation est due au fait que le pouvoir politique refuse de passer du droit à l'information au droit à la communication. Malgré les annonces de réforme d'avril 2011 appelant à l'ouverture du champ médiatique audiovisuel, la loi organique du 12 janvier 2012 vient pour verrouiller.Cela dénote de la volonté du pouvoir politique de garder une mainmise sur les médias. Nous devons comprendre que le ministère de l'Information ne sert absolument à rien. L'ère de la propagande est révolue et l'initiative prise par le nouveau ministre pour l'établissement de la carte professionnelle des journalistes en est la preuve. -Comment ? Pouvez-vous être plus explicite ? La composition de la commission de la carte nationale de la presse renseigne sur les intentions des autorités politiques. Elle est composée de douze membres, dont six sont des représentants des ministères de la Communication, de l'Intérieur, de la Justice, du Travail, des Affaires étrangères et des Finances. Alors que la corporation est sous-représentée. Quatre journalistes et deux représentants des éditeurs. La logique aurait voulu que la carte nationale de presse soit établie exclusivement par la corporation, journalistes et éditeurs, et à charge des autorités publiques de veiller à l'application de la loi. La presse doit s'organiser et se réguler d'elle-même.