Le chef de l'Etat a, en effet, signé deux décrets présidentiels portant grâce au profit des journalistes et de certaines catégories de condamnés, « détenus ou non détenus », précise un communiqué de la présidence de la République rendu public hier. Ces mesures de grâce prises à « l'occasion de la célébration du 44e anniversaire de la fête nationale de l'indépendance et de la jeunesse » viennent rectifier en quelque sorte les dispositions de la première décision prise le 3 mai dernier dans le sillage de la célébration de la Journée mondiale de la liberté d'expression et dont l'impact a été quasiment nul eu égard au nombre infime de journalistes ayant bénéficié de la mesure. Le président Bouteflika a consenti, hier, un geste en direction des journalistes condamnés dans le cadre des procès en diffamation qui leur ont été intentés par les institutions et les corps constitués. Le président de la République avait, rappelons-le, spécifié dans son décret du mois de mai que la grâce concernait les journalistes condamnés « définitivement ». Or la majorité des journalistes a fait systématiquement appel des décisions de justice, donc légalement non éligible à cette grâce. Il allait de soi que l'impact médiatique escompté à travers cette mesure s'est avéré être un véritable flop tant une dizaine de journalistes seulement aurait véritablement bénéficié de la mesure du 3 mai, contrairement aux 200 annoncés. Des indiscrétions confient même que le président de la République aurait piqué une grosse colère contre le ministère de la Justice coupable de lui avoir insuffisamment expliqué la situation juridique des journalistes poursuivis. Pis encore, des cadres de ce ministère auraient même fait les frais de cette maladresse qui a induit le président en erreur en lui faisant rater une belle opportunité de faire sensation en cette date symbolique du 3 mai 2006. Il fallait donc corriger la décision présidentielle de sorte à faire bénéficier le maximum de journalistes. M. Bouteflika ne pouvait bien sûr rater l'occasion que lui offre le 5 juillet pour rattraper le coup et offrir son cadeau à la corporation des journalistes. Une corporation avec laquelle il a souvent eu des rapports tendus. Le souci de ne pas se tromper une nouvelle fois a été tel, que l'agence officielle APS a balancé à trois reprises la fameuse dépêche annonçant la grâce pour lever toute équivoque sur les confrères concernés par cette mesure et a même envoyé un « corrigé » de la première dépêche. Des dizaines d'affaires passent à la trappe « Les mesures de grâce décidées au profit des journalistes comportent une remise totale des peines d'emprisonnement et/ou d'amende auxquelles ils ont été condamnés pour outrage à fonctionnaire, outrage à institution et corps constitué, diffamation et injure. » Bien qu'aucune précision ne soit fournie sur le nombre de journalistes qui bénéficieront de la nouvelle grâce, l'expression « remise totale des peines » suggère que Abdelaziz Bouteflika veut définitivement passer l'éponge cette fois en faisant bénéficier le maximum possible, d'autant plus que le détenu encombrant qu'était Benchicou est lui aussi libre. Par ce geste, le président entend solder ses comptes avec la presse pour, éventuellement, entrevoir de nouveaux rapports avec cette corporation qui n'ont jamais été au beau fixe depuis son fameux sobriquet de « Tayabet El Hammam » (Commère des bains maures) dont il a affublé les journalistes quelques mois seulement après son accession au pouvoir en 1999. Cette velléité de refonder les relations entre la presse et le pouvoir se voit ainsi appuyée par cette grâce qui est de nature à détendre l'atmosphère mais aussi par ce débat ouvert par le nouveau ministre de la Communication, El Hachemi Djiar, qui a affiché sa volonté d'associer les professionnels des médias à la réflexion sur les réformes à entreprendre dans ce secteur. Réformes qui passent, selon les journalistes, par l'amendement de l'actuel code pénal qui prévoit des peines de prison pour des cas de diffamation. Le communiqué de la présidence de la République ne manque pas d'ailleurs de glisser que ces mesures « confirment l'attachement de notre pays à la liberté d'expression et à la liberté de la presse et traduisent l'intérêt porté par le président de la République à la réhabilitation des valeurs de l'effort et du mérite ». Une deuxième série de mesures de grâce comportant des remises totales et partielles est prise au profit de détenus mineurs et de détenues femmes et au profit de certaines catégories de détenus condamnés définitivement ayant suivi un enseignement ou une formation sanctionnés par une réussite aux examens. Le communiqué souligne cependant que « les personnes condamnées définitivement pour atteinte à la paix et la sécurité publique, à l'intégrité physique des personnes et aux murs sont exclues du bénéfice de cette deuxième série de mesures de grâce ».