« Deux choses sont infinies : l'univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l'univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue. » Albert Einstein Auteur d'un départ calamiteux, où ils durent se qualifier au forceps, les Français sont revenus crescendo dans la compétition avec un visage moins rebutant. Du coup, l'équipe vilipendée est portée aux nues pour ne pas dire encensée. Son entraîneur Domenech, voué aux gémonies, est devenu un sorcier et l'attitude des journalistes à son égard a fondamentalement changé. C'est cela aussi les subtilités du foot où rien n'est jamais acquis. Pourtant, Domenech, longtemps « couveur » de jeunots au sein de la direction technique, avait été désigné pour renouer en 2004, la maison France. Il devait injecter le maximum de jeunes au sein de la sélection et faire oublier le lamentable passage français lors de la précédente Coupe du monde. En théorie, tout devait être chamboulé. En pratique, ce sont toujours les vieux qui sont les maîtres de cérémonie et on ne sait quel sort serait réservé à cette équipe sans leur présence. Car après un an de matches poussifs, les « vieux » étaient rappelés en force. Tant pis pour le principe, si la France a choisi le chemin inverse suivi par les grandes nations qui ont injecté le maximum de jeunes dans leur sélection. Peut-être malgré lui, Domenech a dû se plier à la réalité. Sa seule satisfaction est sans doute d'avoir eu la main heureuse en sélectionnant le jeune Franck Ribery, qui n'a jamais pensé entrer dans la cour des grands, mais qui avec son culot a agréablement surpris tout son monde. Une lueur de jeunesse dans un monde de vieux, à l'instar de l'Allemand Podolski ou encore des Espagnols, des Ninos sans pedigree, sans expérience internationale comme Reyes, Villa Torres ou Fabregas. Sans oublier les Argentins Teves Maxi Rodrigues et Messi… Je n'ai jamais eu peur Ribery est l'exception dans son équipe, surtout qu'il n'a pas effectué le parcours classique, passant comme par enchantement d'une petite division à l'élite, s'offrant le luxe de prendre part à une Coupe du monde, se jouant même de ceux qui étaient ses idoles, il n'y a pas si longtemps… En étant issu d'un milieu modeste, sans « relations », comment peut-on accéder à un tel statut, qui fait rêver déjà, dans les chaumières, tous les gamins qui pensent que la chance ne les a pas gâtés ? C'est que en plus de son statut social peu engageant, issu d'une cité populaire de Boulogne-sur-Mer, le jeune Franck a failli laisser sa peau dans un accident de voiture. Lors d'un accident de la route, son père évite de peu la collision avec un autre véhicule et freine violemment pour s'immobiliser. Le petit Franck, qui avait juste deux ans, n'avait pas de ceinture de sécurité, et passe à travers le pare-brise de la voiture. Sa vie n'est pas en danger, mais il gardera pour toujours les séquelles de cette tragédie qui lui déformeront le visage. Il devra donc vivre avec ces stigmates, avec en plus le regard des autres. Un regard de dégoût. Mais grâce au football, Franck n'est plus perçu de la même manière. Il est même idolâtré par les jeunes qui vivent dans les mêmes conditions que lui et qui savent mieux que quiconque, ce que misère veut dire. Franck s'est forgé un nom et une réputation. L'enfant du Nord s'est fait, à la force du jarret, une place au soleil, au Sud. Beaucoup de ses fans, particulièrement ceux qui vivent dans son entourage et son quartier, l'admirent comme cette jeune Française, d'origine maghrébine, précisément de Sétif, qui finira par tomber amoureuse de ce footballeur atypique et au caractère cassant. Scarface vous salue bien Elle s'appelle Wahiba et finira par l'épouser, lui donnant une fille prénommée Hizia. Musulmane, elle lui montre les bienfaits de sa religion à laquelle il va se reconvertir. Sa foi le renforcera dans ses convictions lors de son séjour en Turquie, terre d'Islam où il jouera pour l'un des clubs les plus prestigieux de ce pays, le Galatasaray en l'occurrence. Si ses farouches partisans le placent déjà comme le futur remplaçant de Zidane, son aîné de 11 ans, en équipe de France, l'homme aux cicatrices reste serein en déclarant : « L'important ce n'est pas moi, c'est l'équipe. » On l'a vu lors de ces matches de Coupe du monde, où il a apporté la fraîcheur nécessaire à un onze truffé de joueurs admis à la retraite. Son coach Domenech est catégorique. « S'il garde les pieds sur terre et ne s'enflamme pas, il pourra faire une belle carrière. Je lui ai donné sa chance, il l'a saisie et n'a pas déçu. C'est cela l'essentiel et cela prouve que je ne me suis pas trompé dans mes choix. » Cet accident ne l'a pas empêché de s'adonner à sa passion de toujours : « Le ballon rond, un exutoire idoine à évacuer son trop-plein d'énergie et de rage de vivre. » Il était tellement impulsif, raconte un de ses amis, que ses comportements ne plaisaient pas à tout le monde. A commencer par le directeur du centre de formation de Lille, que Franck a intégré à 16 ans et duquel il fut vite viré, car son profil ne répondait pas à la discipline imposée du groupe. Ribery connaîtra sa période de vaches maigres, en allant quêter à droite et à gauche un club qui réponde à ses ambitions affichées et qui ne sont pas moins que de jouer aux côtés des grands. Le jeunot a dû patienter, car ses passages à Ales et Brest ne seront qu'une petite parenthèse où le joueur qu'il est ne peut se satisfaire du niveau national. Ce jeunot va vadrouiller pour trouver chaussure à son pied, mais ce sont des véritables aventures que Franck a vécues à Metz ou à Galatasaray où les supporters l'avaient pourtant adopté. Marqué par un autre natif de Boulogne-sur-Mer, le célébrissime J-P. Papin qui avait fait les beaux jours de l'OM, Franck ne pouvait atterrir qu'aux abords de la Canebière, même si cet atterrissage a eu ses côtés douloureux. Sa venue coïncidait avec le départ de l'idole des Phocéens, l'Ivoirien Didier Drogba qui avait su donner des ambitions au public du Vélodrome. Mais avec les dons dont il a le secret, Franck fera presque oublier le baroudeur du Vieux Port. Ses qualités d'accélération, de provocation, sa détermination, son opportunisme en font un joueur offensif ultra complet, estime son directeur sportif José Anigo. Les Marseillais, toujours aussi exubérants, peuvent arrêter de regarder les matches de Chelsea maintenant qu'ils ont « leur » Ribery, écrit avec malice le journal fétiche des amoureux de l'OM… Ribery ne se contente pas de ces compliments qui, à défaut de le galvaniser, peuvent le griser. Il en est conscient. Après une première partie de saison énorme, Ribery termine l'année en trombe à l'approche du Mondial. « A droite, à gauche ou dans l'axe, il est le moteur de l'incroyable finish marseillais en championnat comme en Coupe de France, où il fit des siennes à la défense lyonnaise en quart de finale. » Lorsque la nouvelle de sa sélection tombe à l'annonce de la liste des 23, le 14 mai, Ribery n'y croyait pas trop. Il était chez lui avec ses parents qui croyaient à une blague. « Sur le moment, je n'y avais pas cru et les images avaient commencé à défiler dans ma tête. Je suis donc digne de l'équipe de France et je ne dois nullement décevoir ceux qui m'ont fait confiance. » Un tempérament de feu En vérité, Ribery avait toujours souhaité dans son for intérieur faire partie des Bleus. L'idée de porter le maillot tricolore lui triturait l'esprit depuis longtemps, concède son père. Même le concerné ne cache pas « qu'entre lui et l'équipe de France, c'était un duel à distance que j'étais sûr de gagner. Vers la fin de la saison, j'avais appris que Domenech était au stade Gerlard où nous livrions un match. Lyon dominait le championnat et avait fait un bon parcours en Ligue des champions. Ce soir-là, j'étais sûr d'avoir tapé dans l'œil du sélectionneur. J'étais content de ma performance. Je crois que cela a plus au sélectionneur. Je m'étais juré de rééditer le même match et, pourquoi pas, avoir la chance de faire partie de la liste des 23. Les Bleus, j'y croyais, c'est pourquoi j'allais tout faire pour y aller. » Dans une déclaration au journal un mois avant le Mondial, il avouera : « Je me vois bien apporter de la vitesse, faire des décalages. Je suis à l'aise techniquement. Je vais de l'avant. Je suis un joueur tranquille, qui n'a pas peur. Je ne me mets pas la pression pour rien. » Il avait égalisé de fort belle manière face à l'Espagne, se jouant de Casaillas et sa défense, relançant la grande aventure des Bleus dans ce Mondial en terrassant la Seleçao où Franck s'est montré plus Brésilien que… les Brésiliens. Zizou a pris sous son aile ce Marseillais d'adoption que son entourage prénomme tout simplement Bilal après sa conversion à l'Islam. « Zizou est un grand frère pour moi, il me dit de gérer mes efforts, de ne pas faire que des sprints, d'alterner. Des fois, c'est bien de se calmer, Zizou me répète toujours ce genre de choses. » Il faut dire que le capitaine des Tricolores a toujours été l'idole du gamin de Boulogne. « En 1998, j'avais 15 ans pour le titre mondial des Bleus et j'avais envie de faire la fête. Je criais « Allez la France ! » J'étais trop jeune pour penser pouvoir un jour gagner la Coupe du monde », avoue-t-il, en ayant toujours une pensée pour sa fille Hizia, 2 ans. Il reconnaît que les choses sont peut-être allées un peu trop vite pour lui. « C'est vrai que depuis que je suis passé professionnel, tout s'est passé très vite. » Mais, c'est sans doute le but marqué contre les Ibériques qui l'a définitivement lancé. « Marquer contre l'Espagne m'a donné plus de confiance. Et comme c'était mon premier but en équipe de France, je ne pouvais qu'être heureux ! » Parcours Franck Ribery est né le 1er avril 1983 à Boulogne-sur-Mer. A l'âge de 2 ans, il décide d'être pilote de ligne. Les années passent tranquillement et Franck se dit que l'attraction terrestre n'est vraiment pas sa copine et décide que pilote de ligne, ce n'est pas une bonne idée. Alors il fera un métier plus intelligent : footballeur professionnel. Franck intègre le centre de formation de Lille, mais comme Claude Puel en a marre d'avoir les cheveux qui se dressent sur la tête à chaque fois qu'il croise Franck, il est viré. Très déprimé, Franck rencontre par hasard « Bakayoko » et se demande si en fin de compte il ne devrait pas se lancer dans la production de vin et s'associer à Baka pour les vendanges. Mais non, décidément, il a envie de jouer au foot ! Après quelques aller et retours entre le nord et le sud de la France, Franck part 6 mois plus tard pour la Turquie. Après, il jouera à l'OM. Les mois passent, Franck rencontre un monsieur qui vient de Lyon, qui a un gros cigare et une carte de membre bienfaiteur de CAC 40. Il lui tint à peu près ce langage : « Franck, je suis champion de France depuis des années, c'est pour ton bien et pour ton avenir que je te propose de me rejoindre à l'OL… » Il est l'OM et ne s'en plaint pas. La Coupe du monde va certainement le propulser au firmament.