Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, il y a énormément de sujets qui font consensus entre économistes. Certes, les dissensions sont également nombreuses. Le célèbre adage qui disait «posez une question à deux économistes et vous aurez trois réponses différentes» n'est que très partiellement vrai. Les accords sont beaucoup plus nombreux que les désaccords. Mais alors, pourquoi l'ensemble des problèmes économiques —particulièrement les crises et le sous-développement — sont-ils toujours d'actualité ? La réplique de la communauté scientifique est presque unanime : les systèmes politiques bloquent les solutions. Par exemple, le lobby de la finance est si puissant que même s'il est responsable des crises actuelles, il a la capacité d'empêcher les politiciens de prendre les mesures radicales qui assureraient une stabilité économique. Ceci n'est qu'un exemple parmi tant d'autres pour situer le fond du problème : l'incapacité des politiques à agir dans l'intérêt public. Les problèmes de développement sont également liés à la sociologie politique des nations. Les pays ou les politiciens prennent des décisions sur la base de connotations politiques (restructuration du secteur public, nominations de managers publics, politiques sectorielles, etc.) ne peuvent pas se développer. Parmi les questions sur lesquelles un large consensus existe entre spécialistes demeure le thème du développement local. Pratiquement aucun économiste ne croit à l'heure actuelle qu'un développement hyper centralisé (comme le nôtre) est à même de propulser un pays en voie de développement en une nation émergente. Une drôle de situation Dans notre pays, les responsables locaux sont dans une drôle de situation. Leurs missions et leurs budgets sont surtout orientés vers des actions très spécifiques : hygiène (ramassage d'ordures), maintenance des équipements publics, état civil, appui aux associations, etc. Ce sont des activités nobles qui relèvent des autorités locales dans la plupart des pays. Là n'est point le problème. Mais lorsqu'on examine et que l' on fait ressortir les attentes des citoyens vis-à-vis de nos APC, parmi les préoccupations les plus importantes évoquées l'emploi et le logement trônent en premier, loin devant les préoccupations de service public. Mais les APC ont des capacités, des ressources et des attributions très limitées pour peser significativement sur ces problèmes. Les anticipations des citoyens sont en contradiction avec les possibilités et les missions essentielles des pouvoirs locaux. Sans nul doute, le problème provient également des élus locaux. Lors des campagnes électorales, les candidats évoquent très peu leurs missions propres. Ils promettent monts et merveilles aux citoyens dans les domaines du logement et de l'emploi. Et, élus, ils se trouvent piégés par leurs propres promesses électorales. En fait, les attentes des citoyens peuvent être quelque peu légitimes dans certains contextes. Depuis de nombreuses années, les responsables nous promettent une plus grande décentralisation, avec à la clé des plans de développement locaux et régionaux. Il est fort probable que les promesses électorales auraient joué à plein régime dans ce contexte. Il y a comme un problème de communication qui génère des incompréhensions. Nous aboutissons à des anticipations croisées. Les personnes ne peuvent pas bien communiquer parce qu'ils sont à des niveaux d'information très différents. Les gestionnaires locaux sont limités par leurs statuts et leurs ressources. Les citoyens accordent une priorité absolue à l'emploi et au logement. En fait, les responsables locaux font face aux problèmes — induits par nos décideurs à des niveaux supérieurs — sans avoir les compétences, les ressources et le pouvoir nécessaire pour les résoudre. Que faire dans un contexte explosif ? Nous avons mis le doigt sur une problématique essentielle du développement local. Les décisions essentielles viennent de très haut et les responsables locaux font face aux mécontentements induits par des dysfonctionnements du système économique global. Nous n'avons qu'à constater les émeutes qui suivent chaque distribution de logements. Certes, ils participent au processus de distribution de logements sociaux mais ils ne font que gérer une pénurie. L'analyse approfondie des statistiques montre que la demande sociale ne peut jamais être satisfaite par les politiques de logement actuelles. Certains diraient que la critique est facile, l'art est difficile. Certes, mais la problématique du développement local a bien trouvé des solutions acceptables ailleurs. Les responsables locaux ne peuvent pas, à eux seuls, trouver un équilibre à l'ensemble des problèmes. Mais s'ils étaient sérieusement préparés, ils pourraient contribuer énormément, au moins à réduire l'ensemble des déséquilibres. Il y a au moins trois dimensions à prendre en charge pour produire des résultats tangibles. L'architecture globale de l'économie doit connaître des mutations profondes. Ce n'est pas tant pour régler le problème des gestionnaires locaux que pour propulser le pays vers une croissance à deux chiffres et donc l'émergence. Le premier axe consiste à qualifier à un très haut niveau quelques ressources humaines en vue de les responsabiliser sur les plans de développement locaux. Pour le moment, ces qualifications sont inexistantes. L'opération des 100 locaux par commune a montré quelque peu les limites des capacités de nombreuses APC. La ressource humaine constitue le nœud gordien de la solution, mais pas l'unique. Elle est une condition nécessaire mais pas suffisante. Une loi suivie d'un processus d'exécution efficace est indispensable pour promouvoir la culture et la pratique du développement local (décentralisé). Ce dernier doit se matérialiser par la mise en place d'une cellule au sein de chaque APC, chargée d'identifier le potentiel et ressources disponibles afin de participer activement au montage des entreprises publiques et privées qui vont les valoriser. Nous aurons donc des plans de développement locaux (et régionaux) qui contribuent à la création d'emplois. Par ailleurs, il est nécessaire de faire participer les élus locaux à la conception et à l'exécution de la politique du logement. Cette dernière doit être flexible pour accommoder les spécificités locales. Enfin, les APC doivent apprendre à adapter leur mode de communication aux réalités locales afin de mieux gérer les anticipations. Tout ceci exige bien évidemment de changer de regard sur les possibilités et les méthodes de gestion locale.