Pour Alger, l'accueil du président Al Sissi équivaut à une reconnaissance nette et sans bavure et à un désaveu cinglant des Frères musulmans et de l'ex-président Morsi. Le nouveau président égyptien, Abdelfattah Al Sissi effectue aujourd'hui une brève mais très symbolique visite de travail, a annoncé hier un communiqué de la présidence de la République. Signe de l'importance de cette escale algéroise du nouvel homme fort d'Egypte, c'est son tout premier déplacement à l'étranger dans son costume de chef d'Etat. Qu'est-ce qui vaut donc cet «honneur» à l'Algérie d'être la première destination de son raïs fraîchement élu ? Le communiqué de la Présidence souligne que cette visite de travail fait suite à «l'invitation du président de la République, Abdelaziz Bouteflika». Autrement dit, Al Sissi, qui se rendra demain à Malabo, en Guinée équatoriale, pour participer à un sommet de l'Union africaine pour sa première messe diplomatique, n'avait pas prévu de faire un crochet par Alger. Cette hypothèse est d'autant plus plausible que même l'ambassade d'Egypte à Alger a été prise au dépourvu. Une source interne a confirmé à El Watan que le président Al Sissi allait venir «sûrement» en Algérie, mais que cette visite n'était pas à l'ordre du jour. Mais hier matin, l'ambassadeur a été appelé au ministère des Affaires étrangères pour, sans doute, préparer à la hâte cette visite soudaine. La Présidence s'est contentée de noter que M. Al Sissi s'entretiendra avec le chef de l'Etat sur «la promotion des relations de fraternité et de coopération qui existent entre les deux pays» et sur «les questions liées à la situation dans le Monde arabe et en Afrique notamment». Al Sissi «détourné» vers Alger Cela dit, au-delà de la soudaineté du «détournement» d'Al Sissi vers Alger, les deux chefs d'Etat ont certainement beaucoup de choses à se dire et plein de défis communs à relever. Plus que jamais, l'axe Alger-Le Caire va se fluidifier compte tenu des enjeux internes aux deux pays et aux menaces qui pèsent sur leurs voisins au Maghreb, au Sahel et plus généralement en Afrique. Pour Alger, l'accueil du président Al Sissi équivaut à une reconnaissance nette et sans bavure et à un désaveu cinglant des Frères musulmans et de l'ex-président Morsi. L'Algérie a clairement dépassé le débat sur le coup d'Etat. En témoigne le message «très chaleureux» envoyé par Bouteflika au maréchal Al Sissi avant même la proclamation de sa victoire. Et, avant cela, l'Algérie avait accueilli, en janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères égyptien, Azzedine Fahmy, en sa qualité de membre du gouvernement provisoire piloté par le président intérimaire Adly Mansour, lui-même désigné par Al Sissi. C'était déjà une caution algérienne au nouveau pouvoir de fait en Egypte. Bien que le Premier ministre de Morsi ait effectué lui aussi une visite chez nous, Alger n'avait pas pour autant sorti son chéquier comme l'aurait souhaité le mouvement des Frères musulmans. Compte tenu de la ressemblance des expériences politiques avortées avec les islamistes, les régimes algérien et égyptien sont devenus des compagnons d'infortune. Unis pour le meilleur… En l'occurrence, notre pays a de «l'expérience» à offrir en matière de gestion de l'islamisme politique et, bien sûr, de lutte antiterroriste. Et Al Sissi, qui fait face à une situation chaotique au double plan politique et sécuritaire, ne se priverait pas d'un tel soutien, surtout s'il est suivi de quelques millions de dollars… Par ailleurs, l'Algérie et l'Egypte sont appelées à trouver une solution au bourbier libyen. Directement touchés par la déstabilisation de ce pays voisin ouvert aux quatre vents, Alger et Le Caire sont mis en demeure de rechercher une issue politique au risque d'un embrasement de toute la région. Ce travail commun a déjà commencé en marge de la conférence des non-alignés à Alger, où Ramtane Lamamra et Azzedine Fahmy ont été particulièrement actifs au sein du comité de suivi créé à cet effet. Même les Occidentaux comptent beaucoup, d'après les experts, sur le duo algéro-égyptien pour ramener la paix en Libye et amorcer une transition démocratique. Au plan africain, l'Algérie a également mené un lobbying qui a abouti à la réintégration de l'Egypte au sein des structures de l'Union africaine d'où elle avait été exclue au lendemain du coup d'Etat contre Morsi. Aussitôt après son escale à Alger, le président Al Sissi s'envolera pour Malabo, où il signera le grand retour de l'Egypte au sein de l'organisation panafricaine. Le 23e sommet ordinaire sur «L'agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique», offrira une tribune à Al Sissi pour se tailler une stature de chef d'Etat débarrassé de son uniforme de maréchal. Après avoir échangé avec John Kerry et le roi d'Arabie Saoudite, le président Abdelfattah Al Sissi va désormais se mettre au travail pour recoller les morceaux dans son pays en s'appuyant, espère-t-il, sur des pays comme l'Algérie. Pour Bouteflika, la visite d'Al Sissi même pour quelques heures, est un trophée de guerre bien que ce dernier ait beaucoup plus à prendre qu'à donner.