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Lutte contre le terrorisme au Maghreb
Les droits humains à rude épreuve
Publié dans El Watan le 08 - 07 - 2006

Faut-il abroger les lois antiterroristes pour préserver les droits et les libertés au Maghreb ? Grande question, posée les 4 et 5 juillet 2006 à Rabat, lors des audiences publiques pour l'Afrique du Nord organisées par la Commission internationale des juristes (CIJ).
Les audiences, coorganisées avec l'Organisation marocaine des droits de l'homme (OMDH) et qui se sont déroulées à l'Ecole nationale de l'industrie minérale (ENIM), ont permis à des avocats, universitaires, chercheurs et journalistes de débattre du thème « Terrorisme, lutte contre le terrorisme et droits de l'homme ». Comme la Tunisie, le Maroc et l'Algérie ne sont pas des champions de la démocratie, la question des violations des droits humains a dominé les débats. « La mission de l'Etat est d'assurer la sécurité. Il y a des lignes rouges. Ce n'est parce qu'il lutte contre le terrorisme qu'il s'arroge le droit d'interdire la liberté d'expression », estime le juge international Georges Abi Saab qui a animé les audiences, accompagné du juriste suisse Stefan Trechsel, de la présidente de l'OMDH, Amina Bouayach et de l'Allemand Gerald Staberack, directeur du programme sécurité globale et Etat de droit à la CIJ. Amina Bouayach a rappelé les retombées de l'attentat de Casablanca et le combat pour limiter les dérives d'une loi antiterroriste jugée liberticide. Abdelaziz Bennani, avocat, ancien président de l'OMDH, a dénoncé les atteintes à la vie privée, à travers l'interception des communications téléphoniques, et la longueur de la garde à vue, des dispositions prévues dans la loi antiterroriste. Il a plaidé pour que les services de sécurité soient mis sous le contrôle du Parlement et de la justice. « Le parquet et le juge d'instruction sont dépendants de la police judiciaire. Les services de sécurité sont revenus à la pratique de l'enlèvement, à la détention secrète et à la torture », a dénoncé l'avocat Abdelfatah Zahrach, membre de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), défenseur d'anciens détenus de Guantanamo. Il a appelé pour un contrôle de l'action de la Direction de surveillance du territoire (DST). Un représentant du parquet de Rabat a estimé que l'action de la police judiciaire était soumise à la surveillance du procureur du roi et que la longueur de la garde à vue était liée à « la complexité » du crime terroriste. « A chaque fois, on pose la question au prévenu s'il a été soumis à la torture ou pas. Souvent, les prisonniers ne situent pas l'identité des personnes qui les ont maltraités. Il y a possibilité de déposer plainte contre X », a-t-il précisé. Okba Abdelmouneim, responsable au ministère marocain des Droits de l'homme, a annoncé que les prévenus ou leurs avocats peuvent exiger une expertise médicale en cas de torture. Stefan Trechsel, qui a été pendant 20 ans membre de la Commission européenne des droits de l'homme, a trouvé curieux que le représentant du parquet de Rabat parle de « mesures audacieuses » prises par les juges. « La tâche primordiale d'un tribunal est de rendre justice et de chercher la vérité. Il ne s'agit pas d'être audacieux », a-t-il remarqué. Le représentant du parquet a répondu que la justice était la cible « d'une campagne de dénigrement ». Abdelfatah Zahrach a annoncé que les détenus marocains de Guantanamo n'ont pas été libérés une fois de retour au pays. « Les familles ont été tenues dans l'ignorance sur leur lieu de détention », a-t-il observé. Amine Sidhoum, avocat algérien, a relevé qu'après les attentats du 11 septembre 2001 des centaines d'Algériens ont été arrêtés parce que suspectés d'être partis en Afghanistan ou « pensé » à faire le voyage en Irak. « Le régime a trouvé une nouvelle formule pour justifier le dépassement de la durée de la garde à vue, qui est de 12 jours en matière de terrorisme. Il procède à la mise sous assignation à résidence surveillée du prévenu avec la bénédiction du ministère de l'Intérieur qui signe une décision en se référant au texte sur l'état d'urgence. Le document ne contient ni le lieu ni la durée de la détention », a révélé Amine Sidhoum. Selon lui, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, entrée en application en février 2006, a inscrit « sur le marbre » l'impunité. Parlant de la torture ces dernières années, l'avocat a situé le nombre des victimes à 3000. « Les tortionnaires d'aujourd'hui s'appuient sur une longue tradition qui remonte à la période coloniale et la guerre de libération. Il n'est donc pas surprenant d'apprendre que certains lieux de torture actuels servaient déjà aux militaires français », a-t-il déclaré. L'avocat Mohamed Nedjmeddine Boudjakdji, qui a parlé au nom de l'association Djazaïrouna, a plaidé pour ne pas sacrifier les droits des victimes du terrorisme. « Les familles de ces victimes préfèrent la vérité à l'indemnisation », a-t-il dit. Stefan Trechsel a observé que les offres de payement par l'Etat sont discutables. « Les droits de l'homme ne s'achètent pas », a-t-il appuyé. Mohamed Boudjakdji a rappelé que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale excluait les auteurs de massacres, de viols et d'attentats à l'explosif. « Or il n'y a personne qui peut témoigner sur les auteurs de ce genre de crimes », a-t-il relevé. L'avocat Sofiane Chouiter, membre de SOS Disparus, a déclaré que la plupart des disparitions forcées ont eu lieu en Algérie entre 1994 et 1996. « La majorité des cas est imputable aux services de sécurité », a-t-il noté. Le représentant de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (officielle), l'avocat Hocine Kheldoune, a expliqué l'apparition du terrorisme en Algérie par « la faiblesse de l'action politique et par la pauvreté ». Il a justifié les dépassements des services de sécurité par « le manque d'expérience » dans la lutte contre le terrorisme. « L'administration ne respecte pas le citoyen. Les juges ne prennent pas en considération la présomption d'innocence et le recours à la détention provisoire est abusif. Mais je ne suis pas de ceux qui disent que tout est blanc ou que tout est noir », a-t-il estimé. Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), a déclaré que la loi antiterroriste est la plus mauvaise loi promulguée dans le pays depuis l'indépendance en 1956. « C'est une loi qui porte atteinte à toutes les libertés fondamentales, au droit à un procès équitable et le droit de la défense. Le prévenu ne peut pas savoir qui a témoigné contre lui. Les procès peuvent se tenir à distance. Les avocats sont obligés de faire de la délation (...) C'est une dérive totale », a-t-il estimé. Selon lui, le terrorisme ne peut être combattu que dans le respect des droits humains. Radia Nasraoui, avocate et présidente de l'Association de la lutte contre la torture en Tunisie (ALTT), a dénoncé les arrestations nocturnes et le recours systématique à la maltraitance dans les lieux de détention. « Ils terrifient les familles des personnes arrêtées. La police politique ordonne aux familles de ne pas faire de tapage et de ne pas solliciter les avocats. Les délais de détention sont dépassés. Les juges d'instruction refusent de noter l'existence de traces de torture sur les corps de détenus. Les avocats sont limités dans leurs actions. Ils n'ont pas d'accès aux dossiers », a-t-elle témoigné. La CIJ a constitué un panel de huit éminents juristes pour étudier à travers le monde l'impact global de la lutte contre le terrorisme sur les droits de l'homme et l'Etat de droit. Outre Georges Abi Saab et Stefan Trechsel, il est composé de l'Argentin Raul Zaffaroni, du Thaïlandais Vitit Muntarbhorn, de l'Irlandaise Mary Robinson, du Sud-Africain Arthur Chaskalson, de l'Américain Robert Goldman et du Pakistanais Hina Jilani.

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