Georges Abi Saab, juriste égyptien, est professeur honoraire de droit international à l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève. Il a siégé en tant que juge à la chambre d'appel du Tribunal pénal international (TPI) pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda. La Commission internationale des juristes (CIJ) organise des audiences publiques en vue de préparer un rapport sur la lutte contre le terrorisme et le respect des droits de l'homme. Pouvez-vous en expliquer les objectifs ? Depuis les attentats du 11 septembre 2001, des colloques ont été organisés et des livres ont été publiés. Plus important : les gouvernements ont adopté des législations et des mesures contraignantes au nom de la lutte contre le terrorisme. Dans la première fournée de ces mesures, les droits de l'homme n'ont pas été pris en compte suffisamment. Même le Conseil de sécurité de l'ONU, à travers ses résolutions, n'a pas pris la réserve en imposant le respect des droits de l'homme dans les mesures antiterroristes. Même dans des mesures d'urgence, il existe des limites. Dans beaucoup de cas, ces limites ont été dépassées. Les organes des Nations unies, qui s'occupent des droits de l'homme, ont attiré l'attention sur ces aspects. Le problème ne se pose pas uniquement au niveau législatif, mais dans les pratiques. Des gouvernements aux prises avec des mouvements d'opposition ont utilisé le prétexte de la lutte contre le terrorisme pour museler toutes les voix discordantes ou pour justifier des pratiques critiquées par tout le monde. La CIJ a fait appel à un groupe de juristes indépendants avec une certaine crédibilité dans le domaine pour élaborer un rapport qui doit être aussi objectif que possible. Rapport qui doit être basé non seulement sur l'étude des législations mais des pratiques concrètes dans les différentes parties du monde. On a organisé des audiences similaires en Afrique de l'Est, en Amérique latine, en Extrême-Orient et en Europe. On va en organiser d'autres aux Etats-Unis et au Moyen-Orient. Au cours de ces réunions, on essaye d'avoir un contact direct avec les acteurs dans ce domaine, à savoir les gouvernements, les ONG, les représentants de la société civile, les victimes du terrorisme et les représentants de ceux qui sont accusés ou suspectés de terrorisme. A la lumière de ce tour d'horizon, on peut établir un rapport qui tire la ligne rouge entre ce qui est justifiable pour la protection de l'intérêt, de la sécurité et l'ordre publics et le respect des droits des citoyens et de la société civile. Allez-vous soumettre ce rapport à l'ONU ? Ce rapport, qui n'est pas élaboré par une instance officielle, sera prêt au cours de la première partie de 2007. La CIJ est une organisation non gouvernementale qui a de la crédibilité qui date de 45 ans. Elle a travaillé, entre autres, dans les domaine de l'indépendance du pouvoir judiciaire et les droits de l'homme. La crédibilité du rapport vient de la crédibilité de l'organisation. Il sera présenté à l'ONU et à tous les gouvernements qui auront à tirer les conséquences. Au cours des audiences, avez-vous constaté les mêmes remarques sur les violences aux droits humains : torture, exécutions extrajudiciaires… ? C'est plus ou moins les mêmes thèmes. Tout dépend du style et de la qualité de gouvernance de chaque pays. Il s'agit, en fait, de démocratie, pas dans le sens formel du terme. Il s'agit de tolérance, l'acceptation d'une certaine liberté d'expression, etc. Il y a des pays qui n'ont pas de structures démocratiques claires où les choses sont moins crispées. Il y a également des pays où il y a de belles Constitutions, de belles institutions mais les lois ne sont pas appliquées... Ne croyez-vous pas qu'il existe un climat international qui favorise les dérives, sous des prétextes sécuritaires, comme Patriot act aux Etats-Unis ? C'est un fait. Les Américains ont sur-réagi. Le choc était grand. C'est une mentalité de cow-boys, si vous voulez. Naturellement, par cette sur-réaction, ils ont donné des arguments à ceux qu'ils critiquaient avant pour manque de libertés ou de démocratie. A mon avis, ni la liberté ni la démocratie, dans son essence, ni les droits de l'homme ne sont le monopole de quiconque... Le projet de la Cour pénale internationale (CPI) semble bloqué. Existe-t-il des chances pour surmonter cette situation ? Les Etats-Unis signent des accords bilatéraux avec des gouvernements pour qu'ils ne livrent pas des Américains accusés de crime. Si on peut vraiment répandre l'impression qu'il n'existe pas d'immunité et que celui qui a commis des crimes finira ou risquera toujours de finir devant un tribunal national (la CPI a une compétence complémentaire), c'est bon, même si certains ne coopèrent pas. C'est un travail de longue haleine, son effet sera de longue haleine également. C'est une question de culture juridique, des habitudes...On doit toujours semer même s'il faut attendre longtemps.