Non, ce n'est pas parce que j'en ai été le modérateur que j'ai envie de revenir sur la première rencontre des Cafés de l'Architecture couverte par mon confrère Mustapha Benfodil (El Watan, 23/06/14). D'ailleurs, en fait de modération, je me suis surtout contenté de laisser s'épanouir l'état de grâce qui flottait là, dans la magnifique résidence Dar Abdellatif, joyau de l'architecture algérienne ancienne. Contenté de laisser des esprits venus d'horizons très divers s'entretenir intelligemment de l'architecture dans notre pays à l'invitation du Synaa, le syndicat des architectes agréés algériens. Sincèrement, de toute ma carrière de journaliste culturel qui remonte à quelques années, j'ai rarement participé à une telle envolée de propos sensibles, raisonnés et souvent chaleureux. Les interventions des artistes et des écrivains, en ouverture, sont allés au-delà des espérances. Ils avaient la tâche complexe d'envisager les liens de leurs disciplines avec l'architecture. Entendre Ahmed Bejaoui raconter les liens intimes des grands maîtres du cinéma, tels Eisenstein ou Hitchcock, avec l'architecture ; Noureddine Saoudi démontrer magistralement la construction architecturale d'une nouba ; Hajar Bali et Samir Toumi signaler comment, peu ou prou, la ville habite l'imaginaire de leurs écrits ; enfin Mustapha Nedjaï décrypter l'édifice de la peinture… Tout cela avait de quoi nourrir l'émotion et l'imagination. On pouvait craindre que la suite soit moins séduisante puisqu'elle portait sur le regard des sciences humaines sur l'architecture et l'urbanisme en Algérie en prélude au témoignage de leurs praticiens. Mais ni le sociologue Rachid Sidi-Boumedine, ni l'urbaniste Tewfik Guerroudj, ni les architectes Hasna Hadjilah, Ghania Lahlouh, Larbi Marhoum et Achour Mihoubi n'ont omis d'ajouter à leurs constats et analyses, nécessairement froids, l'intensité de leur vécu où les règles de la profession ne peuvent s'incarner qu'à travers la charge de la passion. Aussi, si les gens d'arts et de lettres, venus émouvoir, avaient réussi aussi à faire réfléchir la belle et pertinente assistance présente, les gens de la recherche et de la pratique, censés faire réfléchir, ont réussi eux aussi à émouvoir. Car, enfin, semblable à celle du gardien de but au fond des bois, quelle solitude que celle de l'architecte en Algérie ! Réduit à ne pas exercer les fondements-mêmes de sa profession, soit penser et concevoir pour répondre à une commande d'habitat ou d'équipement, il est le plus souvent ravalé au «dessin» sans pouvoir réellement participer au «dessein» ! Aussi, ce n'est pas le fantôme de son dernier propriétaire qui a flotté, samedi dernier, à Dar Abdellatif mais bel et bien celui du philosophe allemand Hegel qui, au XIXe siècle, avait classé l'architecture comme le premier des arts. Depuis, dans le monde entier, et à ce jour, il est considéré comme tel. Et on en voit les résultats. Hélas ailleurs.