Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
3 questions à David Rigoulet-Roze. Chercheur associé à l'Institut prospective et sécurité de l'Europe (IPSE) de Paris. International : les autres articles
-Quelles sont les implications de la création de ce califat islamique ? Cette proclamation officielle du 29 juin 2014 était plus ou moins attendue. C'est une manière de prendre date pour une organisation qui se fait désormais appeler simplement l'Etat islamique (ad dawla al islāmiyya), sans les références géographiques initiales de l'EIIL (ad-dawla al islāmiyya fi l ʿirāq wa š šhām). Son chef Abou Bakr Al Baghdadi aurait été proclamé «calife» (successeur du Prophète Muhammad) sous le nom de «calife Ibrahim» - en référence à sa véritable identité Ibrahim Awad Ibrahim Ali Al Badri -, en même temps que «commandeur des croyants» (amīr al mu minīn), à l'instar des quatre premiers califes dits «califes bien guidés» (al Khulafā'u r Rāshidūn), lesquels sont considérés, dans la tradition sunnite, comme des chefs modèles car ayant suivi scrupuleusement la voie du Prophète. Il aurait été désigné par une mystérieuse choura («Conseil») autoproclamée de l'Etat islamique, mais dont ne connaît ni l'origine, ni la composition et dont la légitimité, au regard du droit musulman, est pour le moins sujette à caution. En outre, si un calife se doit d'être « reconnu » autant par ses coreligionnaires que par se pairs « étrangers », le moins que l'on puisse dire est que et al-Baghdadi n'en prend pas le chemin. Dans la région, la première question qui se pose est précisément celle de l'impact immédiat d'une telle proclamation concernant des allégeances putatives. Ainsi, Ansar Al-Mâaqdis en Egypte, organisation djihadiste qui a été responsable de plusieurs attentats, semble se rapprocher de l'Etat islamique. D'autre signes apparaissent préoccupants. Dans la ville jordanienne de Maan, située à la frontière avec l'Irak, des Bédouins avaient manifesté le 28 juin derier dans les rues en brandissant le drapeau noir de ce qui était encore l'EIIL, présentant Maan comme le « Falloujah jordanien ». La menace d'extension ne doit donc pas être minimisée. L'Arabie saoudite est pour sa part de plus en plus préoccupée pour la sécurité de sa frontière avec l'Irak, notamment au point de passage d'Ar Ar où la pression de l'EI se fait désormais sentir ce qui aurait conduit Riyad, peu confiante dans la fiabilité de ses propres forces armées, à financer secrètement la mise en place d'une force armée ad hoc composée principalement d'Egyptiens et de Jordaniens afin de protéger lesdites frontières du royaume. Et ce parce que le nouveau calife auto-proclamé aurait clairement signifié son intention de mettre la main sur les deux « Lieux saints » que sont La Mecque et Médine, voire dans son délire iconoclaste serait allé jusqu'à menacer de détruire la Kaaba de la Mecque pour la dévotion dont elle fait l'objet - de fait la Pierre noire aurait, dit-on, fait l'objet d'un culte pré-islamique -, laquelle dévotion renverrait, selon lui, au péché du Shirk (« association ») assimilé au polythéisme. -Ce califat est il viable ou s'agit-il d'un simple effet d'annonce ? Cela relève encore largement d'un effet d'annonce. Le califat historico-politique dans la Oumma est d'abord une réalité territoriale avec des frontières pour contestées soient-elles. Or, celles-là sont pour l'heure inabouties malgré la diffusion en ligne fréquente de nouvelles cartes par l'Etat islamique, lesquelles sont un mixte curieux entre le Califat arabo-musulman médiéval (avec la province d'Al Andalous, correspondant à l'Espagne actuelle) et le Califat ottoman moderne et/ou contemporain (avec la province d'Orobra correspondant aux Balkans actuels). Ensuite, tout Califat doit avoir une capitale et là ce n'est peut-être pas un hasard si les djihadistes se sont focalisés sur l'Irak et la Syrie, en regardant vers la Bagdad abbasside et la Damas omeyyade. Enfin, tout véritable Califat a vocation à administrer ses territoires relavant du Dar al-Islam. Cette fiction califale administrative de l'Etat islamique s'exprime dans le fait d'avoir rétabli - parallèlement au recouvrement du zakat (« impôt religieux ») musulman -, un impôt auquel est assujetti, notamment à Mossoul, la communauté chrétienne comme au temps des califes et en référence explicite au Coran (sourate 9, verset 29) : il s'agit de la jizya (« capitation »), qui se monterait en l'occurrence à 250 dollars par personne ou 500 par couple. Pour autant, les règles élémentaires du Coran sont loin d'être pleinement respectées. Concernant le djihad - en tout cas le « djihad par l'épée »- ce dernier ne peut théoriquement selon le droit musulman être proclamé que par le Calife, alors que, dans le cas présent, il s'agit d'un mouvement inverse puisque l'instauration d'un califat a découlé d'un djihad autoproclamé. De plus, le djihad implique malgré tout le respect d'une certain nombre de règles élémentaires : les combattants adverses ne doivent pas être tués dès lors qu'ils se rendent, ce qui n'a clairement pas été le cas puisque l'on évoque le, massacre de plusieurs centaines de soldats de l'armée irakienne composé majoritairement de chiites qualifiés par l'Etat islamique de « safavides » (c'est-à-dire apparentés aux Perses de par leur confession chiite). Voire. Les viols, les meurtres sont par ailleurs formellement interdits dans le Coran comme dans tous les monothéismes. Or de tels crimes ont semblent-ils été commis particulièrement à Mossoul. Ce sont autant d'actes haram qui hypothèquent par avance toute réelle adhésion de la plus grande partie des musulmans de la Oumma, même seulement sunnite. -La dislocation de l'Irak semble être à l'ordre du jour. L'indépendance du Kurdistan est désormais envisageable Massoud Barzani a clairement considéré que la situation actuelle constituait un tournant pour les Kurdes. Il a même annoncé l'organisation d'un référendum pour l'auto-détermination du Kurdistan irakien. Dans les faits la partition de l'Irak est déjà à l'oeuvre. Israël a déclaré qu'il reconnaîtrait un éventuel Etat kurde indépendant - qui est parfois présenté à tort ou à raison comme un second Israël dans la région. Plus étrangement la Turquie a laissé entendre par la voie d'Huseyin Celik, le vice-président de l'AKP, le parti au pouvoir en Turquie, l'AKP, à l'occasion d'un interview accordée au Financial Times. Ce denrier a ainsi estimé : « Par le passé, un Etat kurde indépendant aurait constitué une cause de guerre pour la Turquie, mais aujourd'hui, personne n'a le droit de dire une telle chose ». Et d'ajouter : « En Turquie, même le mot 'Kurdistan' peut perturber et embêter le monde - mais c'est son nom ». Et de conclure : « Si l'Irak est divisé, et cela se prouve une évolution inévitable, alors ils [c'est-à-dire les Kurdes] sont nos frères … Malheureusement, la situation en Irak n'est pas bonne et tout montre que le pays est très proche de la partition ». Cela s'explique, pour partie, par le fait que les Turcs sont très présents économiquement au Kurdistan irakien, notamment dans la partie nord contrôlée par le PDK (Parti démocratique du Kurdistan d'Irak) dirigé par Massoud Barzani et qu'ils n'ont sans doute pas envie d'hypotéquer leurs intérêts en cas d'indépendance. Depuis, la position officielle du gouvernement turc s'est montrée plutôt défavorable à une indépenance du Kurdistan irakien en privilégiant l'unité de l'Irak. Mais cette posture officielle cela risque de ne pas résister à la realpolitik. Si dans les faits, le Kurdistan est très largement autonome depuis 1991 lorsqu'il avait été signifié manu militari à Saddam Hussein une interdiction d'intervenir au Kurdistan, mais la création d'un Etat kurde indépendant viendrait chambouler les frontières des accords Sykes-Picot (ndlr : Accords signés lors de la Première guerre mondiale entre la France et la Grande-Bretagne pour le découpage du Moyen-Orient et la création des Etats tels qu'ils existent aujourd'hui), ce que tente exactement de faire l'Etat islamique, pour des raisons, certes, complètement différentes. Le fédéralisme pourrait être une solution aux problèmes cnetrifuges de l'Irak, mais cette option semble avoir été condamnée par la politique sectaire du Premier ministre Nouri Al-Maliki, qui a consisté en la marginalisation de la communauté sunnite et la main-mise du pouvoir par la majorité chiite, y compris au détriment des Kurdes.