A chaque mois de Ramadhan, comme une ritournelle, la question des prix des fruits et légumes revient sur le devant de la scène et dans les préoccupations des ménages. L'envolée des prix qui accompagne le mois de jeûne est attribuée à juste titre et en grande partie aux pratiques commerciales et à un marché des fruits et légumes désorganisé. Pour les experts, c'est une conséquence de l'incohérence des politiques agricoles menées depuis l'indépendance, où domine le peu d'intérêt accordé à la filière des fruits et légumes. «L'Etat a marginalisé les fruits et légumes au profit de produits de plus grande consommation», a déclaré Akli Moussouni, expert international en développement agricole lors d'une rencontre organisée au siège de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA). Ce n'est pas tout, la production est faible et continuera de faiblir si l'agriculture persiste dans ses archaïsmes. Pour M. Moussouni, la production est en baisse parce que les valeurs du travail de la terre ont été perdues, que les terres sont soumises à l'érosion, que les gestes, la culture liée aux fruits et légumes jusqu'à l'art culinaire ont disparu. A cela il faut ajouter le morcellement des terres par l'héritage, l'exode rural, le déficit hydrique et les calamités naturelles parmi lesquelles il faut compter les infections parasitaires importées qui, cette année, ont touché plus de 60% de la production nationale de poires. Mais cela n'est rien comparé à la plus grande perte de tout ce patrimoine, autrefois l'un des plus riches de Méditerranée, celle d'un nombre effarant de variétés de fruits et légumes. M. Moussouni donne le chiffre de 80 produits du terroir définitivement disparu depuis le lancement de la révolution agraire au début des années soixante-dix. Erosion Un rapport de 2009 sur l'évaluation de biodiversité des agro-écosystèmes fixe un taux de pertes entre 51% et 66%. Il ne reste, par exemple, que 17 variétés de poires sur les 86 ayant existé dans les vergers d'Algérie ; 9 variétés de pommes sur 30 ; 7 de figuiers sur 22 ; 47 d'oliviers sur 151 ; 44 d'agrumes sur 162 ; 64 de vignes sur 1376 ; 18 de pêchers sur 40 ; 111 espèces de maraîchage sur 400 et 10 espèces de cultures industrielles sur 68 et la liste est longue puisqu'elle concerne en tout 1438 espèces actuelles sur 4209 ayant existées. Pour M. Moussouni qui sillonne l'Algérie, toutes les régions du pays sont touchées par l'érosion des variétés et espèces du terroir. Il cite, pêle-mêle, Mascara pour l'artichaut, Laghouat pour les pommes et les pêches, Bouira pour l'olive de table, Lakhdaria avec son «champignon de Paris» qu'on importe aujourd'hui, Tipasa et son éventail d'herbes comestibles qui produisait jusqu'à 30 tonnes/an récoltées dans les forêts du Chenoua, ou encore Relizane avec ses escargots qui se dégustent à 3000 DA dans les grands restaurants de la capitale. Biodiversité «La marginalisation de la filière par les planificateurs et les politiques l'a fait passer de son caractère de subsistance dont les produits étaient consommés et les excédents échangés à une autre organisation qui aurait pu valoriser le produit agricole du terroir issu de cette agriculture familiale», énonce l'expert international. Il existe bien un organisme public ayant pour rôle de valoriser le produit du terroir, en l'occurrence la Société de valorisation des produits du terroir (SVPAT), dont le monde agricole ignore l'existence. Ceci pour les facteurs endogènes qui contribuent à la raréfaction progressive des fruits et légumes. A ceux-là, il faut ajouter ceux provenant de la mondialisation avec le commerce sans frontières des produits de l'agriculture qui se résume chez nous à une importation massive qui concurrence la production nationale.Par conséquent, ceci oblitère ces chances de développement et à l'opposé le biopiratage des variétés encore existantes pour être brevetées par des producteurs de semences des firmes agroalimentaires multinationales implantées en Norvège, au Brésil ou Etats-Unis d'Amérique.. A la mondialisation qui érode le patrimoine, on oppose la valorisation du produit avec la mise en valeur des produits du terroir en général et le terroir agro-forestier en particulier. Un objectif qui contribue à améliorer les revenus des communautés et la durabilité des agro-écosystèmes. «Les enjeux sont à la fois la réduction de la pauvreté, la réussite de la professionnalisation de la petite agriculture, la sécurité alimentaire et le maintien des cohésions et la stabilité collective. Cela commence d'abord par la mise en valeur de ce même terroir localement par des centres d'exposition ou carrément en forêt suburbaine (promotion du produit de l'écotourisme)», selon M. Moussouni. Au cours du mois de juillet, l'APN et le Sénat, les deux chambres du Parlement, ont eu à examiner et à voter le projet de loi sur les ressources biologiques. Un instrument juridique de taille tout autant pour la biodiversité en général que pour les variétés du terroir. Il va d'abord pouvoir mettre fin à une forme de saignée du patrimoine génétique naturel. Le texte prévoit aussi la mise en place d'une banque de données sur les gènes.