Trois leçons méritent d'être retenues après la fin de la Coupe du monde. Sur le plan moral, la Coupe du monde de football que les Italiens ont emportée chez eux est entachée de tricherie, de honte, d'une odeur nauséabonde, car ternie d'un acte raciste. Les Bleus ont été spoliés de leur victoire, par la faute d'une injure raciste symptomatique de l'état moral du monde. Ce fait grave ne doit pas rester impuni. Retirer le titre de champion du monde au joueur italien Materazzi est le minimum, pour respecter l'éthique. Durant la remise du trophée, comme insensible à la joie des joueurs italiens, le monde entier était sous le choc. Des milliards d'êtres humains, fascinés par la virtuosité du dieu des stades, Zidane, ont basculé, en une seconde, dans le traumatisme, le cauchemar, le malaise. Ne comprenant pas ce qui s'est passé. Aujourd'hui, tout le monde sait. Cela sera confirmé par les détails et l'état d'esprit que décrira, preuves à l'appui, le héros, Zidane. L'idole, l'artiste, le génie du football moderne, le meilleur joueur de notre temps, a été injurié, piégé par un vil raciste. Même si, comme la logique l'exigeait, l'arbitre avait sorti deux cartons rouges, l'un pour Zidane, l'autre pour le joueur raciste, l'incident ne peut s'arrêter là. Si la Fédération française de football et les organismes des droits de l'Homme ne portent pas plainte et n'obtiennent pas gain de cause auprès des instances concernées, ce sera une blessure morale à l'impact mondial sans précèdent. Deuxièmement, sur le plan politique, la propagande fumeuse du choc des civilisations, la politique des deux poids, deux mesures, la haine de l'Islam par ceux qui le stigmatisent en usant de l'amalgame, son instrumentalisation par d'autres qui usurpent son nom, et les discours qui s'inventent des ennemis, ont atteint un seuil préoccupant. L'ignoble acte raciste, qui s'est passé à Berlin ce 9 juillet, n'est pas anodin. Le président français, Jacques Chirac, au nom de la France, et de manière marquée, notre président Abdelaziz Bouteflika au nom de la mère patrie de Zidane, en le félicitant et en lui rendant un hommage appuyé, l'ont très bien compris. Zidane, par son geste de colère, a rappelé au monde entier que les exigences de l'honneur, de la dignité et de la fierté sont au-dessus de tout. L'acte de Zidane est celui d'un être humain authentique et incorruptible. Il reflète, aussi, un malaise et un paradoxe de notre époque, tant ce héros sincère est admiré et sa communauté d'origine, dans les quartiers, ignorée ou maltraitée. Son geste a le mérite de faire symptôme et de provoquer les consciences. Tous les êtres épris de justice, plus que jamais, ont pour devoir, comme lui, de se solidariser et d'œuvrer au vivre ensemble. Troisièmement, sur le plan sportif, la provocation blessante perpétrée par le joueur italien, plus proche des voyous que des athlètes d'élite, aurait pu être évitée. En 1998, Zidane a brillé et vaincu parce que le système de jeu était construit non seulement sur le potentiel et les qualités du joueur, mais aussi sur son mental. La « botte secrète » à l'époque est que les joueurs du milieu de terrain jouaient une sorte de « garde rapprochée » de Zidane. Les milieux défensifs étaient proches de Zizou afin, aussi, de le protéger contre les adversaires agressifs. Au contraire, durant ce mondial, Zizou, comme pièce maîtresse de l'échiquier des Bleus, était une cible privilégiée pour les « mauvais » joueurs. Il semblait souvent isolé au milieu des adversaires qui non seulement tentaient de l'empêcher de développer son football, mais surtout pouvaient l'agresser, sous des formes insidieuses et malhonnêtes. La preuve est là. De plus, l'essentiel du poids de la responsabilité engendrait trop de pression sur Zidane. Tout le monde le reconnaît, sans son talent hors pair et son abnégation, l'équipe des Bleus n'aurait pas atteint la finale. Outre ses buts et ses actions décisives, il était contraint de courir sans arrêt. Il ne pouvait continuer sans réagir, seul, face aux agressions. La pire, celle à caractère raciste, invisible aux yeux du public, mais intolérable pour ce lion indomptable, lui a fait perdre sa légitime deuxième Coupe du monde. Mais elle lui a fait gagner la paix intérieure, une forme d'immortalité. La conscience tranquille pour toujours. Cet acquis vaut plus que tout l'or du monde. (*) L'auteur Mustapha Cherif est philosophe algérien, auteur de L'Islam tolérant ou intolérant ? Edit. Odile Jacob.