La sortie controvers�e du film de J.P. Lledo, Alg�rie, histoires � ne pas dire et la pol�mique qui s�en est suivie, vient porter sur la place publique un d�bat autour des pr�jug�s, voire de tabous jusque-l� �lud�s. Cependant, le r�alisateur, avec la force de l�image, s�enferme avec son documentaire, dans un r�le singulier, celui d��tre � la fois juge et partie. D�o� des prestations qui s�apparentent parfois � des jeux de r�les, o� les personnages, notamment dans la partie en rapport avec Skikda, n�auront plus prise sur l�usage qui aura �t� fait de leurs t�moignages ; le montage n�ayant retenu que les passages qui cadrent avec la th�se de J.P. Lledo. Ce qui donne au film une inclinaison qui fait l�impasse sur les intentions premi�res ayant motiv� mon implication dans cette �uvre de transgressions, afin d�imposer le d�bat autour des tabous qui ont toujours plomb� les aspects les plus douloureux de la guerre de lib�ration. D�autant que �a rejoignait ma propre qu�te de v�rit� sur le martyre de ma famille et de celle par extension de tous les Alg�riens confront�s � l��preuve de cette terrible guerre. Au lieu de cela, le film prend le parti de tuer le vrai d�bat, en cherchant � donner une cr�dibilit� � des id�es pr�con�ues. Pourtant, ce film a le m�rite de raviver notre histoire r�cente, tout en lui faisant prendre des raccourcis, voire un parti pris, qui ne peuvent laisser indiff�rent, suscitant la pr�sente r�action. Etant � la fois acteur par n�cessit� et t�moin par hasard de cette �uvre de m�moire, il m�a paru opportun d�intervenir afin d�insuffler un vrai d�bat. Ayant particip� en tant que personnage cl� � de part ma relation filiale avec des combattants de la guerre de lib�ration et des victimes de la r�pression, rescap� avec les miens d�un massacre collectif o� 23 hommes de ma famille, dont des adolescents d�� peine 14 ans � il �tait naturel que je sois rattrap� par l�histoire pour cong�dier l�amn�sie qui continue � y compris avec la sortie chahut�e du film �� entourer la sanglante guerre d�Alg�rie. Si j�interviens � ce stade c�est surtout pour pallier les omissions que le montage pilot� par J.P. Lledo aura commises. Il n�est point dans mon intention d�interf�rer sous quelques formes sur le devenir du documentaire qui est le produit exclusif des cogitations personnelles et probablement solitaires du r�alisateur. Au m�me titre que les autres t�moins de Skikda, j�ai eu � c�ur de contribuer, je dirai m�me avec beaucoup d�humilit�, de militer, pour promouvoir une vision clairvoyante de notre histoire commune. Ma rencontre avec J.P. Lledo, a �t� provoqu�e suite � la sortie du film Alg�rie mes fant�mes. Dans lequel, Roger Balestrieri, � aujourd�hui d�c�d�, � qui me liait une amiti� forg�e durant la guerre et entretenue par-del� les vicissitudes de la paix � � qui J.P. Lledo demandait s�il avait gard� des relations avec des Alg�riens. Roger s�en ira spontan�ment sortir une lettre que je lui avais envoy�e, dont il lira un passage. Passage qui sera repris � B�ni M�lek, lors du tournage du documentaire dont il est question. Je suis alors contact� par J.P. Lledo qui me fit part de son souhait de me rencontrer. Profitant d�un tournage sur un voyage de pieds-noirs originaires de l�Oranie, nous nous rencontrons une premi�re fois au CCF d�Oran o� a lieu la projection du film Alg�rie, mes fant�mes. Je l�accompagne sur le tournage de son reportage et nous faisons plus ample connaissance. C�est durant cette p�riode qu�il me parlera de sa volont� de tourner un autre documentaire sur la guerre d�Alg�rie, avec une partie qui serait consacr�e aux �v�nements du 20 ao�t 1955 � Philippeville, devenue Skikda. Sans h�sitation aucune, je lui donne mon accord. Le r�alisateur fait parler ma m�moire et me demande de lui indiquer les personnages qui pourraient �tre appel�s � t�moigner. S�en suivra une liste de 20 personnages dont je me rappelais. Une premi�re �bauche de sc�nario est �labor�e � Mostaganem. Les faits qui devaient servir de trame centrale au documentaire concernaient les �v�nements du 20 ao�t 1955 sur Skikda, nos relations avec les colons, la mort suspecte de mon oncle Lyazid et le d�part des colons � l�ind�pendance. Un t�moin encombrant Les deux personnages principaux qui devaient faire l�objet d�investigations et de t�moignages apparurent par consensus comme �tant Roger Balestrieri et la relation � la famille Mouats de B�ni M�lek. L�autre personnage n�est autre que mon oncle maternel Lyazid Mouats, un r�volutionnaire de la premi�re heure et dont la mort m�a toujours paru suspecte. Il apparaissait clairement que les �v�nements ayant entra�n� les tueries de civils � colons et musulmans �, durant cette p�riode allaient �tre au c�ur du d�bat. Ensuite il y eut une premi�re prise de contact avec les t�moins, que l�assistante de J.P. Lledo m�nera en compagnie de Kamel Mouats, un de mes cousins rescap�s des massacres de l��poque. Une fois ce travail pr�liminaire effectu�, je me rends � Skikda durant les vacances de printemps de l�ann�e 2006, pour entamer le tournage. Sur place, J.P. Lledo me fit part de la liste d�finitive des personnages � interviewer et d�une difficult� majeure � faire venir Mahmoud Da�boun, un personnage cl�, qui devait parler de la pr�paration de l�attaque du 20 ao�t et ses retomb�es sur la vie des maquis. Je projetais �galement de le questionner sur la mort de mon oncle Lyazid. Connaissant parfaitement le personnage � qui me lie encore une amiti� sinc�re et un respect ind�fectible forg� durant la guerre � lui �tait � l��poque responsable du maquis de la r�gion de Skikda et j��tais jeune �colier charg� du ravitaillement sous la responsabilit� de Z��na Mouats, ma m�re qui avait la charge d�approvisionner le maquis. Etant la s�ur cadette de Lyazid, elle �tait naturellement toute d�sign�e pour assurer ce travail de soutien logistique aux maquisards. Nous �tions h�berg�s avec pas moins de 85 femmes et enfants � la ferme des Balestrieri. Je rassurais de suite J.P. Lledo que je me chargeais de convaincre Mahmoud Da�boun d�apporter sa contribution qui me semblait essentielle. D�autant que le personnage est peu disert. Accompagn� de mon fils, j�obtins une rencontre avec Da�boun qui se termina par une vid�o dans laquelle l�ancien officier retracera avec d�tails toute la guerre d�Alg�rie, faisant un d�tour par la Guerre de Six jours sur le front de Suez. Du moment que dans le sc�nario, il devait intervenir le dernier jour, j��tais confiant quant � sa participation � la derni�re s�quence qui devait �tre tourn�e sur les hauteurs de B�ni M�lek, avec en arri�re-plan la mechta familiale. H�las, un manquement aux bons usages � � l�actif de J.P. Lledo qui, en sa qualit� de r�alisateur avait seul toute latitude pour organiser son tournage � dissuadera d�finitivement ce valeureux combattant, et t�moin de premier plan. J�avais certes des appr�hensions, mais je reste convaincu que si on avait fait les choses dans le respect du personnage, le film aurait eu un autre destin. J�ai comme l�impression que la participation de Da�boun n��tait pas souhait�e par J.P. Lledo. C�est pourquoi, je garde avec respect son pr�cieux t�moignage, qui fut un grand moment de solennit�, de v�rit� et d�humilit�. Il aura dit des choses sur l�amiti� entre les hommes et sur son impact sur les faits de guerre et les �checs des uns et des autres, qui donnent plus d��clairage sur certains �v�nements en rapport avec la guerre. Sa rencontre avec l�officier fran�ais au moment o� il venait prendre sa place au commandement de Skikda, la veille de l�ind�pendance, est un moment d�une rare solennit�. En acceptant de se passer de ce t�moignage, J.P. Lledo avait-il un quelconque pressentiment ? En tout cas Da�boun, le maquisard, en savait sur l�amiti� qui transcende les clivages que la pratique coloniale avait exacerb�s. Quand la R�publique s'�loigne du droit De part l�exp�rience de notre famille et des relations de bon voisinage que nous entretenions avec la plupart des colons de B�ni M�lek, il �tait �vident que notre destin commun avait r�ussi � sceller des rapports dont seuls les humains sont capables. Apr�s tout, n�est - il pas courant qu�entre le bourreau et le prisonnier s��tablisse une certaine complicit� qui frise au respect mutuel ? C�est cette d�rive toute naturelle qui convertit les sentiments de haine et de domination en une amiti� sinc�re. Malheureusement elle n�absout en rien les brimades et les privations, ni les manquements et les tortures que les uns peuvent faire endurer aux autres. Dans les terribles instants v�cus par ma famille � B�ni M�lek, suite au massacre de pas moins de 23 civils d�sarm�s et � la destruction de notre patrimoine, la dislocation de notre famille, la rapine de notre cheptel, le dynamitage de nos maisons et les destructions de nos r�coltes, il y eut cet instant de sublime clairvoyance chez la famille Balestrieri, dont le fils Roger, � peine la trentaine, osera d�fier l�ordre colonial pour venir panser nos blessures. Car c�est bien lui � au lendemain des massacres, alors que nous venions de passer la nuit � la belle �toile au milieu de nos maisons fumantes, avec les sanglots soutenus de nos m�res et de nos s�urs � qui �tait venu avec deux de ses ouvriers, ramener de l�eau et du pain. L�enfant de 5 ans que j��tais n�oubliera jamais cette image du colon qui vient porter un peu d�humanit�. Cette reconnaissance, nous sommes plus de 80 � l�assumer depuis 52 ans. H�berg�s � la ferme des Balestrieri, jusqu�� la fin de la guerre, nous lui serons toujours redevables d�avoir aid� � diminuer notre insoutenable peine. Dormant pour la premi�re fois sur la paille, en plein mois d�ao�t, comme du vulgaire b�tail, ne s�oublie pas. Car s�ils ont un seul d�faut, les orphelins de cette guerre c�est de n�avoir aucune aptitude � l�amn�sie. Ils n�oublient ni les actes criminels de la troupe � Aussaresse, ni le pain et l�eau des Balestrieri. Vouloir, comme tente de le faire J.P. Lledo, mettre sur un pied-d��galit� ces deux attitudes me semble totalement d�plac�, voire cynique. C�est pourtant ce qu�il aura tent� de faire dans son film. Durant le tournage mais �galement lors du montage. Chercher � compenser l�acte abject et injustifi� de l�arm�e coloniale � qui s�est traduit entre autres par la disparition jusqu�� nos jours et peut-�tre pour l��ternit�, des corps de nos parents � par l�humanisme sans limites de Roger et de Germaine, son �pouse, serait emprunter un raccourci qui ne blanchira pas l�arm�e fran�aise de ses crimes, ni n�ob�rera aucunement le geste valeureux et courageux de Roger et de sa famille. Bien s�r, ensuite il y eut la guerre. Avec ses morts et ses blessures ses assassinats et ses tortures ; mais pour ma famille, la pr�sence de Roger, les soins de Germaine, les habits de Mme Le Louarn, apportaient un peu de tendresse � une tribu �plor�e. Puis il y eut le cessez-le feu et les bombes de l�OAS, qui pr�paraient l�exode massif des pieds-noirs. Et leur accueil plus que condamnable de la France m�tropolitaine. Mais ceci est une autre histoire. La trahison des beaux-fr�res Car � l�origine, le film avait pour trame cette histoire de voisins qui avaient les meilleures relations du monde� colonial ! Des voisins sans histoires et sans probl�mes. D�un c�t� les riches colons, de l�autre les m�chants Arabes. L�id�e fort s�duisante de d�part ne pouvait que faire l�impasse sur les drames humains qui se sont tiss�s durant plus de 130 ans de colonisation. C�est pourquoi, d�s le d�but, les enjeux entre le r�alisateur et son partenaire �taient de garder la t�te froide et de faire preuve de lucidit�. Sans mutiler l�histoire, sans se renier et sans se laisser tenter par un h�ro�sme factice. Rester sto�que, ne pas se laisser aller � la facilit� ni verser dans l�autoglorification. C�est pourquoi, le choix de mon oncle Lyazid n�est ni fortuit, ni hasardeux, encore moins int�ress�. En quelques mots, il s�agissait essentiellement de comprendre comment un grand r�sistant que j�ai eu la grande chance de croiser au maquis, alors qu�il �tait de passage chez son p�re Belkacem, avait �t� entra�n� dans un traquenard. Durant la guerre, je l�avais rencontr� � deux reprises. La premi�re fois c��tait chez son p�re Belkacem, pour qui je gardais les vaches et la seconde fois, lors de son enterrement. Il pleuvait � torrent en ce mois de d�cembre et nous l�avions enterr� tout pr�t du marabout, en pr�sence de Roger Balestrieri et des soldats du REP qui l�avaient abattu deux jours auparavant. Il avait �t� accroch� par des �l�ments parachutistes non loin de la carri�re de St Antoine (El Hadaiek). Son unique guide � qui est �galement un membre de sa belle famille � l�accompagnait comme � son accoutum�e, sera miraculeusement �pargn�. Toute la famille parlait de trahison. Cette id�e ne me quittera jamais, m�me pas apr�s avoir confondu, gr�ce � J.P. Lledo, celui qui l�avait entra�n� dans le traquenard. Le documentaire aura beaucoup aid� � faire la lumi�re sur cette t�n�breuse affaire comme la r�volution en conna�tra par la suite. Ceux qui verront le film se rendront compte combien il �tait difficile de rassembler les t�moignages probants. L�autre volet que j�escomptais aborder �tait relatif au massacre gratuit, d�lib�r� et programm� de ma famille. Je pense sinc�rement que les interviews qui ont �t� r�alis�es lors du montage illustrent de fa�on tr�s convaincante que : - la colonne qui s�est �branl�e le 20 ao�t � partir de B�ni M�lek, afin de prendre la ville par les hauteurs, �tait bien la plus importante. Un t�moin oculaire, de surcro�t combattant convaincu, fera une description minutieuse des pr�paratifs ; il soulignera la pr�sence � proximit� de Sidi Ahmed, notre v�n�r� marabout, de nombreux responsables de la wilaya II (Nord constantinois) que commandait � l��poque le valeureux Ziroud Youcef. Ce qui d�montre de mani�re convaincante que c�est � partir de l� que devrait �tre donn� le signal de l�attaque. Impliquant de mani�re implicite notre famille dans l�accueil des combattants et la participation de plusieurs hommes valides � l�insurrection. - Le groupe que commandait Lyazid Mouats avait bel et bien emprunt� le chemin des Cr�tes pour prendre la ville en revers en longeant la muraille jusqu�au quartier du Montplaisant, qui domine la porte de Constantine. Le t�moignage personnel de Da�boun confirmera de mani�re inattaquable ces faits, - c�est sur ordre de Lyazid que la famille Messina (dont les enfants en bas �ge) sera �pargn�e par Lyazid en personne ; qui justifiera cette mansu�tude par le fait que c��tait seulement une famille de m�tayers. L�histoire retiendra que c�est ce Messina qui donnera le signalement de Lyazid et qui d�noncera la participation de toute notre famille � l�insurrection. La suite, ce sera, trois jours plus tard, l�encerclement de notre mechta et le d�ferlement des soldats conduits par Aussar�s en personne. Jusque-l�, j�avais r�ussi � reconstituer les faits inh�rents au massacre de ma famille et � la trahison qui aura co�t� la vie � Lyazid. Ensuite, j��tais parvenu � r�habiliter Roger et sa famille, gr�ce � des t�moignages saisissants de v�rit�. A ce stade du tournage, je pouvais objectivement rentrer � Mostaganem avec la satisfaction du devoir de m�moire accompli. Pourtant, sans aucune h�sitation, j�accompagnais J.P. Lledo � El Alia o� nous allions rencontrer un moudjahid qui acceptait de parler de sa participation � l�insurrection du 20 ao�t, qui allait provoquer morts et d�solation chez la population europ�enne. R�vision du proc�s d'El Alia A El Alia, je voulais savoir ce qui s��tait pass� ici, car � l��poque, je n�en avais aucune id�e. Mon vis-�-vis apportera un t�moignage d�une importance et aux implications insoup�onn�s. Ce massacre sur le versant ouest du Fil Fila, � plus de 20 km de B�ni M�lek pouvait-il justifier la r�action de l�arm�e d�occupation, 3 jours plus tard et qui visera particuli�rement la famille Mouats de B�ni M�lek ? La question n�a pourtant rien de saugrenu dans ma bouche. Malheureusement, le documentaire fera l�impasse sur cette r�alit� que toute la presse d�alors n�h�sitait pas � rapporter ; se faisant largement l��cho des appels � la vengeance de la part des plus hautes autorit�s coloniales. Ce qui entra�nera la r�pression sans discernement et de mani�re disproportionn�e qui d�ferlera sur toute la r�gion. En tous cas, le r�cit fait par ce combattant, m�aura �clair� sur plusieurs aspects de mon questionnement initial. Ce t�moin, qui sera intervenu en toute responsabilit� et en connaissance de cause, donnera un �clairage suffisamment �loquent sur la volont� des dirigeants de la r�volution de terroriser la population d�origine europ�enne. Fallait-il donner la parole � ce moudjahid ? J�avoue que la question ne m�a, � aucun moment effleur� l�esprit. A partir du moment o� il s�agit d�un t�moin, il �tait de mon devoir de lui laisser la libert� de ses propos. Quitte � subir par la suite la vindicte de mes concitoyens, surtout lorsque le r�alisateur prendra la libert� de faire l�impasse sur une partie du d�bat qu�il a pourtant film�e. Il faudra expliquer pourquoi le montage reprend uniquement les massacres de femmes et d�enfants ? Pourtant, ce moudjahid parlera longtemps de la mani�re dont les insurg�s rejoindront tranquillement la montagne, �chappant ainsi au ratissage de l�arm�e. La r�pression qu�Aussar�s raconte avec d�lectation dans son livre, aura concern� 72 innocents, dont des ouvriers originaires de A�n Oulm�ne (S�tif), venus travailler � la mine. Le g�n�ral sanguinaire reconna�tra avoir fait tuer sommairement ces prisonniers, sans aucune forme de proc�s. Il serait �tonnant que J.P. Lledo n�ait pas �t� inform� de ces d�passements au moment du tournage. L�avocate Gis�le Halimi qui avait assur� la d�fense des 44 pr�venus � en compagnie de L�o Matarasso � lors du proc�s de 58, rappelle comment elle �tait arriv�e � la conclusion que ces prisonniers n�avaient strictement rien � voir dans cette tuerie. Ceci n�emp�chera pas le tribunal militaire, dans un premier verdict, de prononcer 15 condamnations � mort. La r�vision du proc�s qu�elle ne cesse de r�clamer bute encore sur la raison d�Etat. Le t�moignage de premier ordre de ce combattant, devrait aider � faire toute la lumi�re sur cette affaire. Il constitue incontestablement une pi�ce ma�tresse � verser au proc�s en r�vision que l�avocate ne cesse de r�clamer, en vain. L�occulter, comme vient de le faire J.P. Lledo, ne sert pas l�histoire tourment�e de ce pays. Focaliser sur les massacres d�innocents europ�ens et fermer l��il sur la r�pression par l�arm�e fran�aise des populations civiles autochtones, ne peut aider � r�tablir la v�rit�. C�est pourquoi, j�ai jug� n�cessaire d�apporter les explications et les propos que j�ai tenus mais que le montage aura pass�s sous silence. Ayant v�cu ces �v�nements dans ma chair, au m�me titre que les familles des mineurs d�El Alia � de tous les mineurs, fran�ais et alg�riens �, il me para�t juste de dire certaines v�rit�s que le film n�aurait pas d� taire, car elles sont la v�ritable histoire. A la fin du tournage, j�affirme ici que J.P. Lledo avait � sa disposition des t�moignages pr�cieux, puis�s aux meilleures sources qui sont les acteurs de ces �v�nements pour d�montrer de mani�re irr�futable et pour la premi�re fois : - quelle que soit l�opinion que l�on peut avoir du r�le de Ziroud Youcef et de ses compagnons, dont mon oncle Lyazid Mouats, il appara�t clairement que ce responsable aura fait le seul choix qui s�imposait � la r�volution pour s�ancrer dans la population et pour interpeller l�opinion internationale sur cette r�alit�. Dans une contribution au Soir d�Alg�rie, Lakhdar Brahimi, � l��poque en poste � Djakarta comme repr�sentant du FLN, aura soulign� avec acuit� l�apport de cette insurrection sur le plan international. J.P. Lledo avait-il le droit de donner libre court � ses pulsions, somme toute recevables ? N�a-t-il pas trahi le contrat moral qui le liait aux t�moins et qui doit r�genter la narration des faits comme le ferait un journaliste ou un historien ? Pourquoi n�avoir retenu que les passages qui le confortent dans sa lecture du drame alg�rien ? La perception des autres parties en conflit ne serait-elle pas humainement recevable ? - Qu�il est ind�niable que les responsables de l�insurrection auront eu recours au ciment de l�Islam pour galvaniser la population et provoquer son adh�sion. Cet aspect appara�t clairement dans les t�moignages et lors de mon ultime intervention qui aura �t� pass�e sous silence lors du montage, lorsque, suite � une question r�currente de J.P. Lledo, je lui rappelais qu�� la veille du 1er Novembre, il y avait eu la politique de la terre br�l�e de Bugeaud et de Lapasset, qu�en mai 1845, Cavaignac et le sinistre Lamorici�re avaient ordonn� et conduit les enfumades du Dahra, qu�un si�cle plus tard, le 8 mai 1945, 45 000 victimes tomberont sous les balles � Guelma, S�tif et Kharrata, que le bidouillage des �lections sous l��gide de Naegellen avait sonn� la mise � mort de la solution politique, favorisant ainsi le recours aux mitraillettes. Vouloir � tout prix d�montrer que l�appel au djihad n�a rien � voir avec l�esprit r�volutionnaire et d�nier aux responsables de l�insurrection le droit de se r�clamer des valeurs ancestrales de l�Islam au d�triment de la r�volution telle que les manuels la d�crivent, c'est-�-dire pure et magnanime � la fois, ne d�note-t-il pas d�un ang�lisme de salons ? Une r�pression aveugle C�est ce chemin de traverse que le r�alisateur aura tent� de me faire emprunter. Une id�e fixe dont il ne se d�partira pas jusqu�au montage final. Durant le tournage, j�avais soulign� que pour un peuple qui aura endur� les pires atrocit�s durant la terrible pr�sence coloniale, il n�y avait d�autres alternatives que celle de la confrontation � armes in�gales. Parler du djihad comme le feront les combattants du 20 ao�t 55 � les t�moignages de tous les Mouats et des Khazeri (m�tayers chez Roger Balestrieri) semblait d�ranger les projets du r�alisateur. Vouloir opposer � et JP Lledo ne s�en privera pas � les armes de l�Otan aux couffins de Hassiba Ben Bouali ou de Djamila Bouazza, n�est-ce pas faire le lit de la n�gation ? Or, durant le tournage et les rushes sont l� pour en apporter la preuve, ces questions ont �t� abord�es avec s�r�nit� et sens de l�honneur. Pour moi, et je le souligne avec force, il n�est et il n�a jamais �t� question de mettre sur un pied d��galit� les combattants alg�riens et l�arm�e d�occupation. Combien de fois ai-je soulign� que le recours au djihad par les responsables du FLN n��tait que la cons�quence de la fermeture � triple tour du d�bat politique, de l�insoutenable r�pression, du d�ni de justice et de l�absence de d�mocratie ? Les �lections de Naegellen sont � cet �gard la preuve que les gros colons s��taient install�s dans un confort dont ils ne voulaient � aucun prix se d�faire. Le lendemain des massacres douloureux d�El Alia, il n�y avait qu�une seule attitude qui e�t �pargn� � l�Alg�rie cette r�pression aveugle et sans discernement. A partir du moment o� les insurg�s �taient consid�r�s comme �tant des �hors-la-loi�, il appartenait � la r�publique fran�aise de les traiter comme tels. De les poursuivre et de les traduire devant les tribunaux. Leur condamnation y compris � la peine capitale �peine que je r�prouve y compris pour les assassins de ma famille � aurait sauv� les apparences, et �pargn� � la nation de la D�claration universelle des droits de l�homme d�ouvrir une br�che vers la pratique syst�matique de la torture dont les premi�res victimes auront �t� ces populations d�El Alia, de B�ni M�lek et de Zef- Zef. Quoi de plus normal que des �hors-la -loi� soient poursuivis et condamn�s, d�autant que la R�publique poss�dait tout un arsenal juridique pour cela. Au lieu d�une traque et d�un proc�s, elle aura choisi de recourir � la loi du talion qui ne peut en aucune mani�re l�honorer. Elle fit exactement ce que des insurg�s forts ing�nieux venaient de lui sugg�rer. Pour venger les 37 morts d�El Alia � il y eut selon diff�rentes sources 72 victimes europ�ennes durant la journ�e du 20 ao�t, la France officielle s�en ira massacrer sans discernement les populations, rasant des dizaines de douars entiers. Les bilans les plus s�rieux font �tat de pas moins de 12 000 morts en l�espace de 72 heures. M�me Yves Courri�re parlera de 1 200 victimes. La g�n�ralisation de l��tat d�urgence � tout le pays interviendra le 23 ao�t 1955. Le jour o� la soldatesque coloniale allait investir notre douar et y perp�trer ses crimes de guerre. C�est ainsi que la R�publique se met au service d�une minorit� d�ultras. La guerre d�Alg�rie venait r�ellement d��clater, sous les fr�nes s�culaires de Sidi Ahmed. Le bain de sang dont r�vait Ziroud Youcef et ses proches, c�est l�arm�e fran�aise et les ultras qui l�alimenteront. La peur venait de changer de camp. La d�tresse aussi. Dans ces moments de folie collective, le petit Arabe du coin n�oubliera pas de sit�t le geste � combien courageux de Roger et des siens. C�est cette cruelle v�rit� que JP Lledo avait dans son sac en quittant Skikda. Au lieu de la restituer avec professionnalisme et rigueur, il pr�f�ra la tronquer contre un d�bat st�rile entre la r�volution prol�tarienne et internationaliste et le juste combat d�un peuple qui r�clamait plus de libert�, plus d��quit�, plus de droit. Son documentaire aurait pu aider � l��clatement de la v�rit�, de toute la v�rit�. Il aura fait le choix d�un parti-pris malencontreux. L�ayant accompagn� dans cette aventure difficile et douloureuse, je sais que les pressions qu�il a endur�es lui auront jou� un mauvais tour. Contraint de remettre sa copie dans les d�lais, il n�aura pas pris le soin de revoir avec suffisamment de recul ses rushes qui sont d�une richesse incalculable pour notre m�moire. Cependant, faut-il pour autant faire obstacle � la diffusion de ce film ? Ma r�ponse est sans �quivoque. Je suis pour sa diffusion et j�appelle � un vrai, serein et grand d�bat. Au moment o� le mot repentance prend des connotations p�joratives, il serait temps de revenir � la r�alit� coloniale telle qu�elle s�est exprim�e, non seulement durant la guerre d�Alg�rie, mais depuis la prise d�Alger, le 5 juillet 1830. Non pas pour convoquer les morts et les disparus, mais juste pour que rien de pareil ne se reproduise � jamais. Quant � mon compatriote et n�anmoins ami J.P. Lledo, il nous doit une revanche sous la forme d�une s�rie de DVD o� il donnera seulement la parole � ses t�moins. De chaque c�t� de la mer, les nouvelles g�n�rations et les plus anciennes apprendront en conscience que ce qui s�est pass� ici, en terre d�Alg�rie, n�honore ni la France, ni l�humanit�. Qui a laiss� faire une succession de massacres et de d�nis qui auront � leur tour engendr� des douleurs incommensurables chez ceux qui les ont subis ? Alors, sans jeter la pierre � personne, peut-�tre que les galets nous restitueront notre propre histoire, dans toute sa laideur et dans toute sa splendeur. Sans rancune ni esprit de revanche. Peut-�tre qu�apr�s celui du g�n�ral de Gaulle, le discours de Nicolas Sarkozy � Constantine � dans lequel il fit express�ment allusion aux �v�nements du 20 ao�t 55 � parviendra � b�tir une autre relation, faite d��quit�, d��galit�, de fraternit� et de responsabilit�. Faute reconnue est � moiti� pardonn�e. Un adage bien fran�ais que la France officielle s�honorerait de m�diter avec gravit� et profondeur. Aziz MOUATS