Faute de réglementation, le marché de l'art en Algérie ne peut être évalué, et par conséquent ne permet pas aux artistes d'évoluer. Entre surenchères, ventes aléatoires et acquisitions douteuses, toutes les dérives sont permises. «La question du marché de l'art en Algérie est étroitement liée au statut de l'artiste. On ne peut ignorer cela et entamer des débats non constructifs autour d'une économie engendrée par des œuvres d'art», explique Halim Ben Khoudja, économiste et collectionneur privé, qui a passé plus de deux décennies à acquérir des œuvres d'art d'artistes algériens en les exposant parfois dans des espaces privés en Algérie et à l'étranger. «Un marché proprement dit dédié à l'art n'existe pas, car il n'est pas légal, il n'est pas soumis à des lois et une réglementation comme dans d'autres pays. Cependant, depuis des années, on assiste à un marché parallèle qui s'est imposé et qui doit être pris en considération, c'est-à-dire qu'il doit être structuré par des professionnels», explique-t-il. Au ministère de la Culture, la question n'est pas à l'ordre du jour, il y a des discussions que voudrait régler la ministre actuelle, Nadia Labidi, sans pour autant aller vers une «démarche pratique et exécutive puisque ce n'est pas son rôle dans l'immédiat», nous confie une source au ministère. «Il y a eu beaucoup de propositions faites à notre ministère de la part de collectifs d'artistes connus, de particuliers et d'associations, le ministère n'a jamais été capable d'enclencher le processus pour établir un marché autour des œuvres d'art algériennes, ceci a malheureusement donné lieu à des dérives et à un trafic international», explique-t-elle, tout en affirmant que des centaines d'œuvres se retrouvent à l'étranger : «Au ministère, l'acquisition des œuvres d'art d'artistes algériens est automatique. Chaque année il y a un quota commandé aux artistes du secteur public et du privé. Ce qui est dommage, c'est le fait que ces acquisitions ne vont pas forcément dans nos musées ou galeries, mais elles se transforment souvent en cadeaux offerts à des individus peu recommandables ! L'affaire de l'ex-ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, accusé en 2011 d'avoir volé plus de 170 œuvres d'art, illustre très bien mes propos. Plusieurs ministères font appel à nous pour acheter des œuvres, ce qu'ils en font dépasse notre rôle, donc il n'y a aucun moyen de pouvoir suivre la vie d'une œuvre.» Détournement Pour qu'un marché de l'art existe, il faudrait que des galeries et des musées soient ouverts en permanence pour les accueillir. En avril dernier, lors de la présidentielle, les partisans de Bouteflika ont mobilisé les espaces dédiés aux arts plastiques dans plusieurs villes pour en faire des sièges de soutien. L'exemple le plus concret est la galerie Mohamed Racim sur l'avenue Pasteur qui, du jour au lendemain, a été détournée en sanctuaire pour le candidat Bouteflika. «J'ai été révoltée de voir des posters de Bouteflika collés partout dans la galerie, alors que des artistes se battent depuis des années avec l'Union nationale des arts culturels (UNAC) pour pouvoir exposer», s'indigne Nacéra Mohamedi, artiste, qui n'a jamais pu exposer ses œuvres en Algérie. Banques «Le manque de galeries, à mon avis, est un problème que l'Etat doit régler. On ne peut pas exposer chez nous, ni faire exposer des artistes étrangers tout en suivant les normes internationales. Combien de galeries existe--t-il en Algérie pour prétendre à cela ? Dans les autres wilayas, les artistes exposent dans des halls de maison de culture ou dans des salles d'exposition, ce n'est pas un procédé normal», affirme-t-elle. Pour l'artiste Mustapha Sedjal, qui vit et travaille en France, il est «difficile d'appeler le peu de galeries qui existent en Algérie ‘‘des galeries'' au sens propre». Le marché de l'art doit «se faire avec l'artiste, les galeristes et les critiques, c'est toute cette composition qui fera la différence. En Algérie, on a deux pseudo-critiques, quelques galeries non réglementées, l'Etat a le monopole, donc aujourd'hui il est encore difficile de parler de marché. Ce n'est pas le même cas, par exemple au Maroc, où il existe des mécènes, des fondations, des revues dédiées à l'art, des artistes en vogue…» Encore plus amer et catégorique, Sedjal confie que «50 ans plus tard, parler de marché de l'art, c'est un peu trop tard !» Par ailleurs, Djamel Bouali, artiste plasticien, militant culturel, natif de Béjaïa, prône le «collectionnisme». Selon lui, c'est ce qui aidera l'émergence du marché de l'art en Algérie. L'artiste déplore qu'il n'y ait pas de «politique d'achat et d'acquisition d'œuvres d'art. Les entreprises nationales ne jouent pas le jeu et c'est regrettable. Aujourd'hui, ce sont des banques privées et étrangères qui organisent des concours et encouragent l'achat de nos œuvres, l'Etat doit initier des projets et créer une réglementation propre», explique-t-il.