La conjoncture économique mondiale peut-elle supporter une nouvelle hausse du prix du pétrole de plus de 10 dollars ? Une grande partie de la réponse se trouve aux Etats-Unis, où le parc automobile seul consomme 11% du pétrole mondial. Le président Bush veut devenir le nouveau champion de l'après-pétrole. Il propose le nucléaire en tête des alternatives.La nouvelle flambée des prix du pétrole fait, cette fois, peur aux économies occidentales dont les plus puissantes étaient l'invité de Poutine ce week-end en Russie pour le sommet du G8. Le franchissement du plafond des 80 dollars le baril est attendu comme une fatalité par de nombreux analystes qui soulignent la conjonction de plusieurs facteurs qui pourrait transformer "l'atterrissage de la conjoncture" en cours en une récession, et d'abord aux Etats-Unis. La crise est d'autant plus menaçante qu'elle coïncide avec une phase de ralentissement de l'économie américaine, qui doit réussir à passer la vitesse inférieure sans caler au passage. "Les événements géopolitiques peuvent-ils transformer l'atterrissage en récession ? Absolument", répond Bernard Baumohl de l'Economic Outlook Group. "L'escalade des violences au Proche-Orient et la hausse des taux d'intérêt dans le monde amènent à se demander si les Etats-Unis connaîtront un ralentissement beaucoup plus marqué au second semestre", selon lui. Les analystes américains intègrent - culturellement - les "violences au Proche-Orient" comme un facteur principal de hausse des prix, souvent avant même les facteurs lourds de croissance de la demande énergétique mondiale et de la faible disponibilité d'une offre additionnelle. Les conséquences d'un pétrole plus cher encore de 12 dollars le baril en moyenne annuelle pour l'économie américaine risquent d'être multiples. D'abord par le biais de la consommation, car les voitures américaines absorbent à elles seules 11% du pétrole mondial. Toute hausse des prix de l'essence vient amputer le pouvoir d'achat des consommateurs américains, par ailleurs lourdement endettés. Vendredi le département du Commerce a annoncé que les ventes de détail avaient reculé de 0,1% en juin. "Les consommateurs rognent sur leurs dépenses et avec la flambée des prix du pétrole, ce phénomène risque de se répéter", estime l'économiste indépendant Joel Naroff, pour qui "cela n'augure rien de bon pour la consommation". Or les dépenses de consommation représentent près des trois quarts de la croissance aux Etats-Unis. Si les Américains arrêtent de dépenser, c'est l'économie toute entière qui en paiera le prix. "Le second semestre pourrait être plus faible que beaucoup ne le pensent. Ce ne sera pas la récession, mais ce ne sera pas rose non plus", estime M. Naroff. Lutter contre l'inflation ou pour la croissance ? L'inflation dans les pays de l'OCDE a généralement était peu dopée par la montée historique des cours du pétrole depuis deux ans. Cela pourrait ne plus être vrai au-delà d'un seuil que l'on pressent imminent. Mi-juin le président de la Réserve fédérale (Fed) Ben Bernanke s'était inquiété des conséquences de l'énergie chère, jugeant qu'une forte hausse des prix pouvait "à la fois ralentir la croissance et augmenter l'inflation". De son côté Peter Morici, professeur d'économie à l'université du Maryland prévient : "Les conditions des marchés pétroliers vont continuer à faire grimper l'inflation", C'est tout le pilotage de l'économie américaine et à travers elle de la conjoncture mondiale qui en devient fort problématique. En effet les autorités monétaires américaines, mais aussi européennes et japonaises sont rentrées dans un cycle lent de remonter des taux de base clôturant une longue période de soutien à la croissance par le crédit bon marché. Les produits pétroliers ont beau ne compter que pour moins de 6% dans la panier des prix dans le G8 (hors Russie), une persistance de leurs cours élevés obligera à un resserrement plus accéléré de la politique des crédits et menace d'étrangler une croissance déjà fort précarisée par les déficits publics et l'endettement privé sur lesquels elle navigue. "De nouvelles hausses de taux ne feront qu'augmenter les risques d'un passage très déplaisant par la stagflation", en donnant un coup de frein à la croissance, estime M. Morici. Lutter contre l'inflation qui pointe dans le sillage du pétrole à 80 dollars le baril ou continuer à avantager la croissance par le financement de l'investissement et de la consommation ? Le dilemme est d'autant plus délicat que l'actionnariat populaire aux Etats-Unis menace de perdre le moral avec, ajouté à la persistance de la cherté du prix de l'essence, la baisse de son patrimoine boursier. En trois jours, recouvrant l'offensive de Tsahal au Sud-Liban, le Dow Jones a perdu près de 400 points, et "il est très difficile d'estimer où se situe le niveau plancher d'un marché en cas d'escalade des tensions", estimait Frederic Dickson, stratège chez D.A. Davidson and Co. La perte de confiance des ménages n'est pas loin. Le contrecoup sur la consommation pourrait faire de sérieux dégâts sur l'activité aux Etats-Unis. Le seul intérêt de ce tableau serait que les milieux d'affaires américains exercent une pression plus franche sur le président Bush afin qu'il intervienne dans le sens de la modération vis-à-vis d'Israël lancé dans un cycle d'agression d'une brutalité effrayante contre les territoires palestiniens et le Liban. Dans l'opinion américaine, les sorties en campagne de Tsahal ont une incidence de plus en plus directe sur " l'American way of life". Les réponses de George W. Bush Le président Bush a commenté cette actualité fort préoccupante à la veille de l'ouverture du G8 de Saint-Pétersbourg. Dans un entretien avec Handelsblatt, publié en Français par La Tribune (France), le président des Etats-Unis fait le point, entre autres questions, sur les enjeux énergétiques. " Je pense globalement que nous sommes trop dépendants des hydrocarbures, qui proviennent en partie de régions instables. On peut s'en accommoder à court terme. Mais à long terme, au moins pour les Etats-Unis, il en va de la sécurité énergétique nationale. Le seul moyen de résoudre le problème est de diversifier l'approvisionnement pour se rendre indépendant des carburants fossiles. Je pense que cela serait bénéfique pour l'ensemble de la communauté internationale". Le président américain s'était engagé déjà dans son adresse sur l'Etat de l'Union fin 2005 à dépenser plus fortement afin de développer les nouvelles énergies. A Saint-Pétersbourg, ce thème des énergies alternatives a trouvé pour la première fois une place digne de son importance dans l'agenda des plus riches pays du monde. La réponse stratégique face à la tendance historique au renchérissement des hydrocarbures n'est pas pour autant semblable pour tous les pays industrialisés. Le président Bush a mis le nucléaire au centre de la riposte énergétique." Pour moi, l'énergie nucléaire, compte tenu des craintes sur le réchauffement de la terre, est un élément clé. Pour un défenseur de la nature, l'utilisation pacifiste du nucléaire est à mon avis une bonne solution. Mais c'est une décision politique fondamentale que chaque pays doit prendre en son âme et conscience". Les Allemands en choisissant de sortir du nucléaire sur le long terme ont choisi une autre voie et la défendent - sans enthousiasme avec Angela Merkel - dans le G8. Utilisation pacifiste du nucléaire ? C'est bien la revendication de l'Iran. George Bush est favorable à l'encouragement au recours à cette filière - qui permet notamment la production d'électricité - mais pour les pays émergents gros consommateurs de pétrole et de gaz : nous collaborons étroitement sur ce dossier avec l'Inde et la Chine. Il est de l'intérêt commun que ces deux économies à forte croissance reportent leur appétit en carburants fossiles sur le nucléaire. Cela vaut d'ailleurs pour l'ensemble des pays en voie de développement. C'est pour cela d'ailleurs que nous coopérons avec le Japon, la Russie, la France et le Royaume-Uni pour investir plus d'argent dans le développement des surrégénérateurs. Ces derniers permettent de retraiter les déchets nucléaires, les brûler et au final les réduire. Nous avons espoir que grâce à cette technologie, le développement de nouveaux réacteurs nucléaires devienne politiquement acceptable aussi dans d'autres pays". La réponse présidentielle américaine prévoit également un changement dans l'utilisation des carburants : " L'objectif serait que les autos soient capables de rouler sans essence sur les 60 à 70 premiers kilomètres. Il est imaginable également de recourir à l'essence-éthanol ou à des moteurs à hydrogène. J'ai promis aux Américains de consacrer des milliards de dollars aux nouvelles technologies. Pour les présidents qui me succéderont, il ne sera plus question de régler l'approvisionnement avec une seule source d'énergie. Nous investissons déjà plus d'un milliard pour les technologies liées à l'hydrogène. A mon avis, c'est l'ensemble des acteurs mondiaux qui doivent aujourd'hui travailler dans cette direction". A moyen terme, la flambée des prix du pétrole a peut-être du bon pour l'ensemble de l'économie mondiale.