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Où est le juste prix?
PETROLE, APOCALYPSE ET CHANGEMENTS CLIMATIQUES
Publié dans L'Expression le 23 - 10 - 2008

«Si vous contrôlez le pétrole, vous contrôlez le pays; si vous contrôlez l´alimentation, vous contrôlez la population.» Henry Kissinger
16% de la population mondiale se partagent 75% de la consommation mondiale de pétrole. En moyenne, quatre barils de pétrole sont consommés par habitant et par an dans le monde, mais ce chiffre s´élève à 20 par Américain, 12 par Européen et seulement 1,5 par Chinois. On a consommé jusqu´à aujourd´hui, entre 850 et 950 milliards de barils de pétrole conventionnel. Il resterait à produire (réserves existantes et celles restant à découvrir) près de 1000 milliards de barils. La hausse de la consommation pétrolière mondiale proviendrait pour les deux tiers des transports, en particulier routiers. Leur part dans la demande finale de produits pétroliers devrait progresser de 50% en 2000 à 60% en 2030. Le pétrole reste difficilement substituable dans les transports qui dépendent à 97% des produits pétroliers. Le Proche-Orient détient environ 700 milliards de barils d´or noir dans son sous-sol, contre 130 milliards de barils pour l´Amérique du Sud (avec le Mexique), 80 milliards pour l´Europe (mer du Nord et Russie) et 50 milliards de barils pour les Etats-Unis (avec l´Alaska). Le reste du monde (dont l´Afrique) détiendrait 130 milliards de barils de réserves.
Le dollar s´est déprécié en moyenne de 13%, et le baril a perdu 55%, le rapport est de 1 à 4. On ne peut donc pas invoquer le raffermissement du dollar. La crise est là, on nous promet une bonne récession, l´AIE ne s´arrête pas de changer ses prévisions de croissance. Le FMI bouche l´horizon. On nous dit que les Etats-Unis ont consommé à peine 18 millions de barils /jour contre 21 auparavant. On nous dit que les spéculateurs ont quitté le pétrole et les matières premières et vont se nicher dans la spéculation sur le pétrole. En clair, c´est la panique pour les potentats rentiers de l´Opep. D´autant qu´en termes à peine voilés, elle est menacée si elle diminue sa production qui risque de compromettre la remise en marche de la machine économique occidentale
Qu´en est-il vraiment de cette menace? Voilà des gouvernements industrialisés qui ont mis sur la table 3000 milliards de dollars pour sauver des banques en faillite du fait de l´incurie du système financier qui absout les patrons qui, dit-on, renoncent à leurs parachutes dorés, sans oublier naturellement que leurs salaires, même en retraite, se comptent en dizaines de milliers de dollars. L´augmentation du pétrole d´un dollar, c´est 85 millions de dollars par jour sur l´année. A 80$ en moyenne sur 2008 la rente a rapporté aux pays de l´Opep, avec 30 millions de barils/jour, l´équivalent de 800 milliards de dollars soit à peine plus de 25% de ce que les pays occidentaux ont déboursé en une fois pour sauver leurs banques avec l´argent du contribuable. Souvenons-nous du tollé de juillet avec un litre d´essence à
1,5 euro en France, incriminant l´Opep pour les hausses successives. Paradoxalement, quand le prix a commencé à dégringoler il a été difficile de trouver l´évolution du pétrole tant celle-ci est passée au second plan.
Quel est le juste prix pour le pétrole?
"Est-ce normal qu´un baril de coca coûte plus cher qu´un baril de pétrole?", s´interroge, scandalisé, le président Hugo Chavez, connu pour ses formules percutantes? Il faut savoir qu´avec 1 litre de pétrole, je peux produire 10 kWh soit l´équivalent de 120 dinars en Algérie où le coût de l´électricité est bradé, provoquant de ce fait une gabegie dans l´utilisation. En France, à titre d´exemple, l´énergie coûte six à huit fois plus cher (le litre d´essence valait 1,6 euro en juillet soit 7 fois le prix de l´essence en Algérie). Au vu de ses réelles possibilités même à 200 dollars, le pétrole n´est pas cher. En fait, le prix du pétrole, malgré ce que disent les spécialistes qui peuvent tout expliquer a posteriori, souvenons-nous les études de l´AIE de 2005 qui prévoyaient un prix du pétrole qui ne dépasserait pas 30 dollars en...2030! Au début des années 80, le pétrole était donc bien plus cher que maintenant puisqu´il était, en $ de 1998, à près de 70 $. Mais une deuxième correction de parité s´impose afin de mettre le cours au dollar de 2004. Ainsi, selon le site du ministère de l´Economie, des Finances et de l´Industrie, le cours moyen du dollar lissé par an était de: en 1998: 5,89960 Frs pour 1 $. En 2004: 1,24333 $ pour 1euro. La parité euros/frs est fixée à 6,55957 frs/euros selon Boursorama. Nous passons tous ces chiffres en $ de 2004: 1 $ de1998 = 5.89960/6.55987 euros = 0.899 euro.
En 1998, il fallait donc 1/0.899 = 1.11 euro pour obtenir 1 $. Nous obtenons donc logiquement la parité $ (1998)/$ (2004): 1 $ de 1998
= 1.11*1.243 = 1.38 $ de 2004. Il vient un cours du pétrole, en $ de 2004, entre 1978 et 1981 à plus de 60*1.38 = 82.8 $ le baril avec un pic en 1980 à 69*1.38 = 95.22 $ le baril!!! Et donc, durant 3 années le baril a été plus élevé que 82 $! Alors, qui a dit que, le pétrole était cher actuellement? D´un point de vue du pouvoir d´achat, le pétrole est trop cher, plus personne ne pourra bientôt rouler? C´est faux...car le pétrole, rapporté au pouvoir d´achat, c´est-à-dire au Smic en Europe, a déjà été beaucoup plus cher! Ainsi, en 1980, il fallait près de 15 h de Smic pour se "payer" un baril de pétrole brut alors qu´en 2004, il en fallait un peu moins de 4 h! Pour faire court, le prix actuel de 72 $ n´a pas rattrapé, toute chose égale par ailleurs, le prix de 1980 en dollars constants. Si on veut s´aligner sur l´inflation d´autres matières premières, à titre d´exemple, l´once d´or valait 30 dollars en 1978, en 2008, elle a eu des pics à 1000 dollars le prix.
Tout le monde le sait: les carburants pétroliers sont lourdement taxés. Mais quels sont précisément le poids et la nature de ces taxes et comment sont répartis les différents coûts d´un litre de carburant? Sur la base d´un litre de carburant pétrolier vendu 1,02 euro, voici ce qui compose ce prix sur la parité suivante: 1,2$ = 1 euro (puisque le brut est coté en $) et ceci pour la France. Il est assez facile de simplifier le coût d´un litre de carburant de la manière suivante:
- 6/10 de taxes, donc bénéfices pour l´Etat - 2/10 de chiffre d´affaires pour les compagnies pétrolières - 2/10 de redevances donc de bénéfices pour le pays producteur. Nous voyons, une fois de plus, que la part des pays producteurs ne représente que 20% du prix définitif du pétrole. (1)
Ce que je veux dire, c´est que les impondérables- comportements irrationnels- la géopolitique- sont plus importants que "les fondamentaux" qui permettent de borner les prix du pétrole. Il est hors de doute qu´une grande partie de la décision sur le volume de production d´une façon aussi pressée au vu de la dégringolade que rien ne semble arrêter, doit tenir compte de plusieurs facteurs qui apparaissent mineurs, la possibilité d´une récession qui fera que la demande sera déprimée, d´un autre côté l´Arabie Saoudite ne voudra pas compromettre ses relations avec la nouvelle administration américaine qui, nous dit-on, serait plus favorable au Protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre et, par voie de conséquence, à une diminution de la consommation des énergies fossiles au profit du développement des énergies renouvelables. Ceci amène, en théorie, à rendre plus cher l´accès aux pétroles pour rendre compétitifs ceux qui ne peuvent pas l´être à moins de 80 $ le baril. Ceci est d´autant plus plausible que pour les Etats-Unis, un prix de pétrole élevé, paradoxalement, arrange les petits producteurs américains dont les puits ne sont pas rentables avec un prix du pétrole bas. A l´autre bout du curseur, un prix élevé permet le développement des pétroles en mer profonde dont les coûts d´extraction font appel à des technologies pointues et un personnel hautement qualifié. Il permet, malheureusement aussi, le développement des schistes bitumineux de l´Alberta au Canada, qui font de ce pays un gros pollueur.
Petit flash-back sur les prix du pétrole: jusqu´à 1960, les prix du pétrole étaient déterminés par le cartel des multinationales, principalement américaines, issues de la Standard Oil, de BP, de Shell et à un degré moindre de la CFP devenue plus tard Elf, puis Total Elf Fina et enfin le groupe actuel Total des sept soeurs: "le sette sorele" selon l´expression d´Enrico Matteï. L´avènement de l´Opep n´a fait illusion que pendant la période 1960 -1980. Vingt ans plus tard, en juillet 2008, la situation est revécue, l´Arabie Saoudite et l´Opep "décident", sous la pression américaine, d´augmenter le volume de production. Cela ne s´est pas vu immédiatement, mais à partir du 11 juillet, le prix du pétrole commençait sa descente. La réunion de l´Opep venue trop tard et avec peu d´ambition n´a rien pu faire. Mieux, elle annonce que la prochaine réunion se fera à Oran le 17 décembre. Début octobre on l´avance au
18 novembre. Mi-octobre, c´est la panique, elle est prévue, pour demain vendredi.
Quelles sont les conséquences?
Depuis son record du 11 juillet à 147,50 dollars, le prix du baril a baissé de près de 50%. A quel niveau peut-il se stabiliser? Les mouvements spéculatifs et les incessants allers-retours des investisseurs sur le brut, rendent la réponse difficile. Récemment, la banque d´affaires Merrill Lynch n´a pas exclu un plancher de 50 dollars, son niveau de début 2005. Ce seuil est inacceptable pour tous les pays producteurs. Aujourd´hui, l´Iran et le Venezuela défendent un prix plancher de 100 dollars, tandis que le président de l´Opep, l´Algérien Chakib Khelil, parlait récemment de 80 dollars. "Il semble qu´une baisse du plafond de production d´un à trois millions de barils par jour sera discutée lors de la réunion du 24 octobre à Vienne," a déclaré Mohammad Ali Khatibi, cité par l´agence Mehr. Le cartel est censé produire actuellement 28,8 millions de barils de pétrole par jour. Début octobre, le ministre iranien du Pétrole, Gholam Hossein Nozari, avait estimé qu´un baril de brut à moins de 100 dollars " ne convenait à personne, ni aux producteurs ni aux consommateurs ".(2)
Le point de vue de David Miliband nous paraît résumer la situation chaotique actuelle. Ecoutons-le: "Alors que nous sommes plongés dans les affres du ralentissement économique mondial, il est tentant de repousser au second plan le passage à une économie sobre en carbone. Et pourtant, cette évolution est, de fait, indissociable de notre santé économique future. Tandis que les prix élevés du pétrole et du gaz alimentent l´inflation, notre dépendance à l´égard de sources d´énergie fortement productrices de carbone contribue bel et bien à la déconfiture de nos économies. Elle constitue également une menace pour la sécurité de notre environnement et la stabilité géopolitique de la planète. Nous devons nous servir de l´Union européenne pour fixer un nouveau cap mondial en matière de faibles émissions de carbone ".(3)
"La croissance de la population mondiale, qui est de 6,6 milliards d´individus à ce jour, et devrait passer à 9 milliards en 2050, ainsi que la rapide expansion économique des pays en développement (tous les jours, le parc automobile chinois augmente de 20 000 nouveaux véhicules), font de cette évolution un bouleversement structurel et non une aberration temporaire.
Il est aisé d´être fataliste, de conclure qu´une plus grande insécurité est inéluctable. Il existe toutefois, une autre alternative. En diversifiant notre approvisionnement énergétique, nous pouvons éviter une nouvelle course mondiale aux ressources qui nous contraindrait à nous en remettre de plus en plus aux pays qui les contrôlent. En construisant une économie sobre en carbone, nous pouvons, non seulement limiter les émissions de gaz à effet de serre et réduire les tensions inflationnistes, mais aussi créer des emplois verts et une croissance écologique".(3)
"La principale question est la suivante: comment faire pour accélérer le processus? Il me semble qu´à cet égard, l´UE pourrait jouer le rôle de catalyseur. Les priorités sont triples. Tout d´abord, nous devons utiliser notre influence, dans un cadre de négociations, pour faire adopter un accord mondial sur le changement climatique au-delà de 2012. Ensuite, la planète a besoin d´un marché mondial du carbone, afin d´aider les pays développés à identifier les secteurs les plus rentables pour la réduction de leurs émissions. Enfin, nous pouvons orienter l´investissement mondial vers les technologies vertes. Il est de plus en plus évident que nous ne pouvons plus nous permettre de dépendre des énergies fortement émettrices de carbone. Le ralentissement économique actuel n´est pas une raison pour retarder le passage à une économie sobre en carbone, c´est une raison supplémentaire de l´accélérer." (3)
Même appréciation pour le président en exercice de l´Opep, Chakib Khelil, qui mise, sur une reprise de l´économie mondiale dans les prochains mois et particulièrement dans les pays asiatiques comme la Chine et l´Inde. "Les hydrocarbures représentent 75% de l´énergie consommée dans le monde. A long terme, la demande devra augmenter car l´économie mondiale va se ressaisir pour revenir à des taux de croissance annuels de 5%, ce qui devra se répercuter sur le prix du baril", soutient-il. Un avis qui semble être partagé par de nombreux experts en économie qui prédisent une sortie de la crise financière mondiale d´ici début 2009.
En conclusion, un prix de 100 dollars devrait pouvoir être un compromis qui ne lèse aucune des parties et qui ne compromet pas le recours incontournable aux énergies vertes. L´Opep devrait retirer au minimum 3 millions de barils/jour. La réunion d´Oran, en décembre, permettra d´apprécier la pertinence de ces mesures.
Dans tous les cas, pour l´Algérie, il serait indiqué de freiner sur l´extraction du pétrole et du gaz (ne pas le brader à ces prix) mais attendre le moment opportun. Encore une fois, notre meilleur coffre-fort est notre sous-sol et non pas les bons du Trésor américain dont on connaît à présent les limites.
Les changements climatiques sont une réalité qu´il nous faut assumer dans les faits et non dans la contemplation et le fatalisme. Il faut aller vers les énergies renouvelables et le nucléaire, savoir négocier notre avantage par des échanges mutuellement profitables. Dans une étude parue le 11 janvier 2007 Weto-H2 de l´Europe, cette dernière ne compte plus sur l´approvisionnement de l´Algérie à partir de 2025. En clair, nous serons importateurs d´énergie. Quid des générations futures?
1.Jean-Marc Jancovici, Le plein SVP, page 132 Editions Seuil. Paris 2006
2.Le pétrole attend la baisse Opep- 20.10.2008 Challenge.fr
3.David Miliband: Energie et changement climatique, Le Monde du 16 10 2008


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