Par Hiba Sérine A.K. La conférence sur le pétrole prévue le 22 juin à Djedda, au bord de la mer Rouge, risque d'accoucher d'une souris. Sans agenda mais avec un objectif imprécis - "étudier les causes de la flambée" - elle se terminera, au mieux, par une déclaration où les pays producteurs s'engageront à augmenter la production. Une promesse vide de sens puisque ces derniers, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) plus particulièrement, ne disposent que d'une mince capacité additionnelle. Et, Chakib Khelil, notre ministre de l'énergie et président de l'OPEP en exercice n'a cessé de le répéter " la hausse du cours du pétrole est due aux spéculations et aux biocarburants " Mais parfois, des déclarations d'intention suffisent pour influencer les cours. Rien que l'annonce de la réunion de dimanche a détendu le marché la semaine dernière. Tout comme celle de la décision saoudienne ce dimanche de mettre 200000 barils supplémentaires par jour sur le marché à partir de juillet a aussi provoqué la même réaction. Mais force est de constater que le recul n'a pas été spectaculaire. Et, surtout, il a fait long feu. Lundi, le baril a frôlé le record de 140 dollars. Et tout laisse croire qu'il va rester à des niveaux élevés ces prochains mois. Morgan Stanley le voit dépasser les 150 dollars cet été. C'est dans ce contexte incertain que la conférence de dimanche s'apparente à une mise en scène.Même si elle est convoquée par l'Arabie saoudite, l'initiative en revient aux grands pays consommateurs, Etats-Unis, Europe et Japon, dont les économies ne sont plus épargnées par l'évolution des cours. Aux Etats-Unis, le prix de l'essence a dépassé le seuil psychologique de 4 dollars le gallon (3,7 litres). Au pays où la bagnole est reine, ça fait mal. Alors que l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui défend les intérêts des pays consommateurs, tire la sonnette d'alarme, l'OPEP, dont les 11 membres fournissent 40% du pétrole mondial, reste tout de même mobilisée. Ses dirigeants affirment que le marché est bien fourni et pointent un doigt accusateur en direction des spéculateurs. L'OPEP repousse l'idée d'une conférence d'urgence. C'est dans ce contexte que l'Arabie saoudite, alliée historique, partenaire stratégique des Etats-Unis et mouton noir de l'OPEP, entre en scène et annonce la tenue d'une conférence entre pays producteurs et consommateurs. L'initiative est applaudie à Washington, Londres, Paris et Berlin. Du côté de l'OPEP, c'est la grise mine. "Nous ne sommes pas impliqués dans cette conférence, c'est tout", déclare son porte-parole à Vienne. Ce n'est pas par hasard que l'Arabie saoudite prend les devants. Le royaume est le premier producteur de pétrole, avec, 9,45 millions de barils par jour (mb/j), soit 11% de la consommation mondiale de 86 mb/j. Elle représente 40% de la part de l'OPEP. A ce titre, elle affirme que son intérêt à long terme ne se trouve pas dans des prix irrationnellement hauts. En 1998, elle avait défié des membres de l'organisation, notamment le Venezuela, ainsi que la Russie, et injecté du brut sur le marché pour faire baisser les prix. En 1974, le ministre saoudien du Pétrole, Cheikh Ahmed Zaki Yamani, préconisait déjà ce type de mesure. Le prix avait alors quadruplé en une année à 12 dollars le baril. A l'époque comme en 1998 et encore aujourd'hui, l'Arabie saoudite se veut un élément modérateur au sein de l'OPEP. Les stratèges saoudiens estiment aussi qu'un prix trop élevé pousse à diminuer la consommation du pétrole et à encourager le développement d'énergies alternatives, ce qui n'est pas dans leurs intérêts. Mine de rien, aux Etats-Unis, la vente de grosses voitures gourmandes en essence a déjà chuté de 20% durant les douze derniers mois. Les Etats-Unis s'apprêtent aussi à légiférer pour contraindre les fabricants automobiles à fournir des moteurs plus performants. Par ailleurs, les peurs liées au changement climatique vont également conduire vers une consommation énergétique réduite. L'OPEP, dont les membres bénéficient des recettes d'exportation spectaculaires depuis quelques années, n'entend pas se laisser intimider par ces menaces. Selon elle, la conférence saoudienne ne se justifie même pas dans la mesure où les raisons de l'envolée des prix de l'or noir sont connues. Le cartel affirme que le marché est suffisamment approvisionné et que ce sont les spéculateurs qui créent la volatilité. Le cartel n'a pas du tout tort. Réunis le week-end dernier au Japon, les ministres des Finances du G7 ont lancé une mise en garde contre la spéculation sur le pétrole et les autres matières premières. Le Fonds monétaire international a même été chargé de mener une enquête. L'OPEP s'appuie aussi sur la décision du Congrès américain qui a lancé une enquête sur le rôle de spéculateurs dans la flambée des prix. Par ailleurs, au grand dam de l'Arabie saoudite, le cartel n'arrête pas de souligner que les prix des carburants sont élevés surtout à cause des surtaxes. Les caisses publiques du G7 encaissent plus d'argent grâce aux taxes que les membres de l'OPEP n'en obtiennent en vendant le brut. Enfin, l'OPEP, même si elle a engagé 130 milliards de dollars sur les dix prochaines années, n'est pas sur la même longueur d'onde que l'Arabie saoudite et les pays consommateurs sur le besoin d'investissements dans de nouvelles installations. Selon elle, le développement des biocarburants aux Etats-Unis comme en Europe décourage de nombreux pays à investir dans de nouveaux projets pétroliers. Le pétrole se replie après l'annonce saoudienneLes cours du pétrole perdaient du terrain mardi matin, après avoir grimpé la veille à un cheveu des 140 dollars le baril, le marché semblant se raviser et accueillir favorablement une hausse de la production saoudienne attendue à la réunion de Djedda dimanche.Le baril de pétrole de Brent de la mer du Nord pour livraison en août cédait 2,15 dollars à 132,56 dollars par rapport à son cours de clôture de lundi soir, sur l'InterContinental Exchange (ICE) de Londres. A la même heure, le baril de "light sweet crude" pour livraison en juillet perdait 1,76 dollar à 132,85 dollars, sur le New York Mercantile Exchange (Nymex)." Les prix baissaient ce matin (mardi), tout en restant dans la fourchette de prix large où ils ont évolué récemment ", observait Michael Davis, analyste de la maison de courtage Sucden à l'Afp." Les discussions tournent actuellement autour de la réticence des raffineurs à prendre le pétrole saoudien, à moins qu'il ne soit vendu avec un rabais important, ainsi que sur la faiblesse du dollar. Ces deux facteurs soutiennent les prix, qui ont été mis sous pression par l'annonce d'une hausse de production en Arabie saoudite ", ajoutait-il à l'agence de presse françaiseL'Arabie saoudite devrait annoncer une augmentation de sa production dimanche à Djedda lors de la conférence qu'elle a décidé d'organiser sur les causes de l'envolée des prix. Selon les sources, le chiffre de la hausse varie entre 200.000 et 750.000 barils par jour.Les spéculations portent également sur la qualité du pétrole qui pourrait être fourni par les Saoudiens : les catégories de pétrole doux et léger sont actuellement très recherchées par les raffineurs, qui sont prêts à les payer 5 à 6 dollars de plus que les prix records actuels du baril. A l'inverse, les pétroles lourds et soufrés ne trouvent preneurs qu'à des prix très fortement rabaissés.Selon plusieurs analystes, les Saoudiens pourraient annoncer officiellement dimanche le lancement de tout ou partie du nouveau gisement de Khursaniyah (500.000 barils par jour), dont l'entrée en production, prévue à l'origine en décembre, avait été retardée. Tout en saluant l'augmentation de la production à laquelle devrait procéder l'Arabie saoudite, la Maison Blanche a dit lundi ne pas attendre d'engagements à augmenter la production de pétrole lors de la réunion de Djedda.Un porte-parole de la Maison Blanche, Tony Fratto, a aussi dit que le président George W. Bush consulterait ses conseillers mardi, au lendemain de son retour d'Europe, pour décider qui représenterait les Etats-Unis à cette réunion." Chevron devrait démarrer l'exploitation du champ pétrolier d'Agbami, d'une capacité de 250.000 barils par jour, au Nigeria, ce mois-ci ", rapportait par ailleurs Olivier Jakob, analyste du cabinet Petromatrix." Il ne serait pas surprenant que la réunion de Djedda soit l'occasion d'annoncer officiellement son lancement. Ce gisement, qui recèle un pétrole très doux et très léger, devrait avoir autant d'impact que les 500.000 barils supplémentaires de pétrole saoudien, de qualité plus lourde ", estime-t-il.Mardi, les prix du baril d'or noir avaient grimpé subitement de plus de quatre dollars pour atteindre 139,89 dollars à New York et 139,32 dollars à Londres, des niveaux encore jamais atteints. Ils avaient ensuite cédé du terrain pour terminer sur un léger repli à New York (25 cents) et une petite hausse à Londres (46 cents). L'annonce d'une baisse de la production de la Norvège, cinquième exportateur mondial de pétrole, avait provoqué cette nouvelle envolée. Trois jours après un incident sur une plateforme de la mer du Nord, l'offre restait amputée mardi de 150.000 barils, selon le groupe pétrolier norvégien StatoilHydro.