Le programme de développement socioéconomique, élaboré au plus haut niveau de la hiérarchie nationale, ne peut être que généreux. Aussi, sans préjuger de son contenu et de sa portée structurante, il faudrait veiller à se prémunir des scories de la quotidienneté dans son exécution. Et c'est justement là où le bât blesse. Ce véritable « plan Marshall » de l'Algérie du 3e millénaire devrait se prévaloir de quelques caractères cardinaux, que nous considérons être la conjugaison de pertinence dans les choix stratégiques et de révision de la démarche managériale observée jusque-là. L'homme de demain est à construire aujourd'hui même. Ces caractères se résument à : 1/ Cohérence dans les énoncés d'une évolution socioéconomique et culturelle pour un mieux être social. Ce dernier est sans nul doute l'unique effet attendu. 2/ Ciblage des zones à promouvoir pour une durable mise à niveau. 3/ Constitution de staffs qualifiés pour la stratification et le suivi des programmes, dans une stratégie globale de lutte contre la marginalisation économique. 4/ Innovation dans la démarche managériale de soutien aux plans de développement locaux et régionaux. 5/ Elaboration d'une stratégie de maintenance et d'entretien du parc infrastructurel existant. La pertinence signifie dans nos propos la prise en compte et la réponse aux pulsions sociétales, exsudées par des besoins ressentis ou exprimés. Il est des habitudes qui faisaient que le planificateur violente la conscience humaine en réfléchissant à sa place. L'intention, fut-elle des plus généreuses, serait sans nul effet si la consultation de la collectivité est sciemment éludée. Le débat peut être ouvert sans tambour ni trompette. Il est des espaces de communication insoupçonnés que l'on peut actionner sans donner l'impression de rouler pour sa propre obédience politique. Rien n'empêche l'élu ou le responsable administratif de demander et de prendre la parole, avant le prêche du vendredi, pour fédérer des avis autour d'un service public à rendre à la communauté. Dans l'arrière-pays, la communauté a toujours son mot à dire. L'oralité y est plus répandue que tous les titres de la presse nationale. L'école est aussi cet espace où le citoyen se sent encore « chez lui ». On peut facilement y regrouper la population les jours de vacances et y débattre des problèmes communautaires. Cette démarche interactive capterait l'intérêt et l'adhésion du citoyen. N'avons-nous pas souvent entendu des questionnements lancinants sur des chantiers qui se font et se défont sans explication préalable. On part du principe « que si tu m'as élu, je suis libre d'agir en tes lieu et place. ». Cette procuration acquise, extensive et sans limite, peut générer des mécontentements ici et là. Le préjudice fragilise la sacralité et entame à chaque fois le crédit de l'Etat. Le simple citoyen ne fait pas généralement la distinction entre les institutions. L'amalgame est dans ce cas vite fait. La pertinence du projet réside aussi dans son intégration qui en garantira la viabilité. Un périmètre agricole n'est rendu viable que par le concours concomitant de la proximité de la main-d'œuvre, des voies d'accès, de la ressource hydrique, de l'énergie ainsi que par des divers services (prestations agronomiques,sanitaires animale et humaine) à titre ambulatoire. Un établissement scolaire ou hospitalier ne vaudra que par la qualité de son encadrement. L'encadrement ne voudra pas dire ici la qualité du gestionnaire, mais les compétences éprouvées des staffs composant le collectif. La parité ne devra souffrir d'aucune difformité dans les proportions. Il se trouve des corps de maîtrise paradoxalement plus nombreux que des corps d'exécution. La mise en condition favorable de cet encadrement ne pourrait participer que de la bonification de la prestation fournie. Le gestionnaire ne veut pas dire forcément le plus haut niveau de compétence spécifique, mais le manager capable d'analyse de situation, à l'effet d'imprimer de la modération ou de l'accélération à la dynamique du groupe. Il devrait se prévaloir d'un peu de science et de beaucoup de persévérance. Les choix de développement sont laissés à la seule appréciation du promoteur de projets. A-t-on préalablement validé ces choix avant leur mise en exécution ? C'est souvent au départ que naissent les ratés. En ce qui concerne le ciblage préalable de zones à bonifier, le chef-lieu de wilaya devrait en être exclu. Il a été remarqué par le passé et jusqu'à l'heure actuelle que celui-ci a toujours bénéficié d'un traitement privilégié. Beaucoup de villes sièges de wilaya n'ont rien à envier aux métropoles consacrées. Les successifs plans de développement les ont déjà élevées au rang de moyenne métropole régionale. La réalisation d'infrastructures diverses « fera aller certes le bâtiment » mais l'euphorie de la construction sera vite éteinte par la vacuité des locaux à la réception. La dotation en moyens humains qualifiés devrait être prise en compte dès l'ébauche de l'avant-projet. Le standard infrastructurel a porté un préjudice certain à l'adéquation coût-bénéfice dans la réalisation des projets d'équipement. La modulation selon la population ne pourra que rationaliser la dépense générée. De substantiels subsides tirés de la modulation pourraient servir à améliorer la qualité des travaux ou encore à mieux équiper l'infrastructure. Proscrire les ensembles de l'habitat vertical qui, dans les contrées de l'intérieur, jurent par leur décalage incongru. Ils ne feront que préparer le lit de déviations socio-urbaines observées jusqu'ici au Nord. Le gîte façonne aussi bien la largesse d'esprit que son étroitesse. L'utilisation des matériaux locaux, pierre et chaux, ne pourrait pas trouver meilleure expression que dans le cadre typiquement régional des Hauts-Plateaux et du Sud. L'investisseur, qui est dans ce cas l'Etat, ne devrait pas se départir du caractère prosaïque de la ménagère qui compte ses sous. Dans sa dernière sortie, le président avait mis le doigt sur la plaie. Ce n'est en fait pas la capacité professionnelle des concepteurs du projet qui est à mettre en cause, mais probablement l'absence d'un palier de maîtrise qui ferait défaut. On pourrait supposer dans ce cas que l'un des maillons fort de la chaîne serait distrait de ses tâches institutionnelles. Le technicien, ce lien organique entre le cerveau qui conçoit et la main qui œuvre, est généralement utilisé dans la gestion bureaucratique de l'ouvrage lui-même : confection de situations de travaux, devis et autres décomptes. Cette tâche peut aisément être confiée à des corps d'administration générale. Qui peut mieux qu'un technicien gérer un chantier ? Ce n'est certainement pas l'ancien maçon ou le vieux coffreur.Nombreux outils disponibles ne sont malheureusement pas mis à contribution. Le simple bulletin météorologique peut renseigner par avance sur le temps qu'il ferait pendant au moins une semaine. Ce temps pluvieux ou venteux pourrait être consacré à des tâches en milieu couvert. N'a-t-on pas vu des chantiers de peinture de voirie s'affairer ou des nacelles d'éclairage public défiant l'électrocution sous une pluie battante ? La sacralisation de la conception a dévalorisé l'exécution de l'œuvre elle-même. Serait-ce la survivance du refoulement collectif d'un vieux sentiment de brimades intellectuelles ancestralement infligées ou un sort jeté au travail manuel et dont l'exorcisme est à chaque fois remis à plus tard ? La gestion des programmes d'investissement ne serait plus de l'exclusive de l'autorité locale. Sans préjuger des compétences des uns et des autres ni de leurs capacités intellectuelles, la chose publique ne devrait plus dépendre du bon vouloir d'une seule personne. La survie d'un projet dépend de toutes les étapes de sa maturation. Cette opération préalablement soumise à débat devrait recueillir l'adhésion consensuelle d'un large panel d'avis de décideurs de techniciens, de sociologues, de juristes, d'enseignants, de psychologues et autres observateurs, dont les usagers eux-mêmes, par le biais de leurs représentants. Celle consultation offrirait plus de chance de survie à l'objectif assigné. Les bureaux d'études et les ateliers devraient à brève échéance remplacer les salles de conférence feutrées, où deux ou trois personnes sur la tribune surélevée président au débat. Ce débat se limite généralement à un dialogue entre le promoteur et l'autorité locale. L'agencement des salles de réunion n'incite pas à la prise de parole. La position topographique basse n'encourage souvent pas le débat. Il est notable de remarquer que les réunions du conseil de gouvernement et mêmes celles du conseil des ministres, autrement plus protocolaires, se font autour d'une table à niveau zéro. La discussion est ainsi personnalisée et la distance entre les interlocuteurs raisonnable. Les réunions de ces organes sont exclusives à leurs seuls membres. Au niveau local, ce n'est pas toujours le cas. Les « intrusions » participent souvent à la crispation du débat, qui ne livre pas toujours ses secrets. Le rapport de présentation écrit et lu de différentes intonations est à notre avis d'un autre âge. Les moyens audiovisuels didactiques disponibles, data show et rétroprojecteur, permettent à l'heure actuelle à l'auditoire de suivre l'animation de l'exposé. L'arrêt sur image permet de s'appesantir sur l'un ou l'autre des aspects. Des staffs opérationnels regroupés dans une institution idoine, à l'instar du Haut Commissariat à la steppe ou celui à l'Agronomie saharienne, pourront évoluer en dehors des sentiers battus du ronronnement administratif local. Les études de sol, confiées jusque-là au Laboratoire national de la construction, pèchent actuellement, du moins au Sud, par la lenteur des procédures. Ces retards, justifiés d'ailleurs, grèvent lourdement les délais de réalisation. L'utilisation des laboratoires itinérants ou la décentralisation de techniques jusque-là concentrées lèveraient certainement beaucoup de contraintes observées jusque-là. Les moyens de télécommunication satellitaire et de mobilité sont un prérequis obligatoire. La dotation des intervenants en outils informatiques portables ne serait pas une vue de l'esprit. Le pays comme tout le monde le sait n'est pas fait que de neuf, les réseaux routiers, hydrauliques, le vieux bâti et autres sont soumis à l'injure du temps. La suppression des comptes des opérations hors budget (Ohb), des travaux publics et de l'hydraulique notamment, dans les années 80, a porté depuis lors un coût d'arrêt préjudiciable à la petite maintenance. Cette disposition a fait disparaître la rustique maison cantonnière. L'ouvrier muni d'une « dame » disparaissait de l'imaginaire populaire. Le département ministériel en charge du secteur vient de « revivifier » cette maison cantonnière et ce ne peut être que justice rendue. Il s'agit parfois de petits trous sur la chaussée qui empoisonnent la vie des automobilistes. Ils deviennent mortels quand ils sont traités par le mépris. Le 8 mars dernier, un de ces trous faisait disparaître à jamais sept jeunes hommes ans le fracas d'un accident. Le taxi qui tentait d'éviter une grosse excavation de la chaussée se faisait découper par un camion en vis-à-vis. Cela se passait dans les Hauts-Plateaux. En conclusion, il est des sentiers battus qu'il faille quitter au plus vite, sous peine de sclérose irréversible. Les programmes de développement confiés à des institutions, dont la flexibilité financière et économique confère plus de dynamisme, auront plus de chance d'atteindre les objectifs tracés. Ce caractère de flexibilité n'est malheureusement pas conféré à la collectivité, établissement public à caractère administratif. Les carcans réglementaires de ce statut ne sont pas étrangers aux pesanteurs qui en dépit de compétences avérées caractérisent son fonctionnement ou plutôt son dysfonctionnement. Le président de la République lui-même n'a-t-il pas eu à stigmatiser ces carcans réglementaires, qui s'opposent telle une pierre d'achoppement à l'installation d'investisseurs nationaux ou étrangers. Quel est ce trait masochiste de notre personnalité qui nous fait subir les contrecoups de la libéralisation économique mondialisée et qui nous fait complaire en même temps dans une expectative béate tragiquement suicidaire ? Pendant que les règles canoniques de notre spiritualité religieuse sont allègrement transgressées, les prescriptions réglementaires sont « respectées » par on ne sait qu'elle mystique conviction. L'oracle serait-il pour bientôt ? L'auteur est cadre supérieur de l'administration sanitaire à la retraite - Bou Saâda