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Akfadou (Béjaïa) : Le retour du soldat Picard à Imaghdacène
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Publié dans El Watan le 24 - 08 - 2014

Se relayant au microphone, ses anciens élèves abondaient tous dans le même sens, Picard, «Kipard» pour quelques vieilles femmes, est un humaniste, quelqu'un de bien malgré les tourments de la guerre.
Samedi 9 juillet, le village Imaghdacène, dans la commune d'Akfadou, baigne dans une douce atmosphère de fête. Malgré la chaleur accablante qui sévit sur ces hauteurs de plus de 1100 mètres d'altitude, les gens qu'on rencontre sont pleins d'entrain et arborent des mines réjouies.
Aux fêtes de mariage célébrées dans le village avec faste est venu s'ajouter l'arrivée de Claude Georges Picard, un ancien chasseur alpin qui a passé onze mois de son service militaire, en 1961, sur les lieux, dans un poste militaire culminant à 1139 mètres d'altitude, chargé de la surveillance d'Imaghdacène et de ses environs immédiats.
Caporal à l'époque, issu de la petite bourgeoisie française, épris des belles-lettres, en dépit de la guerre, de la haine et du racisme ambiants, du fossé qui sépare les belligérants, il est parvenu à s'attirer les sympathies des habitants d'Imaghdacène. Ecartelé entre son devoir de militaire et son refus de se déshumaniser, il jouait la nuit au soldat en participant aux embuscades, poses de mines, bombardement, jet de grenades… et le jour, il officiait comme maître d'école, médecin, écrivain public, et par occasion vétérinaire dans ce village insoumis dont la majorité de ses habitants valides ont pris le maquis.
Ce retour sur les lieux de sa jeunesse guerrière, il le doit notamment à son carnet-testament «Un Piton séparé du reste du monde» édité récemment par les Editions du Net, où il a consigné justement «sa guerre d'Algérie», et surtout à son passage, en compagnie de Madjid Achouren, un de ses anciens élèves, sur BRTV dans l'émission Graffiti animée par Youcef Zirem.
Souvenirs, émotion…
L'invité d'Imaghdacène cachait mal son émotion. A voir l'empressement des vieux et des vieilles qui l'ont connu dans ces temps troubles, à le revoir et à le saluer, on déduit aisément qu'il n'a pas fait partie de ces soldats d'occupation qui ont commis des horreurs et qui ont attisé des haines raciales durant la guerre.
Ce «caporal écartelé», dont on se souvient encore ici de sa frêle silhouette, toujours accompagné de sa chienne Pax, a laissé beaucoup de bons souvenirs dans le village. Sans aller jusqu'à l'insubordination contre sa hiérarchie militaire, il était, nous souligne-t-on, contre les exactions et les injustices commises à l'encontre des villageois et faisait de son possible pour rendre de menus services aux habitants. Sous l'escorte de Zerimane Ghilas et de quelques autres membres de l'association qui porte le nom du village, Picard et sa fille ont eu droit à une visite guidée des lieux.
A midi, ils ont partagé un couscous avec quelques autres hôtes du village avant de se diriger vers la djemââ où les attendait une foule nombreuse. «A l'exception de la djemââ, beaucoup de choses ont changé, il y a la route bitumée, l'électricité…maintenant, ce n'est plus un piton séparé du reste du monde» nous dit-il. La djemââ est pleine à craquer, des hommes, femmes, enfants étaient là pour écouter celui qu'ils ont adopté, voilà plus de cinquante ans.
Sous l'ombrage généreux d'un treille, à l'endroit justement où il dispensait ses cours aux enfants rebelles d'Imaghdacène, l'ancien caporal, très ému, lisait son texte de circonstance où il réitère son attachement à ce petit coin de la Kabylie. C'est là qu'il a appris mieux que ses livres, la valeur des hommes, leur grandeur et leur petitesse, leur foi et leur folie. «Je ne vous ai pas oublié, et je ne vous oublierai jamais» lancera-t-il à l'adresse des habitants de ce village martyrisé qui compte plus de 70 chahids.
Témoignages de reconnaissance
Dans leurs témoignages, les anciens élèves de Picard ne tarissaient pas d'éloges envers leur ancien maître d'école. C'était la lutte, mais ce soldat ennemi aidait de son mieux les villageois à supporter les affres de la guerre, attestent-ils tous. En plus d'avoir adhéré joyeusement à l'ouverture d'une école, d'avoir initié l'aménagement d'un dispensaire dont les médicaments arrivaient parfois aux moudjahidine, il tenait le rôle de l'annonceur de bonnes nouvelles, il servait par-ci, par-là «La Paix est proche, la guerre va finir». Il enseignait quelque 152 élèves qu'il a réparti en trois groupes «Petits», «moyens», «grands».
La liste des élèves qu'il a établie à l'époque, sur des feuillets de cahier d'écolier, existe encore aujourd'hui, certes jaunie par le temps mais toujours lisible. Se relayant au microphone, ses anciens élèves abondaient tous dans le même sens, Picard, «Kipard» pour quelques vieilles femmes, est un humaniste, quelqu'un de bien malgré les tourments de la guerre. «Il nous a appris à lire, à écrire, à compter, il jouait avec nous au ballon et à d'autres jeux, il nous distribuait des vêtements, des confiseries, nous soignait et soignait nos familles», raconte l'un de ses anciens élèves.
Les témoignages sont émaillés d'anecdotes suivies souvent d'éclats de rire de l'assistance. Tel se souvient d'une punition, tel autre se souvient d'avoir sucé une pochette de shampoing distribuée par Picard, tel autre encore du largage de bombes au napalm dont le maître disait que c'est de l'eau pour ne pas traumatiser ses élèves…
En guise de reconnaissance pour son bon comportement durant la guerre, et pour son livre-témoignages sur le rôle important d'Imaghdacène durant la guerre d'Indépendance, un burnous lui a été offert. Sa fille n'a pas été oubliée, elle aussi a reçu une robe kabyle pour lui signifier qu'elle aussi est désormais adoptée par le village. C'est sûr, Claude Georges Picard apportera certainement la contradiction à Apollinaire qui disait «Ah ! Dieu que la guerre est jolie». Picard repartira en France avec ces mots «Ah ! Dieu que les retrouvailles et la réconciliation sont jolies».


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