Ghazaouet et sa région se distinguent par un parler très particulier : le «k», phonétiquement prononcé par le palais est remplacé par «Tche» et le «Q» qui provient des profondeurs de la gorge est remplacé par un «k» normal. Tiré d'un fonds linguistique berbère et enrichi des apports extérieurs des grandes migrations à travers les temps, du Maroc voisin, de France, d'Espagne, d'Italie ou encore de la Turquie, le parler de Ghazaouet est le résultat de brassage de plusieurs langues. Dans une interview qu'il nous a accordée, Mohammed Hamdoun, docteur en études anglaises et en anthropologie, ancien recteur de l'université de Cergy pantoise (France), membre de l'association des anglicistes de l'enseignement supérieur en France et membre de l'association de l'anthropologie méditerranéenne à Boston, professeur d'anglais au lycée français d'Abou Dhabi et auteur de plusieurs publications, revient sur les origines du parler particulier de Ghazaouet. - Dr Hamdoun, d'où vient le parler de Ghazaouet ? Sourire, vous faites allusion à l'utilisation abusive du son «tche» ! En fait, le parler de Ghazaouet a un substrat influencé par le berbère zénète. Donc, il avait initialement un fonds linguistique berbère, puis il a été arabisé par des nomades venus de l'Arabie, notamment les Hilaliens mentionnés d'ailleurs dans le prologue d'Ibn Khaldoun. Ces Arabes nomades qui s'étaient éparpillés un peu partout à travers l'Afrique du Nord ont plus au moins arabisé les populations autochtones qui elles-mêmes avaient déjà un fonds linguistique berbérophone. Donc, il y a eu tout simplement fusion entre les populations arabes venues de l'Arabie saoudite et de l'EST des Emirats Arabes unis, notamment les deux grandes influences: les Hilaliens et les Karamates qui avaient un parler avec des traits spécifiques, à savoir la prononciation de «tche» au lieu de «que» et «que» au lieu de «Q» et depuis, ce type de langage a été adopté par les habitants de cette région. Aux fonds dialectaux arabe et berbère sont venus s'y greffer, depuis le XXe siècle, d'autres influences et apports des langues française, espagnole et italienne. - Le parler Ghazaoueti s'est donc enrichi de mots empruntés à ces langues, notamment dans le domaine halieutique et maritime. Oui. La présence coloniale espagnole sur les enclaves de Ghazaouet au début du 16e siècle et par la suite pendant la présence de la colonisation française a laissé un stock lexical espagnol et français non négligeable plus particulièrement dans le domaine maritime et halieutique (pêche). La proximité géographique et les échanges commerciaux avec l'Espagne ont certainement augmenté le débit de l'usage de l'espagnol dans notre ville. Aussi, le langage local n'a pas emprunté seulement aux langues latines. La relation avec le parler du Rif marocain (berbère) dominé par un champ lexical rural est très marquante. (Ajeddou, jarre) (Agholal, escargot) (Asselouane, suie). A noter aussi l'utilisation de certains mots turcs dont l'introduction remonte à la période ottomane. On cite à titre d'exemple Khaznadji : agent de trésor public, Beylech : domaine public ou des mots arabes turquisés par suffixation «dji» : kahouadji (cafetier), souaâdji (horloger)… somme, le parler de Ghazaouet est une espèce de melting-pot linguistique qui a été très riche à travers ces ères-là, à commencer par le berbère qui est devenu par la suite arabo-berbère qui sera renforcé à son tour par l'arrivée des réfugiés d'Andalousie (après la chute de Grenade – Reconquista) à partir du XVe siècle puis les Morisques au XVIIe siècle et des apports des langues européennes précitées, non seulement du fait du legs linguistique colonial mais aussi grâce à la fréquence des relations des habitants de Ghazaouet avec l'Espagne et la France en particulier. - Mais ce parler, malgré sa richesse, a tendance à disparaître. De moins en moins de jeunes utilisent encore ce parler… Je dirai plutôt, on va vers une tendance évolutive de la langue parce qu'effectivement il y a de plus en plus de signes d'ouverture par le biais de la toile Internet, la télévision par satellite ou encore le développement des moyens de transport qui ont favorisé les déplacements sur le reste de l'Algérie. En fait, on a tendance à dire aux gens qu'on peut être compris par les autres, alors on fait un effort vers vous. Il est évident que, linguistiquement parlant, la langue reste restreinte mais quand on essaye de l'améliorer par souci de compréhension orale, on peut transgresser les frontières comme c'est le cas d'ailleurs de notre humoriste local Abdelkader Secteur qui est facilement compris chez nous, au Maroc, et même dans certains pays du Golf où on commence à l'écouter.