Cent dinars les cinq cahiers !», crie un jeune vendeur en tenue débraillée. Son étal débordant du trottoir soutient un monticule de cahiers de 96 pages, tous identiques. Malgré la hargne du marchand et l'attractivité des tarifs, les «clients», qui se disputent la rue avec les gros bus de transport en commun, ne semblent pas très intéressés pour l'heure. «Je cherche plutôt des cartables et des blouses pour mes enfants», explique une mère accompagnée d'une petite fille d'une dizaine d'années. L'informel pas encore à l'heure scolaire Au marché de la place des Martyrs, la référence algéroise du commerce informel, l'heure n'a pas encore sonné pour le rush sur les articles scolaires. En dehors de quelques «tables» réservées à ces produits, la tendance en cette veille de rentrées scolaire et sociale reste aux articles d'été. «On solde, deux paires à 250 DA !», hurle un vendeur à la sauvette devant un amas d'espadrilles jetées pêle-mêle sur une grande toile en plastique à même le sol. Sur l'une des artères du marché, quelques stands réservés aux articles scolaires coudoient ceux des vendeurs de tabliers et cartables d'écoliers. Les couleurs chatoyantes et les formes captivantes des articles savamment agencés attirent les enfants et par conséquent leurs parents. Les prix y sont éclectiques. «Il y a plusieurs modèles et le tarif varie de 50 à 500 DA», répond le marchand à une dame qui s'enquiert des ardoises magiques. La fourchette des prix est ainsi très large pour chaque gamme de produits. Les boîtes de crayons de couleurs est cédée à partir de quelques dizaines jusqu'à plusieurs centaines de dinars. Les prix des stylos varient de 15 à 90 DA, selon la «marque» insiste le commerçant illégal. «Cette année, comme l'année dernière d'ailleurs, il y a des produits pour toutes les bourses. Ici, si vous avez trois enfants scolarisés, vous pouvez les équiper avec moins de 7000 DA », rassure le vendeur. Mais d'où provient toute cette marchandise et à de tels tarifs ? Question trop indiscrète. Le vendeur se détourne et baisse la tête en signe de mécontentement. Son voisin ironise : «Par la même voie qui fournit les pétards.» Le commerce «régulier», une activité difficile A quelques centaines de mètres du marché, des boutiques régulières suspendent, à l'entrée, des blouses et des cartables. Le petit sac au dos de couleur rose à l'effigie de Dora l'exploratrice (égérie des fillettes), destiné aux petites écolières, est étiqueté à 1050 DA par un kiosque. A même le sol, au marché informel une femme l'avait acquis à 400 DA. La blouse rose de 600 DA accrochée sur un présentoir improvisé devant les arrêts de bus est proposé à 800 DA dans la boutique. «Je n'ai pas encore commandé de fournitures scolaires. Quant aux cartables, je ne pense pas en proposer cette année. On est accablé par la concurrence déloyale imposée par le marché informel. Et le mode de consommation des familles nous déprime. Ces derniers ne se soucient ni de la qualité des produits ni des risques potentiels sur leurs enfants. Ils préfèrent acheter à bas prix et de préférence les articles qui frôlent le sol», déplore un commerçant de la rue Larbi Ben M'hidi. Dans la grande surface dédiée aux livres et «tous produits de bureaux et de fournitures scolaires» comme l'indique son enseigne, les rayons sont moins chatoyants que les tables de l'informel. «J'hésite encore à faire ma commande. Vous savez, le commerce (régulier) et devenu une activité très difficile. Je suis persuadé que dans quelques jours, les brigades de contrôle du ministère du Commerce vont débarquer pour contrôler les articles scolaires. Eux, ils ne reconnaîtront pas toutes les difficultés que nous avons pour nous faire facturer nos achats par les grossistes. S'ils trouvent des produits non justifiés, les contrôleurs me tomberont dessus. En plus, face à l'informel, ça ne vaut pas le coup», peste le quinquagénaire. Aubaine pour les petites bourses, le marché noir des articles et fournitures scolaires gangrène l'activité commerciale. «Nous sommes aussi victimes de l'informel», déplore Abdelhamid Boukahloune, directeur général du contrôle économique et de la répression des fraudes au ministère du Commerce. «Notre institution se bat avec ses instruments pour éradiquer ce phénomène, mais il faut un engagement sérieux de toutes les parties de l'Etat et de la société», affirme-t-il. Il précise que les inspecteurs du commerce n'ont pas la prérogative d'interpeller ou de sanctionner des vendeurs qui s'installent sur les voies publiques. «Nous signalons les irrégularités commerciales et les transmettons le cas échéant à la justice. D'ailleurs, entre juin et juillet 2014, nous avons signalé plus de 13,4 milliards de dinars de transactions commerciales sans factures», explique-t-il. «Le ministère du commerce victime de l'informel» Il s'agit surtout d'importateurs et grossistes qui ont commis ces irrégularités et nous avons engagé des poursuites judiciaires. Mais, il n'est pas des prérogatives du ministre du commerce d'interdire les espaces publiques aux vendeurs à la sauvette. C'est là le rôle du ministère de l'intérieur», soutient le responsable. Dans une récente évaluation de l'opération de lutte contre le commerce informel (1er semestre 2014), le ministère du Commerce fait état de 1368 marchés répartis sur le territoire national, 856 autres marchés ont été éradiqués et 512 espaces informels sont en cours d'éradication. C'est donc presque naturellement qu'à la veille de la rentrée des classes prévue pour le 7 septembre, les articles scolaires qui représentent un marché de 60 milliards de dinars (selon l'UGCAA), atterrissent sur les étals des opportunistes pseudo-commerçants. S'agissant des prix des produits scolaires, le libraire aigri de la rue Larbi Ben M'hidi affirme qu'ils restent quasiment stables. «Il n'y a pas une grande différence par rapport à l'année dernière. Les prix restent stables Les prix des cahiers n'ont pas changés. Il faut juste dire que pour les grandes marques, les tarifs ont un peu augmenté principalement pour des produits tels que les crayons de couleurs ou la pâte à modeler», indique-t-il. A la place Emir Abdelkader, dans la boutique d'un grand distributeur multimarques de fournitures scolaires, les prix sont loin d'inquiéter les clients qui s'y engouffrent. Très vite, les caisses enregistreuses affichent des sommes en milliers de dinars. 6800 DA pour une maman accompagnant une jeune adolescente. Ici, chaque produit est systématiquement rangé à sa place et son prix affiché. Et les étiquettes s'emballent : des stylos à 100 DA, des cahiers à 200, des boîtes de crayons de couleurs frôlant le millier de dinars, des cartables à 5000 ou 6000 DA. «Je préfère acheter les affaires scolaires de ma fille dans cette boutique. Au moins là, je sais que les produits sont de qualité et je peux m'acquitter sur place de tout ce qu'il lui faut. Il me reste juste à lui trouver un cartable à son goût et un cahier de correspondance», explique la dame avec un geste de complicité pour sa fille. «Quand j'étais écolière, se rappelle la maman, on n'avait pas tout ce choix. La seule différence qu'il y avait entre les cahiers était le nombre de pages. Je me souviens encore des produits nationaux : iqra et le fennec avec des couvertures en papier cartonné, presque du papier mâché. Je fantasmais devant les cahiers de grandes marques ou les stylos à quatre couleurs. Alors, aujourd'hui, je comble mes frustrations à travers ma fille.» Pour la grande majorité des parents, l'achat des articles scolaires, hors cartables, tabliers, trousses…, se fera lors de la rentrée des classes. «J'attend de voir la liste des affaires pour faire mes courses. Je ne veux pas faire des achats inutiles et je n'aime pas les mauvaises surprises», affirme un parent d'élève qui explique que les frais ne s'arrêtent pas au trousseau scolaire : «Il faut aussi compter les manuels scolaires à acheter et les cours particuliers à payer.»