La triche des commerçants dans le poids de leur marchandise devient monnaie courante. Elle concerne, bien sûr, le marchand des fruits et légumes, mais aussi l'épicier, le boucher, le boulanger, le bijoutier et bien d'autres… Faites attention, tout ce que l'on vous pèse est faux», s'insurge un vendeur de fruits et légumes à Aïn Smara, où se trouve un marché hebdomadaire bien achalandé, à 17 km de Constantine. Notre commerçant honnête s'explique : «Vous voyez ces camionneurs qui vendent la pomme de terre, vous perdez au minimum jusqu'à un kilo à cause de leur blance où l'on a supprimé le plomb qui avoisine les 100 grammes, et c'est pire pour ceux qui sont installés sur les routes. Je connais un citoyen, qui après avoir acheté un sac de pomme de terre de 20 kilogrammes, a suspecté le poids et en le contrôlant il avait constaté que 3,5 kg ont disparu.» Chez un épicier de la ville, c'est le même constat quant à la notion de poids. Sans ambages, il reconnaît le phénomène : «Avant, nous faisions l'objet de contrôles de nos balances et des poids que nous utilisions. Plus maintenant. Et quelles que soient nos bonnes intentions, nous savons que nos outils de travail présentent des imperfections qui pénalisent nos clients.» Un citoyen à qui nous avons demandé son avis sur ce phénomène affirme que «c'est la démission de l'Etat qui a donné libre cours à ces spéculateurs qui ne reculent devant rien pour tromper tout le monde ; je sais que nous ne payons pas exactement le poids qui nous est dû, mais que peut-on faire quand le policier, le contrôleur eux aussi se font arnaquer et ne disent rien ?» C'est le constat que nous avons confirmé auprès des commerçants qui utilisent ces balances et qu'eux-mêmes reconnaissent pour nous dire que le citoyen est le dindon d'une farce qui génère un trafic bénéfique aux commerçants, au détriment des clients chaque jour que Dieu fait. L'organisme en charge de ce travail est l'Office national de la métrologie qui doit faire des contrôles à la fois stricts et périodiques ; il dispose à cet effet du matériel nécessaire pour agir, et au besoin procéder à des saisies de balances et poids, nonobstant les poursuites judiciaires. Apparemment, ce n'est pas une priorité, encore moins un souci pour agir sur un phénomène qui prend une ampleur gravissime. Cinq chats ! Nous nous sommes rapprochés de cet office, sis au quartier du Coudiat, au centre-ville de Constantine, et nous avons été d'autant plus surpris par une administration à la limite du désespoir, tant les moyens humains et matériels font cruellement défaut. Selon un ingénieur exerçant au sein de cet office, c'est le délaissement total de la part de l'administration centrale. Il nous déclare à cet effet : «Nous ne sommes que cinq personnes à travailler pour toute une wilaya, avec toutes les communes avoisinantes ; le nombre de commerçants qui utilisent des instruments de mesure est effarant, puisqu'il touche plusieurs corporations : l'épicier, le boucher, le boulanger, le bijoutier et bien d'autres, ceci à l'instar des grands groupes de construction qui utilisent des instruments de mesure dont les conséquences, en cas de défaillance de leurs outils de travail, peuvent être calamiteuses.» Effectivement, la notion de métrologie suppose l'étalonnage des instruments de mesure, à l'image d'un thermomètre ou d'un appareil de mesure d'une énergie donnée. Si l'appareil est défectueux, le diagnostic peut induire en erreur l'utilisateur pour créer d'autres problèmes. C'est aussi le cas pour les centrales à béton qui poussent comme des champignons au regard de tous ces chantiers, et sans un contrôle systématique et rigoureux, le matériau utilisé sera vicié et risque de produire des imperfections aux conséquences incalculables. Le même constat se trouve au niveau de la volumétrie des sachets, notamment ceux utilisés pour le lait. Selon des indiscrétions, certaines laiteries trichent sur le poids des sachets pour grignoter des centilitres de ce produit, et ainsi générer des bénéfices qui se chiffrent en milliards. Questionné à ce sujet, notre interlocuteur nous informe que l'office n'intervient nullement dans ce domaine, faute de moyens. Il nous révèle encore : «Nous avons des moyens très limités, nous ne disposons même pas d'un véhicule pour nous déplacer et intervenir ; outre le manque criant d'équipements et de matériels pour les divers étalonnages, nos missions restent très insuffisantes, voire inefficaces.» Fraude sur le sachet de lait Il souligne en revanche : «Actuellement, nous travaillons avec des entreprises comme Naftal avec un volume de travail très important. Cependant et concernant les particuliers, ce sont surtout les commerçants honnêtes qui nous sollicitent pour étalonner leurs instruments, en particulier les bijoutiers.» A propos de bijoutier, ce dernier nous renvoie au marché informel, les «dlalalate» en l'occurrence, pour nous révéler tous les préjudices que peut engendrer une telle défaillance. Avec des balances plus que suspectes, ne présentant aucune garantie et sans un étalonnage régulier, la fraude est garantie. Il faut savoir que les produits commercialisés à partir d'un poids ou d'une capacité donnée, sont de large consommation, d'où un trafic journalier. Idem pour le pain qui est supposé obéir à un poids donné, mais c'est à vue d'œil que l'on constate que tout est vicié. D'un autre côté, chez les entrepreneurs qui, pour générer des profits supplémentaires, trompent sur les quantités de ciments à ajouter, et ce sont les constructions qui présentent des malformations dues essentiellement à la qualité du béton. Où sont passés ces contrôles et leurs organismes ? Le sentiment des citoyens est on ne peut plus perplexe devant l'absence de l'Etat qui doit protéger le citoyen contre ces dépassements. La précision, la norme ou encore l'exactitude des valeurs qui ont été substituées par l'approximatif, la «pifométrie», ou encore l'à-peu-près, considérés comme tout à fait «normaux», devraient être un souci prioritaire des pouvoirs publics pour honorer leurs engagements vis-à-vis du citoyen. La notion d'Etat qui suppose la protection des biens et des personnes en prend un sacré coup.