Le bilan humain provisoire de l'offensive menée sans relâche par la machine de guerre israélienne sur le Liban en représailles à l'enlèvement, le 12 juillet, de deux soldats israéliens par le Hezbollah sur les fermes de Chebaa - un territoire sous contrôle israélien dont l'Etat libanais revendique la restitution - est terriblement lourd : la puissance de feu de l'Etat hébreu a causé, en dix jours, près de 350 morts - des civils pour la plupart -, contraint à l'exode plus d'un demi-million de personnes et blessé des milliers d'autres. Mais en bombardant tous azimuts autoroutes, ponts, infrastructures portuaires, dépôts de carburants, silos, usines, habitations, écoles, convois humanitaires et ambulances, Israël ne fait pas que détruire les bases du Hezbollah ; sous couvert de légitime défense, elle s'emploie, en toute hypothèse, à dévaster le pays du Cèdre afin de favoriser l'émergence d'un nouvel ordre politique libanais favorable à Israël et hostile à la milice chiite. Si l'enlèvement des deux soldats israéliens par le mouvement de Sayyid Hassan Nasrallah est condamnable, il ne saurait cependant aucunement justifier les bombardements, ravageurs et meurtriers, de l'armée israélienne sur le Liban et ses populations civiles. Pour draper son offensive sous l'étoffe du droit international, le gouvernement Olmert invoque, outre le droit à la légitime défense, l'application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité exigeant, entre autres, la démilitarisation du « Parti de Dieu ». Il est réconfortant de constater le renvoi, par Israël, à la légalité internationale. Toutefois, pour gagner en crédibilité, ce recours devrait concerner, dans le même élan, l'ensemble des résolutions adoptées par l'ONU en vue du règlement du conflit israélo-arabe : du « plan de partage » de la Palestine de 1947 à l'avis judiciaire (émis en 2004) par la Cour internationale de justice au sujet de l'illégalité du « mur de séparation » en passant par les résolutions 194, 242 et 383. Or sur le plan du droit international, l'Etat hébreu n'a pas seulement tourné le dos à ces résolutions mais s'est résolu, par sa politique du fait accompli, à les rendre obsolètes. Ainsi, l'Etat juif ne s'est pas contenté d'ignorer les frontières d'avant 1967 et d'annexer Jérusalem-Est, mais, fort de son impunité, il a accaparé 55% de la Cisjordanie. Ce n'est pas tout : se hissant au-dessus de la légalité internationale, Israël viole systématiquement l'espace aérien et les eaux territoriales du Liban, occupe les fermes de Chebaa, un territoire libanais de 45 km2, refuse de livrer la cartographie des mines par lui plantées au Sud-Liban... « Comment expliquer un tel comportement sinon par la volonté de maintenir un état de tension et de faire pression sur le Liban ? », s'interroge le Premier ministre libanais dans un entretien accordé au Monde le 17 juillet. Et le très mesuré Fouad Siniora d'apporter la réponse : « Israël accuse les autres de terrorisme alors qu'il le pratique lui-même dans ses formes les plus dures. Il crée des problèmes qu'il maintient à l'état de plaies ouvertes pour en faire usage comme moyen de pression […] . » Mais il y a plus. Selon la très sérieuse agence de presse Reuters citant des sources militaires israéliennes, « les plans de l'opération que mène actuellement Israël au Liban étaient dans les cartons de l'état-major depuis longtemps et visent à modifier le rapport de force régional ». L'Histoire est-elle en train de se répéter ? L'invasion du Liban par l'armée israélienne en juin 1982 et l'attaque de l'OLP qui s'en est suivie étaient, il est bon de le rappeler, préparées de longue date. Après l'évacuation du Sinaï le 25 avril 1982, il restait deux objectifs à atteindre pour imposer le nouvel ordre israélo-américain dans la région : détruire l'OLP - réfugié au Liban - et imposer une paix israélienne au pays du Cèdre. Pourtant, depuis l'entrée en vigueur, en juillet 1981, d'un cessez-le-feu entre l'Organisation de libération de la Palestine et l'Etat hébreu, « un calme absolu régnait sur la frontière israélo-libanaise ». Le prétexte tant attendu pour occuper le Liban allait être fourni par l'assassinat, perpétré par un groupuscule palestinien opposé à l'OLP, de l'ambassadeur d'Israël au Royaume-Uni. Du 4 au 5 juin 1982, l'armée israélienne allait soumettre Beyrouth et le Sud-Liban à un bombardement meurtrier qui s'est soldé par la mort de plus de 250 personnes. En réaction, l'OLP allait lancer des tirs sur la Galilée. Le 6 juin 1982, Tsahal devait entamer son invasion du Liban… Dans un article publié dans Le Monde diplomatique de juillet 1982, le journaliste israélien Amnon Kapeliouk relevait : « Ce qui était présenté le 6 juin comme une simple opération de police, destinée à repousser les batteries palestiniennes au-delà de la ligne de 40 kilomètres, allait vite apparaître comme une véritable guerre servant des buts politiques précis. » Ces derniers avaient été explicitement énoncés par le général Ariel tal avec lequel Israël pourrait signer un accord de paix. » Si la paix israélo-libanaise, signée le 17 mai 1983, a duré quelques jours, le Liban, lui, a gardé pour toujours les séquelles de cette guerre meurtrière. Si la leçon libanaise semble être oubliée par l'héritier de Sharon, les Libanais, eux, ne l'ont certainement pas oublié. Qui alors, en définitive, a piégé l'autre : le Hezbollah ou Israël ?