Il y a un problème de l'islam en France» : scandalisé par la fausseté haineuse de ce propos, tenu à la radio par l'un des propagandistes les plus virulents de l'islamophobie, le «philosophe» Alain Finkielkraut, Edwy Plenel, journaliste et directeur de Mediapart, publie l'un des livres les plus percutants sur le racisme dont sont victimes les musulmans. Le premier mérite de son ouvrage, Pour les musulmans (1) – dont le titre fait écho à celui qu'écrivit Emile Zola lors de l'affaire Dreyfus, Pour les Juifs – est de se placer dans une perspective historique, de rappeler qu'il y a un peu plus d'un siècle, les juifs, lors de l'affaire Dreyfus (1898), furent l'objet d'un déferlement de haine et que le rejet des musulmans manifeste aujourd'hui le même refus névrotique de toute altérité. D'un siècle à l'autre – et Montaigne déjà le déplorait, lui qui «embrassait» un Polonais aussi amicalement qu'un Bordelais –, les Français sont atteints, devant toute étrangeté, d'une crispation identitaire qui peut les pousser jusqu'au crime.Comme en 1893 (massacre à Aigues-Mortes d'ouvriers italiens), cette crispation provoque de plus en plus souvent des flambées de violence. D'après la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), on constate «la résurgence en France d'un racisme brutal, biologique, biologisant, faisant de l'étranger», ou de celui qui a une origine étrangère, «un bouc émissaire». Ce racisme est le produit d'une politique qui, depuis plus de 100 ans, s'acharne sur les étrangers et assimilés. Edwy Plenel rappelle les propos aussi ignobles que stupides de l'ex-ministre Claude Guéant : «Toutes les civilisations ne se valent pas», des propos largement approuvés par Nicolas Sarkozy, et même dépassés par un Manuel Valls qui, lui, parle à plusieurs reprises d'«un ennemi intérieur» qui «prospère sur la radicalisation de l'islam» et plus précisément «dans nos quartiers populaires». L'un des mérites d'Edwy Plenel est de traduire en vrai français le discours des islamophobes. Un discours qui ne dénonce qu'en apparence les «dangers» de l'islam, presque toujours réduit à l'intégrisme. Un discours qui vise en réalité l'immigration, qu'il s'agit, dans les fantasmes des islamophobes, de limiter au maximum, et qui a également pour fonction d'occulter tout ce qui, dans la réalité, rend si difficile la vie de la plupart des Français : hausse régulière du chômage, blocage des salaires, majoration des impôts, désertification et désindustrialisation de régions entières… S'exprimant de plus en plus souvent dans les termes mêmes du Front national, les responsables politiques mobilisent régulièrement l'attention de leurs compatriotes sur l'islam, l'intégrisme, les djihadistes, les jeunes des cités qui tentent de gagner la Syrie et l'Irak et que les journaux télévisés mentionnent fréquemment. «Depuis qu'il est aux Affaires, écrit Edwy Plenel, Manuel Valls a banalisé une formule terrifiante : ‘‘l'ennemi intérieur, qui prospère sur la radicalisation de l'islam et plus précisément dans nos quartiers populaires''.» Si l'ennemi est dans les murs, il faut donc se préparer à la guerre, souligne E. Plenel, «une guerre d'une France contre une autre, une guerre avec ce que cela suppose d'exceptions aux règles et usages pacifiques d'une vie en démocratie». La rage antimusulmane, qui sévit en France, ne rend pas seulement insupportable et même dangereuse la vie quotidienne des musulmans – comme celle des Roms, régulièrement chassés des lieux où ils s'implantent, des Noirs, des juifs, souvent agressés, et même des pauvres, de plus en plus repoussés vers la périphérie des villes –, elle pervertit la mentalité d'un grand nombre de citoyens, les habitue à trouver normales des discriminations racistes, les rend pathologiquement sensibles à l'origine d'autrui, entretient la peur de l'autre, pour peu qu'il soit différent, même s'il n'est pas musulman, et porte atteinte à une démocratie de plus en plus exsangue. 1- La découverte, 2014.