Durant les dernières décennies, le patronat, le syndicat et les pouvoirs publics se sont tous mis d'accord pour clamer haut et fort que les politiques économiques doivent mettre l'entreprise au cœur de leurs préoccupations. Ce point de vue est unanimement salué comme l'orientation la plus salutaire qui puisse exister. On ne jure que par ce slogan. Mais que signifie-t-il au fait ? Chacun y va de son interprétation. Pour les patrons, cela signifierait plus de liberté d'entreprendre, de financement, d'appui aux activités productives, moins de bureaucratie et de pression fiscale. Pour les pouvoirs publics, cela devrait déboucher sur plus de patriotisme économique et de responsabilité sociale. Pour les syndicats, il est évident que la démarche aboutirait surtout à un meilleur partage des revenus de l'entreprise et la création de plus d'emploi. Il y aurait beaucoup d'autres choses pour d'autres acteurs (banques). Le fait est que lorsqu'on commence à réfléchir, en premier lieu sur comment libérer les entreprises et les aider devait affiner les politiques publiques et produire les résultats escomptés. Tout un chacun sait qu'un slogan ne suffit pas. Il faut décortiquer ce qu'il y a derrière et concevoir les méthodes et les outils pour le rendre opérationnel et l'exécuter sur terrain. Un slogan peut être un vain mot. Il est rare qu'il inspire des politiques et des pratiques salutaires. Cela fait une décennie que ce «dicton» est mis en avant par tous les partenaires sociaux. Il n'a pas changé grand-chose. Les énormes ressources mobilisées produisent une croissance molle, incapable de nous assurer le développement. Les partenaires sociaux restent sur leur faim. Il y a eu de nombreuses améliorations tout de même (climat des affaires, confiance, etc.), mais de meilleurs résultats sont toujours possibles et recherchés par tous. Quelle est la Source du Problème ? Pourquoi cela ne fonctionne pas plus efficacement ? Ce n'est pas parce qu'on a choisi un bon slogan qu'on en fait bon usage. Il est facile de stipuler que c'est resté un slogan et que les décideurs ne sont pas allés au bout de leur logique. On n'a pas débureaucratisé, l'acte d'investir demeure souvent tributaire de décisions administratives parfois arbitraires, produire localement est plus risqué et moins rémunérateur que d'importer, etc. Ce qui implique qu'on n'aurait pas mis l'entreprise économique au cœur des politiques nationales, ou tout au moins de l'entreprise productive. Cette ligne de pensée ne peut être écartée d'un revers de la main. Elle est tout à fait plausible. Généralement, lorsqu'un slogan fait l'unanimité, il est sujet à de sérieux problèmes. Il y aurait le sempiternel risque d'être compris différemment et donc la mise en œuvre des programmes d'action serait sujette à d'énormes dérapages. Il pourrait être si vague qu'il serait extrêmement compliqué de le traduire en programme d'action. Nous avons vu d'autres slogans qui ont produit des effets tout à fait contraires aux résultats escomptés. Souvenez-vous de «l'homme qu'il faut à la place qu'il faut». Pourtant, il est puisé d'un principe managérial fondamental qui stipule que tout être humain recèle des forces et des faiblesses. La meilleure entreprise ou le meilleur pays serait celui qui positionne ses ressources humaines dans des postes d'emploi pour lesquels elles ont les aptitudes (prédispositions, compétences et formation). Les spécialistes en gestion d'entreprise ont produit les outils et les méthodes pour l'exécuter sur terrain. Ceux qui en font un usage amélioreront grandement l'efficacité de leurs institutions. Il y a toute une industrie de la connaissance et une expertise dédiée à l'exécution de ce principe en milieu réel. Mais lorsque ce sont des politiciens du Tiers-Monde qui s'en emparent, il demeure un vœu pieux, une fumée opaque derrière laquelle toutes sorte de pratiques contraires se mettent en place et produisent des comportements tout à fait opposés aux principes énoncés. Y a-t-il des Alternatives ? Si les slogans servent à peu de choses lorsque les décideurs ne savent pas ou ne veulent pas les exécuter de manière concertée et efficace, alors que faire ? La stratégie des producteurs de slogans devrait à ce moment-là changer radicalement. En premier, lorsqu'un slogan vague est produit, il serait tout de suite nécessaire de préciser ce qu'on signifie par ce principe énoncé. Par exemple, il aurait fallu donner un certain nombre de principes ou de règles minimales qui impliqueraient le respect de son engagement. Par exemple, on pourrait stipuler que mettre l'entreprise au cœur des préoccupations économiques signifierait que nous devons être parmi les 50% premiers pays dans le Doing business à la fin du plan quinquennal, que 80% des crédits des banques iraient aux entreprises de production de biens et de services au niveau national, que la pression fiscale serait parmi les plus favorables au sein du bassin méditerranéen. Certes, les hommes d'affaires ont fait beaucoup de propositions en ce sens. Mais on n'a pas lié le slogan à des objectifs vérifiables. Les syndicats et l'Etat devraient eux aussi s'inquiéter de l'opérationnalité du concept. Il n'est pas question que l'amélioration des performances des entreprises n'aille pas de pair avec un meilleur niveau de vie des travailleurs et une pérennisation des activités des entreprises. Le syndicat peut stipuler qu'en contrepartie de tous les avantages liés au développement de l'économie productive, une partie des bénéfices (entre 10 et 20%) irait à l'amélioration des travailleurs. L'Etat pourrait également inciter le secteur productif à investir au moins 25% des profits (en échange d'une détaxe). Ainsi, les partenaires auraient un programme cohérent autour duquel parler. Sinon le slogan serait trompeur. Par ailleurs, plus un slogan est inclusif plus il a des chances de produire de meilleures politiques. Par exemple, si on travaillait à partir du slogan «Mettre la science au cœur des politiques économiques», on aboutirait à de meilleurs programmes Pourquoi ? Parce que si on mettait la science au cœur des politiques économiques, l'entreprise se taillerait forcément la part du lion. Elle serait au centre des préoccupations des politiques de développement. Mais lorsqu'on brandit l'entreprise en premier, le risque est grand de reléguer la science en dernier. Le résultat serait décevant.