Washington engage très lentement sa diplomatie, avec au bout une réunion à Rome d'un « groupe de contact » lequel très visiblement n'a pas été constitué à la va-vite comme l'atteste la convergence de positions de ceux qui le composent. L'objectif ne serait pas l'arrêt de l'agression israélienne contre le Liban, mais bien autre chose. L'approche américaine, appuyée par au moins des déclarations qui tiennent lieu de position pour nombre d'observateurs, envisage de multiples objectifs, avec l'Iran comme point majeur. A en croire la presse américaine d'hier très au fait de certaines tractations, il s'agit de « récupérer » la Syrie, autrement dit la convaincre de renoncer à sa relation privilégiée avec l'Iran pour mieux isoler ce dernier devenu influent en Irak, mais par ailleurs perçu comme une menace par les monarchies arabes du Golfe qui l'accusent de susciter des tensions internes par le biais de communautés chiites vivant dans ces pays. C'est le retour au climat de suspicion d'il y a un quart de siècle quand l'Iran était accusé de vouloir exporter sa révolution. Cette fois, semble-t-il, l'accusation porte sur cette ambition hégémonique. Comme pour reconnaître cette influence au moins en Irak, les Américains ont bien tenté d'impliquer le voisin iranien dans la recherche d'une solution. Ce fut un échec, comme le fait aussi de vouloir faire renoncer Téhéran à son programme nucléaire. Ce qui explique la nécessité pour Washington d'explorer d'autres voies, comme le fait d'agir sur son plus proche – sinon l'unique – allié arabe dans la région.Ils chercheraient alors des moyens de détourner la Syrie de son alliance de circonstance avec l'Iran. C'est ce qu'a affirmé hier le New York Times, citant des responsables gouvernementaux. Les Etats-Unis ne prévoient pas pour l'instant de reprendre les discussions directes avec le gouvernement syrien, mais cherchent à obtenir de l'Egypte et l'Arabie Saoudite qu'elles tentent de convaincre Damas de se retourner contre le Hezbollah, ont indiqué au journal ces responsables qui ont requis l'anonymat. « Nous pensons que les Syriens écouteront plus facilement là-dessus leurs voisins arabes que nous. C'est juste une question de savoir comment tout cela sera orchestré », a souligné un haut responsable, indiquant que la campagne diplomatique n'en était encore qu'à la première phase. Celle-ci a débuté hier, juste avant que la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice ne parte pour le Proche-Orient pour des discussions avec les dirigeants israéliens et palestiniens. Le président George W. Bush doit alors rencontrer à la Maison-Blanche le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saud Al Faisal, et le chef du conseil saoudien de sécurité nationale, le prince Bandar Ben Sultan, un ancien ambassadeur à Washington, très lié aussi, dit-on, au président Bush qui l'invitait souvent dans son ranch personnel de Crawford. Pression La réunion, à laquelle ont assisté Condoleezza Rice, le vice-président Dick Cheney et Stephen Hadley, conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, a lieu à la demande des Saoudiens, a ajouté le New York Times, citant des responsables américains. « Nous ignorons à quel point les Saoudiens seront patients vis-à-vis de l'action militaire israélienne. Ils veulent voir le Hezbollah balayé et ils aimeraient infliger un revers aux Iraniens », a souligné un de ces responsables. Mais dans le monde arabe, a-t-il ajouté, « ils ne doivent pas être vus comme agissant de la sorte avec trop d'enthousiasme ». Plusieurs collaborateurs du président Bush ont déclaré au journal que le projet était de faire pression à la fois sur l'Arabie Saoudite et sur l'Egypte, pour qu'elles poussent la Syrie à abandonner ses liens avec le Hezbollah et avec l'Iran. « Ils doivent insister devant eux sur le fait que si les choses vont mal au Moyen-Orient, les Iraniens ne seront pas d'un précieux secours », a expliqué l'un d'eux, cité par le quotidien. Ces deux pays arabes participeront à la réunion de Rome sur le Proche-Orient et l'un comme l'autre avaient critiqué et même dénoncé l'enlèvement par le Hezbollah de deux soldats israéliens, une opération par ailleurs liée pour certaines capitales occidentales à la décision d'envoyer le dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité. Le Hezbollah est le premier à s'étonner d'une telle affirmation, en affirmant que c'est Israël qui a décidé du timing de cette bataille et qu'il a été acculé à s'engager dans une bataille qu'il n'avait pas prévue. Quant à l'Iran, il dément tout lien militaire ou financier avec le Hezbollah, mais que l'on dit « influencé » par la pensée de l'imam Khomeiny et la révolution islamique. « Il y a une relation morale entre les deux », a déclaré Kazem Jalali, un influent député. Les diplomates occidentaux affirment que l'Iran a souligné ces derniers mois son influence dans la région dans différents messages perçus comme autant de mises en garde contre toute confrontation à propos de son programme nucléaire. Pour l'analyste Mohammad Sadeq Al Hosseini, l'Iran joue un jeu risqué, tout en affirmant que les relations entre le Hezbollah et l'Iran ne sont pas simples. « Le Hezbollah a pris l'initiative et c'est le mouvement chiite qui entraîne l'Iran derrière lui plutôt que l'inverse », affirme-t-il. « Si le Hezbollah sort vainqueur du conflit, l'Iran pourra manœuvrer plus facilement dans son dossier nucléaire, mais si le Hezbollah est affaibli, l'Iran sortira aussi affaibli », affirme cet analyste. L'analyste Hamid Jalaipour, proche des réformateurs, affirme quant à lui que le conflit libanais est une bataille entre l'Iran et l'Occident. « Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël affrontent la République islamique au Liban. A court terme, ils veulent paralyser le Hezbollah (...), mais à long terme ils cherchent à affaiblir l'Iran dans la région », affirme-t-il. Ce qui confirmerait alors les informations rapportées par la presse américaine et cela suppose de revoir certaines positions. Mais de quelle manière ? Après le bâton, la carotte ?