La secrétaire d'Etat américaine était hier à Beyrouth, un voyage de quelques heures certes, mais Mme Condoleezza Rice a dû se rendre compte à quel point le Liban tout entier était la cible de l'agression israélienne. Un choix délibéré qu'il faudra bien expliquer un jour. Et il était heureux au treizième jour de cette agression, qui a fait près de 400 tués et des dégâts impressionnants, de voir Mme Rice souligner « qu'un cessez-le-feu est urgent ». Des propos tenus alors qu'elle était en route pour Israël dans la nuit d'hier. Avant son arrivée à Beyrouth, Mme Rice avait appelé à un cessez-le-feu « urgent » entre Israël et le Liban, à condition qu'il soit « viable ». En lançant son appel, elle avait averti que tout accord devait débuter par un règlement des causes du conflit. « Il est important d'avoir les conditions pour qu'il (le cessez-le-feu) soit viable », avait ajouté Mme Rice, en rappelant la position américaine, selon laquelle un cessez-le-feu ne tiendra pas tant que ne seront pas abordées les causes profondes du conflit selon Washington, c'est-à-dire la menace que représente le Hezbollah libanais pour Israël et l'appui qu'il reçoit de l'Iran et de la Syrie. C'est la première fois que les Etats-Unis, qui veulent la neutralisation du Hezbollah libanais, appellent à un cessez-le-feu au Liban, depuis le début de cette nouvelle guerre contre le Liban déclenchée le 12 juillet. Pourquoi donc un tel changement, alors que jusque-là les Etats-Unis semblaient s'en tenir aux propos du président George Bush, qui parlait du droit d'Israël à se défendre, tout en mettant en cause la Syrie et l'Iran. Quant à l'ambassadeur américain aux Nations unies, il ne cessait de répéter qu'il ne pourrait y avoir de cessez-le-feu sans que des conditions soient remplies. Il citait notamment les clauses de la fameuse résolution 1559 de septembre 2004, stipulant le désarmement du Hezbollah, Israël y ajoutant son démembrement. Mais aussi depuis peu, le déploiement d'une force internationale qui précédera celui de l'armée libanaise le long de la frontière internationale. C'est enfin à deux jours de la tenue d'une réunion à Rome d'un « groupe de contact » sur le Liban visiblement improvisé rien que pour donner une espèce de caution internationale à des actions susceptibles de ne pas faire consensus au plan international. En ce sens, le Premier ministre israélien a mis la charrue avant les bœufs en se déclarant favorable dimanche au déploiement au Sud-Liban d'une force « formée par des pays de l'Union européenne » pour contrôler la frontière avec Israël et désarmer le Hezbollah. Son ministre de la Défense, Amir Peretz, a proposé qu'une éventuelle force opère dans le cadre de l'Otan. L'objectif est donc clair, désarmer le Hezbollah alors que celui-ci lie son action et même son existence à l'occupation par Israël d'une portion du territoire libanais. Mais avant d'y aller, Mme Rice a dû bénéficier de comptes rendus, lesquels ne concorderaient pas avec les objectifs assignés. « J'admets avoir espéré mieux de l'armée », a déclaré le ministre israélien sans portefeuille Eytan Cabel, secrétaire général du Parti travailliste. C'est la première fois qu'un ministre exprime ouvertement des réserves sur les résultats de l'offensive. Celle-ci devrait se poursuivre « plusieurs semaines », a estimé le général Udi Adam, commandant de la région militaire nord d'Israël. « L'objectif est de vaincre. Combien de temps cela prendra ? A mon avis, plusieurs semaines », a déclaré le général Adam à la radio publique. Sur le plan politique et moral, le fiasco est total, et l'on voit mal dans ses répercussions, comment les Libanais pourraient accepter le démantèlement du Hezbollah qu'ils considèrent avec beaucoup de fierté le fer de lance de la résistance anti-israélienne. L'effet du 14 mars (2005) qui a suivi l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, a vécu. Les Libanais ont constaté à quel point Israël et ses alliés qui ont toléré la destruction de leur pays ne leur trouvaient aucune différence. Résultat : des bombardements délibérément aveugles ciblant toutes les communautés et toutes les confessions. Le secrétaire général-adjoint de l'ONU pour les affaires humanitaires, Jan Egeland, a affirmé que les frappes israéliennes constituaient « une violation du droit humanitaire ». « Il s'agit d'un usage excessif de la force dans une zone avec autant de citoyens », a déclaré M. Egeland. Et puis, il y a ces tractations qui ne constituent pas selon toute vraisemblance, le facteur déclenchant de la tournée au proche-orient de la secrétaire d'Etat, celle-ci étant prévue depuis qu'a été annoncée vendredi la réunion de Rome. Avant le départ de Mme Rice de Washington, le président américain George W. Bush avait reçu effectivement le chef de la diplomatie saoudienne, le prince Saoud Al Fayçal, pour lui demander de faire pression sur la Syrie. A l'issue de l'entretien, qui a eu lieu en présence de Mme Rice, le prince Saoud Al Fayçal a déclaré avoir appelé à un « cessez-le-feu » immédiat au Liban. « J'ai trouvé le président très conscient des destructions et du bain de sang » au Liban, a assuré le ministre saoudien, notant la volonté de M. Bush de « parvenir à la fin des hostilités ». De quelle manière, avec qui, et sous quelles conditions ? De ce point de vue, il n'est plus possible de parler aux Libanais de la 1559 ; ce qui est donc inacceptable pour les auteurs de ce texte. Ce qui expliquerait alors ce regain diplomatique. Quant à la Syrie frappée d'ostracisme, elle semblait attendre son heure pour retrouver son statut contesté par la 1559 qui l'a contrainte à se retirer du Liban, elle insiste sur une solution passant par « un cessez-le-feu » et un « échange de prisonniers ». Un dialogue de sourds, mais comme l'enjeu est d'une extrême importance, il n'est pas exclu que des passerelles au moins soient établies. C'est encore une fois, gagner ou ne pas perdre. Même si le Liban a perdu ses infrastructures. Mais ce pays a gagné en revanche plus que dans toutes les guerres qu'il a vécues.