Au regard de la floraison de rencontres cinématographiques à travers le pays depuis 2010 environ, il apparaît que les cinéastes sont en train d'emprunter la même voie que les femmes et hommes de théâtre durant les tragiques années 1990. A l'époque, ceux-ci avaient multiplié les journées théâtrales pour faire survivre leur art, mais aussi pour le refonder. De la sorte, à défaut d'un circuit de distribution, les cinéastes profitent de ces embellies pour que leurs œuvres rencontrent le public, pour créer du lien entre eux, échanger leurs expériences et progresser dans leur apprentissage. Mais qu'en est-il de ces manifestations ? Du 14 au 17 octobre, 22 cinéastes du court métrage participaient aux premières journées cinématographiques de Témouchent (JCT). Un échantillon assez représentatif de ce qui se fait en la matière dans le pays. L'occasion était propice de tenter l'esquisse d'un état des lieux. L'exemple de la rencontre témouchentoise est édifiant. D'abord, les JCT qui sont nées à l'initiative d'une association, Ennejma essabia (Jeune étoile), ont eu la chance d'avoir été adoubées par les autorités culturelles locales et soutenues par elles de façon agissante. En outre, la manifestation s'est tenue avec un budget bien plus que dérisoire par rapport à la norme nationale, soit une cinquantaine de millions de centimes ! Ce qui a conduit Ennejma essabia a s'excuser auprès de ses invités de ne pas prendre en charge leurs frais de transport. Autre fait notable : bien que les trois prix fussent dotés d'un très modique montant (50 000, 30 000 et 20 000 DA), la manifestation n'a pas du tout été boudée et la participation enregistrée s'est avérée honorable. Certains des «courmétragistes» qui ne pouvaient faire le déplacement, ont envoyé leur film et se sont fait représenter par un collègue présent. Cette manière de ne pas trop se formaliser a été également celle d'un de leurs aînés, Moussa Haddad. Il a fait le déplacement pour présenter en clôture des journées son long métrage, Harraga Blues. Ainsi, solidaires avec Ennejma essabia dans sa militance en faveur du 7e art, peu leur importait que leurs films ne soient pas projetés dans des conditions professionnelles, en fait sur un mur plutôt qu'un écran. Pour eux, il était plus essentiel que le public fût là. N'y a-t-il pas plus d'une inférence à conclure de cette situation ? Ceci étant, il apparaît que le petit monde des réalisateurs du court recouvre trois catégories. Agés entre 20 et 30 ans pour la majorité, il y a ceux qui constituent le «dessus de panier», c'est-à-dire ceux qui arrivent à percer à l'international par le biais des festivals, ce qui leur permet, d'une part de voir leurs films achetés par les chaînes de télévision étrangères et, par voie de conséquence, de prétendre à être engagés en tant qu'assistants-réalisateurs sur des longs métrages. Ceux-là disposent d'un producteur et de budgets assez conséquents, travaillant ainsi avec des équipes techniques professionnelles à tous les postes. La deuxième catégorie est celle de cinéastes dont la qualité des œuvres n'a rien à envier aux premiers, sauf qu'ils sont leur propre producteur. Ils s'appuient sur le bénévolat de leurs amis, artistes ou amateurs, et de leur famille pour venir à bout de leur projet. Enfin, il y a les autres dont les travaux sont moins aboutis, avec des faiblesses scénaristiques et une réalisation quelque peu approximative. Encore en phase d'apprentissage, nombre d'entre eux habitent les villes de l'intérieur et ne manifestent pas l'ambition de sauter ultérieurement le pas du professionnalisme. Cependant, quel que soit leur statut, en visionnant les films en compétition comme sur d'autres canaux, il ressort globalement qu'ils puisent dans une thématique commune, où prédominent les sujets sociaux. Le mal-vivre y est récurrent. Et, pour la traduire, leurs films privilégient les atmosphères et les silences assourdissants. Ils s'achèvent en coups de poings, usent plutôt du raccourci que de l'ellipse, alors que certains poussent l'exigence jusqu'à ne recourir à aucun dialogue verbal. La mise en abîme, le flash-back sont récursifs ainsi que le personnage en errance ou en crise. L'exercice de style qu'ils constituent débouche, pour les travaux les plus remarquables, à la subversion des codes narratifs. A titre illustratif, qu'en est-il de quelques uns des films présentés aux JCT ? Plusieurs sont l'œuvre de diplômés de l'Ismas (Institut supérieur des métiers des arts du spectacle et de l'audio visuel de Bordj El Kiffan), comme Square Port Saïd, produit en 2011 (scénario et réalisation de Faouzi Boudjemaï, France). D'une durée de 6 mn, il a la particularité rare d'être une comédie romantique. Son intrigue se déroule dans un autobus de transport en commun et son microcosme d'usagers. Parmi eux, assis face à face, une jeune femme (Mina Lachter) et un jeune homme (Ahmed Dahham) engagent une communication muette. Une idylle se noue. Tout en plans rapprochés et dans le registre de la chronique, la caméra, sans heurt, prend le temps de dérouler le récit. En revanche, dans Equivoque (scénario et réalisation de Youcef Belghalem, Tlemcen), où il est également question d'attirance, celle-ci est plutôt libidineuse. En 10 mn, jouant plutôt de ses comédiens (Zarkaoui Abdelkader, Saber Ibrahim, Saber Nouralhouda) auxquels il a demandé de ne rien exprimer, c'est à une caméra subjective et un style hitchcockien que Belghalem recourt pour exprimer le refoulé. Tout est en outre dans le décor sonore et un rythme progressivement ascendant. Equivoque a été réalisé en 2014 avec «zéro budget», son auteur, un chômeur qui a bénéficié d'un prêt de matériel et du soutien d'associations où il compte des relations. El Intihar (scénario et réalisation en 2013 par Redouane Beledjila, Constantine), emploie ses 9 mn et demie pour dérouler un propos qui, de prime abord, semble être lié à une question sociétale, celle du suicide. Progressivement, le film prend de la densité, s'écarte des sentiers battus pour confronter le spectateur à un terrifiant barzakh et à des questions métaphysiques. Avec pour interprètes le réalisateur et son frère Hichem, évoluant dans de somptueux plans en cinémascope, Suicide est en noir et blanc. Techniquement et esthétiquement réussi, il a décroché le 1er prix des JCT. El Haouiya (Identité) datant de 2012, est également en noir et blanc. Il mise pour l'essentiel sur la performance d'acteurs (Bouhdjar Boudchiche, Abdou Merbouh, Taâmourt Abdelkader) dans un jeu très théâtralisé. Le film jette l'effroi avec ses personnages assujettis à l'horreur d'une déshumanisation sans nom. L'auteur, Abdeljaoued Ababou, de Sidi Bel Abbès, est un plasticien qui, influencé par la démarche de Jean Cocteau, selon ses affirmations, déclare vouloir jeter des ponts entre le 4e et le 7e arts à travers un «théâtre cinématographique». Le troisième prix est revenu à Derniers recours, produit en 2013 (scénario et réalisation de Mahi Bena, France). Cette comédie dramatique prend le temps de ses 17 mn pour raconter sa fable sans raccourci, celle des pérégrinations de Slimane qui se voit refuser le renouvellement de son titre de séjour d'étudiant. Acceptera-t-il, pour s'en sortir, de verser dans la délinquance avec son ami Mehdi ? Le jury des JCT ne s'est pas contenté des trois prix institués au regard de la qualité des autres films en compétition. Il a décerné, de son propre chef, trois autres prix d'encouragement dont l'un à Equivoque, précité. Youcef Souikat (Djelfa) a été aussi récipiendaire de cet encouragement pour El Maroûb qui aurait pu être intitulé «Sauvé par un cauchemar». Pour d'aucuns, il devrait être acquis par Sonelgaz au profit de ses «campagnes publicitaires dans l'intérêt général» tant il est terriblement efficace ! Belgrade Hakim de Blida a été le dernier gratifié pour I hate my Life, un vidéo clip réussi. Hakim est un jeune homme de 26 ans qui a appris la réalisation en autodidacte par le biais de tutoriels. Chemin inconnu, sur un scénario de Kheloufi Ala Eddine, n'a rien décroché. Son réalisateur, Salim Chouach (Sétif), étudiant en gestion et économie, a appris comme Hakim par le biais de «tutos», sauf que lui ne veut exercer qu'en tant qu'amateur. Mataha (2010) n'a pas lui non plus obtenu de distinction. Très chaotique et manichéen dans sa relation d'une errance, il multiplie les fulgurances outrées. Al Aar, produit par l'ISMAS, écrit par Mahmoud Chehada et réalisé par Khaled Bounab (Alger), d'après une nouvelle de Yasmina Khadra, ne convainc pas malgré la contribution de plusieurs comédiens de l'ISMAS dont émerge celle de Louaïl Nassima, par ailleurs distribuée dans trois des films au programme des JCT. Dounia Ring, (2012), autrement plus consistant cinématographiquement et qui soutient que la vie est un combat sans merci, force lui aussi le trait. Il a pour scénariste Traïkia Mohamed et pour réalisateur Guelil Abdelhafid (Bordj Bou Arréridj. Un boxeur presque K.-O. technique, trouve des ressources pour se relever et poursuivre le combat. Durant ses 5 mn 33, ce n'est pas aux rebondissements du combat auxquels le film s'intéresse, mais à la pétrifiante violence des coups échangés. Cri silence, 24 mn, produit en 2014, écrit et réalisé par Aloun Mohamed Mustapha (Tindouf) vient d'une ville où depuis quelques années fleurit le court métrage grâce à l'Office d'animation des jeunes. Ce film rapporte une histoire de rapt d'enfants et de trafic d'organes humains. Mené sous forme de thriller où l'hémoglobine coule à flots, c'est une pâle copie des séries B qui pèche pour avoir oublié que le cinéma est un art de la suggestion. Mohamed M'hamdi (Tindouf), plus inspiré dans un autre film qui n'était pas en compétition, Message à Obama, a raté I exist (4 mn 50) qui, lui, était programmé. Il s'y est peu investi dans le scénario comme dans la réalisation bien que le synopsis pouvait déboucher sur une vraie œuvre. Kabous ahlami, a vu sa durée initiale (23 mn) raccourcie de moitié par Abdelghani Kahali (Msila), son scénariste et réalisateur. Bien lui en a pris parce que dans la deuxième partie de la version originale, le scénario s'égarait en s'échinant à délivrer un discours édifiant et appeler à la piété religieuse, une façon d'exorciser les cauchemars à répétition que son personnage principal endure à chaque assoupissement. Apparemment, les débats d'après projection, en d'autres journées cinématographiques comme à Témouchent, ont dû convaincre Kahali de revoir sa copie. Akhir rissala, 10 mn 39, est d'une facture assez relevée. Un homme que tout accuse dans la mort d'une voisine est interrogé par un suspicieux policier. A coup de flash-back, l'intrigue déroule ses retournements de situation. Enfin, Khoutoute kadhiba (Lignes mensongères) est le film de l'unique réalisatrice présente, Badra Yahya Lahcen (Relizane). Il met en scène le drame d'une lycéenne qui échoue au baccalauréat. Elle recourt à un psychodrame pour échapper aux réactions redoutées de sa famille. La construction dramatique est cependant aléatoire et la distribution sans qualification. Badra, diplômée de l'Ismas, compte grâce au dispositif de l'Ansej monter une boîte de production audio-visuelle. Elle a encore beaucoup à apprendre…