Ces chiffres effarants, on ne les met suffisamment pas en relief faute de campagnes de sensibilisation qui ne profitent que pour la sécurité routière. Ils autorisent pourtant à voir que le péril de la mer rivalise avec le terrorisme des routes. Destination enchanteresse, ensorceleuse et aimantine, Béjaïa a des charmes dévorants. Les baigneurs qui ont déferlé, depuis la fin du mois de carême, par dizaines de milliers quotidiennement sur la côte bougiote ont quitté la côte et se sont engagés sur le chemin du retour depuis les rentrées sociale et scolaire. Ce n'est pas pour autant que les plages se sont désempli. D'insatiables baigneurs, ou tout simplement derniers arrivés ennemis des foules, y profitent des grands espaces libérés par les derniers aoûtiens. Les plages attendront encore quelques jours pour se désemplir, même si le dispositif sécuritaire a été levé totalement ce 30 septembre signifiant la fin officielle de la saison estivale. Mais le temps est déjà aux bilans. Celui qui donne la mesure de l'affluence estivale enchante avec 6,5 millions de baigneurs, recensés très approximativement. Un peu au-delà de la proportion de l'été passé. Mais les bilans de tous les étés font de l'ombre à d'autres statistiques. Macabres celles-là. Malheureusement, aucune saison estivale n'est passée sans que la méditerranée n'avale traîtreusement des vies. Depuis début juin jusqu'au 28 septembre, vingt six baigneurs se sont noyés sur la côte bougiote. Un bien lourd bilan qui signe un pic de ces dix dernières années. Et chaque fin d'été, la liste des noyés confirme un fait relevé fatalement l'été d'avant : c'est que dans leur écrasante majorité, les victimes viennent de l'intérieur du pays. «Voir Béjaïa et mourir !». Sensée traduire tout juste une ardente envie de goûter au charme irrésistible de Béjaïa même au prix de la vie, cette expression trouve là un tout autre sens, dramatique, et traduisant une dernière «volonté» que l'on n'a du tout pas formulée. Du 1er juin au 31 juillet 2011, la protection civile a compté 13 noyés dans les eaux de Béjaïa, le plus âgé ne dépassant pas la quarantaine d'années et le plus jeune d'à peine 12 ans. Moins que les étés passés, parce que le mois de carême empiétant de plus en plus sur la saison estivale et réduisant du coup le taux de fréquentation des plages, mais le chiffre révèle que sur les 13 noyés, l'écrasante majorité, soit 12 victimes, sont des jeunes venus de l'intérieur du pays que le danger de la mer a surpris. La majorité a péri sur des plages interdites à la baignade, donc non surveillées, ou en dehors des horaires de surveillance. Ils sont de Tebessa, Batna, Sétif, Oum El Bouaghi, Khenchela, et d'El Oued, toutes des wilayas de l'extrême est du pays. Un hasard ? Avant d'aller plus loin, voyons voir d'abord le détail du bilan de l'été 2014. Les noyés, tous de sexe masculin, âgés entre 14 et 40 ans, sont de Sétif, BBA, Tebessa, El Oued, Oum El Bouaghi, Batna, Mila, Ghardaia, …. Six d'entre eux sont de la seule capitale des Hauts plateaux. Et ce triste fait ne date pas de cet été qui vient de s'achever. Macabre liste En 2010, on a déploré 16 noyés. Et ce ne sont pas forcément de jeunes baigneurs emportés par la joie de la mer, puisque on a aussi repêché le corps inerte d'un vieux de 78 ans. La moitié des 16 noyés était de la wilaya de Sétif. Huit jeunes sétifiens qui ont laissé leur vie sur les côtes bougiotes, faisant le gros des victimes depuis déjà quelques années. En 2009, ils étaient sept jeunes sétifiens sur les 18 noyés et autant en 2008. En 2012, sur les 8 noyés, trois sont originaires de Sétif. L'été passé, ils étaient deux sur une macabre liste de 14 victimes dont quatre Biskris. Le chiffre est effrayant : rien que pour les sept étés 2008-2014, la mer a rejeté les corps sans vie de 35 jeunes sétifiens à Béjaïa. C'est le tiers des 109 noyés que la mer a rejeté depuis 2008. Presque tous du sexe masculin. Pas une seule femme ne s'est aventurée dans la grande bleue avant cet été de 2013 où trois jeunes filles ont péri. Les listes des victimes sont allongées par les noms de jeunes baigneurs originaires majoritairement de wilayas non côtières : Laghouat, Constantine, M'sila…. Les dégâts auraient pu être plus lourds s'il n'a pas fallu compter avec la promptitude des surveillants de baignade et plongeurs de la protection civile qui ont sauvé «d'une mort certaine» bien des vies. A se fier aux différents bilans de la protection civile, et rien que depuis 2011, bien plus de 18 000 baigneurs ont été arrachés des dents de la mer. «La majorité est originaire des Hauts plateaux» affirme à El Watan capitaine Soufi, le chargé à l'information à la direction de la protection civile de Béjaïa. Un travail de sensibilisation des risques de la mer semble manquer dans les wilayas de l'intérieur du pays. Ces chiffres effarants, on ne les met suffisamment pas en relief faute de campagnes de sensibilisation qui ne profitent que pour la sécurité routière. Ils autorisent pourtant à voir que le péril de la mer rivalise avec le terrorisme des routes.