Cinéma et guerre de libération, Algérie, des batailles d'image est le nouvel essai d'Ahmed Bedjaoui, paru aux éditions Chihab et présenté au 19e Salon international du livre d'Alger (SILA) qui se poursuit jusqu'à demain au Palais des expositions des Pins maritimes. «Le cinéma algérien a joué un rôle essentiel pendant et après la guerre de libération. De son côté, le cinéma français, victime de la censure et de l'autocensure restait frileux. Nous avons donc un cinéma algérien qui pense avoir rempli ses devoirs dans le passé, et de l'autre, une histiographie audiovisuelle française qui se réveille à l'orée du millénaire pour interroger des mémoires encore meurtries», souligne le critique et universitaire dès les premières pages de l'ouvrage. Un ouvrage riche en images aussi. On y voit Tahar Hanache assistant au tournage de Les plongeurs du désert (film interdit par l'administration coloniale en 1954), Larbi Zekkal, Yacef Saadi et Ibrahim Hadjadj dans La bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo... L'auteur a choisi des images de certaines scènes de plusieurs films dont La voie de Mohamed Slim Riad, Vivre au paradis de Boualem Guerdjou, La grive de Abderrahmane Bouguermouh, L'opium et le bâton d'Ahmed Rachedi et Chroniques des années de braise de Mohamed Lakhdar Hamina. Ahmed Bedjaoui est revenu sur la levée de boucliers en France contre le film de Rachid Bouchareb, Hors-la-loi, en raison des scènes montrant le massacre par l'armée coloniale des manifestations du 8 Mai 1945. Autisme Les nostalgiques de l'Algérie française avaient tenté d'empêcher la projection du film au Festival de Cannes en 2010, courageusement sélectionné en compétition par l'équipe de Thierry Frémont, le délégué général. «A travers la polémique politico-médiatique qui a entouré la présentation de Hors-la-loi, les Français ont découvert l'ampleur des massacres perpétrés par l'armée française, appuyée par des milices qui, hier encore, se réclamaient de Pétain et du nazisme. Ce film a mis à nu l'autisme contenu dans une culture coloniale encore très vivace en France (…). La sortie du film a été contrariée par une campagne d'intimidation massive et la presse française a tenté, dans sa quasi-unanimité, de minimiser la valeur du film, lui opposant Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois», écrit Ahmed Bedjaoui. Selon lui, la guerre se poursuit, plus de soixante ans après, par les images. «Faut-il s'en plaindre ? Bien au contraire, c'est à force de convoquer le passé et de confronter les mémoires que les faits seront assumés de part et d'autre», a-t-il souligné. Ahmed Bedjaoui a rendu hommage dans son livre à tous ceux qui ont soutenu la Guerre de Libération nationale par l'image et le son comme Djamel Chanderli, Cécile Decugis, Yann Le Masson, René Vautier, Karl Gass, Zdravko Pecar, Jacques Charby et Stevan Labudovic. La photo de couverture du livre est d'ailleurs celle du Yougoslave Stevan Labudovic portant une caméra. Labudovic, qui était le photographe officiel de Tito, a filmé plusieurs actions de l'ALN entre 1959 et 1962. «Labudovic a rejoint l'ANP après 1962. Il reçoit à ce jour sa pension de retraite de l'armée et insiste pour assister aux festivités du 1er novembre», indique Ahmed Bedjaoui lors d'un débat organisé au stand des éditions Chihab au SILA. La Yougoslavie avait été le premier Etat européen à reconnaître le GPRA le 12 juin 1959. Image L'auteur évoque dans son livre le grand rôle joué également par M'hamed Yazid pour donner une image claire à la lutte d'indépendance algérienne au niveau international. «Abane Ramdane et Mohamed Boudiaf avaient compris que le fusil ne suffisait pas pour vaincre. Il fallait également recourir à la caméra et au journal. A New York, nous avons acquis l'opinion publique américaine à notre cause, rallié le sénateur Kennedy, grâce au travail efficace de lobbying. Travail mené sur toutes les grandes places diplomatiques du monde. Plusieurs journalistes américains sont venus faire des reportages en Algérie durant la guerre. Je n'ai pas la prétention d'écrire l'histoire, mais je me suis intéressé dans le livre à l'image et à son rôle à montrer ce qui se passait en Algérie durant la Guerre de Libération nationale», précise Ahmed Bedjaoui lors du même débat. L'auteur a cité dans son livre le travail de deux reporters américains, Peter Throckmorton et Herb Greer, qui ont réalisé un reportage avec les combattants de l'ALN au niveau de la Wilaya V. En 1957, la NBC a diffusé un documentaire Life behind the lines à travers lequel les Américains ont découvert le combat du peuple algérien. «Ce succès médiatique doit, certes, beaucoup à Throckmorton, mais également au duo Abdelkader Chanderli et M'hamed Yazid», relève Ahmed Bedjaoui.