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«La médecine gratuite est financée par les cotisations des assurés»
Dr Farid Chaoui. Gastro-entérologue et co-auteur de l'étude sur les systèmes de santé en Algérie, au Maroc et en Tunisie, des transitions inachevées publiée en octobre 2013
Publié dans El Watan le 09 - 11 - 2014

-Pensez-vous que le patient algérien assuré social qu'il soit atteint de maladie chronique ou autre dépense des sommes faramineuses (consultation, exploration et traitement, etc) qui ne sont pas couverts par la sécurité sociale ?
Le moyen le plus objectif de vérifier qu'une population donnée est correctement couverte par le système d'assurance maladie est d'étudier la structure de la Dépense globale de santé (DGS) : c'est à dire définir le montant global que la société dépense pour ses besoins sanitaires et établir l'origine de cet argent. En Algérie, il existe 3 sources de financement du système national de santé : l'Etat, la Sécurité sociale et les ménages : ce dernier poste correspond à tout ce que nous dépensons pour nous soigner et qui n'est remboursé ni par la sécurité sociale ni par les caisses de l'Etat.
Or, jusqu'à la fin des années 80', la structure de la DGS se décomposait à environ 30% pour l'Etat, 60% pour la sécurité sociale et 10% pour les ménages. La part des ménages n'a pas cessé d'augmenter depuis les années 90' en raison principalement de l'émergence de la médecine libérale dont la place se limitait à la médecine ambulatoire jusqu'à le fin des années 80' et qui depuis se développe aussi bien dans les explorations fonctionnelles (radiologie, laboratoire...) que dans le secteur de l'hospitalisation. Or, le barème de remboursement de tous ces actes par la sécurité sociale est resté bloqué à ce jour sur la nomenclature des actes de... 1987. Certains experts considèrent ainsi que la part des ménages est passée de 10 à 40% aujourd'hui, ce qui indique clairement que les Algériens sont de moins en moins couverts par le système mutualisé de la protection sociale et qu'ils payent de plus en plus cher de leurs poches leurs soins de santé.
-Les pouvoirs publics prônent la médecine gratuite en Algérie. Est-ce vraiment le cas ?
La médecine gratuite n'existe pas ! C'est un slogan politique vide de sens. La médecine coûte cher : tout dépend simplement de qui
paye : l'usager lui-même, ou un système mutualisé (assurance maladie) ? La loi de 1972 portant gratuité de la médecine (curieusement dite médecine gratuite et non santé pour tous) a permis, en effet, un accès généralisé et libre aux soins de santé, mais n'a jamais été gratuite. Là aussi on s'aperçoit qu'avant cette loi, la DGS était principalement financée par les caisses de l'Etat à plus de 60%, la sécurité sociale ne payant que les frais de ses propres assurés à hauteur de 30% de la DGS, le reste payé par les ménages. Après cette loi, la structure de la DGS va s'inverser car l'Etat, au nom de l'unification du financement du système de santé, va imposer à la sécurité sociale un «forfait hôpitaux» de plus en plus lourd (je crois qu'aujourd'hui il avoisine les 60 milliards de dinars) qui va modifier la structure de la DGS aux dépens de cette dernière. La «médecine gratuite» a donc été financée par l'argent de la sécurité sociale, c'est-à-dire par les cotisations des assurés.
-Quel est, d'après vous, le mécanisme adéquat pour un vrai redressement de l'actuel système de santé en Algérie ?
C'est la question la plus délicate car elle n'a pas de réponse unique, tout dépend d'abord de quel système de santé nous voulons : un hypermarché de la maladie où chacun se sert en fonction de ses moyens, ou une politique de santé considérée comme un pilier de la cohésion sociale obéissant aux principes fondamentaux de solidarité et d'équité. Si l'on choisit la deuxième option et ceci mérite un débat national, il faudrait établir un bilan de nos besoins et de nos moyens et définir une stratégie sur les court, moyen et long termes. Or, nous faisons face justement à des défis sanitaires majeurs : les moyens sont relativement réduits : nous manquons de lits hospitaliers, de personnels de santé, et surtout la fameuse DGS ne dépasse pas les 380 US$/an/habitant (contre par exemple plus de 4000 US$ dans les pays de l'OCDE).
En même temps, l'émergence des maladies non transmissibles (maladies cardio-vasculaires, cancers et maladies métaboliques tel le diabète) et le vieillissement de la population (nous serons plus de 15 millions de sujets âgés de plus de 60 ans à l'horizon 2025) augmentent de manière très importante les besoins de santé en «quantité» et en «qualité», car les soins apportés aux maladies non transmissibles sont très chers. Autrement dit, à partir des années 2020, nous serons plus de 40 millions d'Algériens avec une demande de soins équivalente à un pays de l'OCDE, mais avec des moyens financiers équivalents à 10% de ce que dépensent ces pays riches. La politique nationale de santé doit impérativement tenir compte de cette réalité : il nous faut définir de manière précise nos priorités à court, moyen et long termes et étudier les moyens les plus pertinents et les moins chers pour y faire face (soigner mieux et moins cher).
Le financement des programmes arrêtés doit être mutualisé : une seule caisse d'assurance maladie nationale délivre la même carte d'assurance à toute la population sans distinction d'origine sociale ou de revenu et le système de soins doit être unifié : les secteurs public et privé doivent répondre au même cahier des charges, leurs prestations doivent s'inscrire dans les priorités du programme national de santé et totalement prises en charge par la caisse d'assurance maladie. Je crois que seule cette démarche réaliste et réfléchie permettra de satisfaire au mieux les besoins grandissants et complexes en soins de santé et éviter la dérive que connaissent beaucoup de pays de même niveau de développement. Une catégorie de plus en plus faible de la population absorbe une partie de plus en plus importante des moyens de santé, le reste de la population devant se saigner à blanc pour faire face à ses besoins de santé primaires.


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