Réda Kateb, l'acteur bankable français d'origine algérienne, était à Alger pour présenter en avant-première du film Loin des hommes de David Oelhoffen. Un «pro» fête l'Algérie ! - C'est le retour de l'enfant «prodige»... C'est la première fois depuis longtemps. J'étais venu enfant à Oran, dans ma famille. Je m'étais toujours dit que je reviendrai pour tourner ou présenter un film. Eh bien, c'est l'occasion. - Que ressentez-vous ? C'est très fort. Surtout avec l'avant-première du film Loin des hommes, aujourd'hui, à Alger. J'ai un peu le trac, j'espère que les gens vont se sentir représentés par ce film. Justement, votre actualité c'est le film Loin des hommes... C'est un film qui raconte aussi l'histoire de mon père dans ces années-là. Parce que mon père a commencé à faire du théâtre pendant la guerre d'Algérie. Il a vécu ces années-là. Je l'ai toujours connu dans l'exil. Et pour préparer Loin des hommes, j'ai vu des films comme par exemple Hors-la-loi de Tewfik Farès. Et j'ai vu mon père à trente ans en Algérie, quand je préparais ce rôle. Donc, c'était fort. Voilà, je trouve que mon métier, c'est un beau moyen pour se «remuer» les racines, quoi ! - Le film Loin des hommes est une adaptation d'une nouvelle d'Albert Camus, intitulée L'hôte... Oui, absolument, c'est une adaptation de la nouvelle L'hôte, issue du recueil L'exil et le royaume de Camus. - Vous aimez Camus... Ah oui ! beaucoup, bien sûr ! Je pense personnellement que le film n'est pas seulement une adaptation, mais aussi une extension de la nouvelle qui s'arrête presque là où le film commence à prendre son élan. Et on a essayé avec le scénariste, le réalisateur, lors du tournage, d'être fidèles à Camus, à l'Algérie. Donc, c'est très fort symboliquement que de venir ici, en Algérie, présenter le film en premier, avant de le sortir en France. - Le rôle de Mohamed le rebelle et révolutionnaire dans Loin des hommes, est-il spécifique dans votre filmographie ? Non, ce n'était pas lourd à porter. C'était fort. C'est un rôle intense. Oui, effectivement, un tournage très intense. C'est un personnage qui met du temps à parler, qui est dans la retenue, qui est dans le secret, qui garde un secret pendant une bonne partie du film. Au-delà du film, du cinéma, pour moi cela me renvoyait à mes ancêtres. Et j'aime cette chose finalement, et faire des films c'est aussi une manière de se découvrir et découvrir le monde. - Comment s'est passé le tournage avec l'acteur Viggo Mortenssen ? Fraternellement ! Comme dans le film. On a fraternisé. C'est un grand acteur et être humain. Un vrai ! Quelqu'un qui utilise ce métier pour aller vers les autres. Et non pas pour se couper des autres ou de la réalité. C'est un citoyen du monde. Un homme libre. Et donc, c'est comme un grand frère pour moi, quoi ! Moi aussi j'essaie de me placer dans la lignée de ce genre de figure. - Et dans le blockbuster Zéro Dark Thirty, où vous campez le rôle d'un terroriste, sous la direction de Kathryn Bigelow ? Moi, ce que j'ai aime dans ce personnage, c'est qu'il n'est pas une figure caricaturale du terroriste. C'est un homme, au contraire. Le film débute dans le noir, et puis l'image s'ouvre sur la salle de torture. C'est un trait d'union entre les attentats du 11 septembre et les horreurs qui ont été commises par les Américains dans pas mal de pays. Et, finalement, c'est plus qu'une figure de terroriste. C'est un homme qu'on dépouille de son humanité. Et qui se retrouve déshumanisé. Ce n'était pas dur dans le sens où avec la réalisatrice, Kathryn Biglow, on avait vraiment une complicité, un partenariat. Et je n'étais jamais forcé. On travaillait et cherchait ensemble les scènes. Comme j'aime le faire dans les films où je joue. - Et avec l'actrice américaine Jessica Chastain ? Un bon rapport de camaraderie. Elle est très professionnelle. Très bonne camarade. Très sympathique. J'aime le professionnalisme de ce genre d'acteur ou actrice. - L'acteur et réalisateur Ryan Gosling vous a sollicité pour incarner un rôle plutôt humain dans Lost River... C'est un film américain indépendant. Mais après, moi je choisis les projets. - Vous êtes sélectif dans vos choix de films ? Oui, absolument ! Oui, je refuse quasiment tous les jours des projets. Je refuse beaucoup de choses. - Qu'est-ce qui vous séduit dans un scénario ? Le renouvellement, la découverte. Assouvir ma curiosité à travers les rôles, de ne pas me lasser ainsi que les autres. Je trouve que ce métier est un beau moyen pour se découvrir et découvrir le monde, quoi ! Donc, effectivement, ces dernières années j'ai beaucoup tourné aux Etats-Unis, au Kenya, en Jordanie, au Maroc et dans pas mal de pays. Et c'est vraiment une chance. Mais il faut déjouer les pièges qui sont d'accepter d'être justement le «bandit» de service en permanence. Ou de faire un fonds de commerce de son identité. Tenter d'être libre. C'est ce que j'essaie de faire. - Vous avez de qui tenir ! Kateb Yacine est votre grand oncle. Est-ce lourd à porter ? Non, ce n'est pas lourd à porter. Au contraire. Cela vous porte. C'est une lignée qui n'est pas aristocratique, d'intellectuels cloisonnés au café de Flore ou encore dans le showbiz parisien. Mais au contraire, des hommes qui s'impliquent et pour qui l'art a quelque chose d'essentiel. L'idée n'est pas juste de faire la vedette, de monter dans une superbe bagnole, mais de se donner corps et âme dans ce que l'on fait. C'est ce que j'essaie de faire. - Etes-vous tenté d'adapter à l'écran une œuvre de Kateb Yacine ? Pas pour le moment. J'ai passé beaucoup d'années à travailler sur les textes de Kateb Yacine. C'était peut- être un peu le lait que j'ai bu dans mon enfance. J'ai travaillé avec mon père, Malek Eddine Kateb, qui était comédien au théâtre et un peu au cinéma aussi. On a fait des lectures ensemble de Kateb Yacine. On fait des choses avec Amazigh (Kateb), son fils. On avait à l'époque monté Mohamed prend ta valise... - Vous avez récité des textes de Tahar Djaout... Oui, effectivement, à France Culture. Mais là, en ce moment, je suis plus sur d'autres choses. Si Dieu nous prête vie, incha Allah, je reviendrai sûrement à un moment sur l'héritage de Kateb Yacine. - On espère vous voir bientôt tourner ici, à Alger... J'aimerais beaucoup venir ici en Algérie pour travailler. Pendant une période. Deux ou trois mois. Et faire mon métier. Et j'espère que cela viendra un jour. Je pense qu'il y a des chances quand même. - La bande originale du film Loin de hommes est signée par l'Australien Nick Cave (and The Seeds)... C'est aussi un film international du coup, grâce à Viggo Mortenssen. Le film Loin des hommes, on l'a présenté à Venise, Toronto... On a parlé avec des journalistes du monde entier. C'est beau de voir que des gens sans a priori par rapport à l'Algérie, à l'histoire de la guerre d'Algérie, reçoivent ce film. On a débattu dans des salles au Canada, en Italie, avec des gens qui ne connaissent pas vraiment cette histoire et qui sont touchés par le film. Donc, je pense que c'est aussi une manière de faire rayonner l'Algérie dans le monde entier.