Né à Ivry-sur-Seine en 1977, Reda Kateb est le fils de Malek-Eddine Kateb, homme de théâtre et acteur algérien émigré en France, et d'une infirmière d'origine tchèque et italienne. Il est également le petit-neveu du poète Kateb Yacine et de Mustapha Kateb. Acteur caméléon, il a à son actif une foultitude de rôles inattendus dans de très bons films à registres différents. Rencontre à Alger avec un artiste de talent, homme discret mais à la fois chaleureux et simple. L'Expression: Tout d'abord, est-ce la première fois que vous venez en Algérie? Reda Kateb: je ne suis pas revenu depuis très longtemps, depuis l'enfance en fait. Je m'étais dit depuis un moment que je reviendrais ici. Soit pour tourner un film, ce que j'espère faire dans les années qui viennent. Soit pour en présenter un. Il fallait donc cette occasion. Pourquoi cette absence du cinéma algérien? C'est vraiment la lecture des scénarios, quel que soit le pays, qui me pousse à y aller. Ce film, c'est vrai qu'il est réalisé par un Algérien mais il raconte l'Algérie dans laquelle, moi, pour préparer ce film je me suis plongé dans le cinéma des années 1960, des films dans lesquels mon père avait joué, Malek eddine Kateb. Ça s'est fait là avec Loin des hommes et j'espère recevoir un magnifique scénario dans les temps qui viennent et venir tourner un film en Algérie. Votre rôle est assez spécial... l'Arabe à qui on donne un prénom déjà... Oui c'est celui d'un berger de la campagne qui est amené par un gendarme français à un instituteur français car il est accusé d'avoir tué son cousin pour un sac de blé. Un meurtre de misère en période de famine en 1954, au moment où la terre commence à trembler, où la guerre d'Algérie a commencé à naître et finalement, le film porte sur la rencontre de ces deux hommes, au-delà du contexte, de leur identité, de leur communauté et de leur religion. Et je trouve que dans le monde c'est une chose dont on a besoin aujourd'hui. On a présenté déjà ce film à Toronto, à Venise et, parlé à des journalistes du monde entier et vu le repli communautaire global qui existe aujourd'hui, c'est ce genre de messages, qui sont importants, en même temps ce n'est pas un simple message humaniste de petite fleur, c'est Camus. Le personnage de Viggo Mantersen qui joue le rôle de l'instituteur vit aussi dans une utopie. Il pense échapper à l'instrumentalisation qui est faite par le pouvoir français. Il vit parmi les Algériens, il parle arabe, il est intégré totalement parmi les gens. Il ne se rend pas compte qu'apprendre le français aux enfants, distribuer des sacs de grains fait partie d'une mécanique coloniale. Lui -même n'est pas un colon. Il pense qu'il peut vivre comme ça mais l'histoire le rattrape. Il essaye de sauver l'arabe.... Oui parce que deux hommes se rencontrent au-delà de ce qu'ils représentent. La rencontre se fait tout au long du film et se tisse durant toute la durée du film. Ce sont deux hommes très pudiques qui se livrent par petites touches. Ils ne sont pas ennemis mais ils ne sont pas faits pour devenir amis. Un peu comme la métaphore du titre. Du lointain, scène d'ouverture du film, on rentre dans l'histoire et on se rapproche du centre, du coeur de l'humain, l'autre... Oui, effectivement, oui, dans la nature aussi. Ils sont là à marcher ensemble côte à côte, épaule contre épaule pendant longtemps. Il leur arrive des péripéties. Ils marchent dans la montagne, face aux tempêtes de sable, de la pluie et la nature est très présente et ces deux personnages ont deux connexions très puissantes avec la nature. Vous avez joué dans pas mal de films. Comment arrive-t-on à choisir le bon scénario en passant notamment du Prophète à Zero dark thirty ou Lost river que j'ai vu cette année à Canne... Vous êtes un acteur caméléon... On essaye de se renouveler, de ne pas se lasser, de ne pas lasser les autres. D'aller vers des choses que l'on ne connaît pas. Relever des challenges. De ne pas se conforter quoi. Pour moi ce métier est une manière de se découvrir justement, de me découvrir et découvrir le monde. Ce n'est pas une manière de me mettre à l'écart. De vivre dans une bulle... le panel est très large. Je fais ce métier pour changer tout le temps. Je peux jouer Mohamed, Vincent, Stephane, c'est une chance que j'ai. Aussi, je ne suis pas un mec du show-biz. Si vous me voyez à Cannes, ce sont les Jeux olympiques du cinéma. J'aime aussi dans certaines occasions faire la fête mais je fais la part des choses. J'aime le chantier. Hier, jusqu'à 4h et demie du matin j'étais en train de tourner à Nice un film. C'est l'histoire d'un chauffeur de taxi. Il est accusé d'enlèvement d'enfant mais ce n'est pas lui qui l'a fait. C'est une erreur judiciaire. Je suis sur ce chantier depuis trois semaines. Dans Lost river vous jouez aussi le rôle d'un chauffeur de taxi totalement atypique, celui d'un Français d'origine algérienne, émigré aux Etats-Unis (Détroit) dans un endroit très bizarre. Un film fantastique bien étrange... ça sous-entend pour moi l'émigration d'un Algérien dans un monde complètement chaotique. Et pourtant ça se tient. Votre rôle m'a vraiment bluffé... C'est un personnage que j'aime beaucoup. Un homme qui est venu aux Etats-Unis pour chercher une vie meilleure. Dans Hyprocrate je joue aussi le rôle d'un médecin algérien cardiologue qui n'a pas assez de diplômes reconnus... il trime donc dans un hôpital français au tarif d'un étudiant. Je ne me proclame pas en tant qu'artiste engagé. Je trouve que ça sent trop fonds de commerce, des gens qui se disent ça d'eux-mêmes. D'autres peuvent le dire sur moi ce n'est pas un problème. Mais j'aime que les personnes me permettent de montrer les gens. Ce n'est pas moi que je cherche à montrer. J'aime raconter des histoires et à être un réflecteur de lumière pour éclairer des situations. Ce rôle on l'a construit ensemble avec Ryan Gosling. Le personnage était déjà écrit. Mais après on travaille ensemble. On en a fait cet homme émigré qui n'a pas de planning. Finalement c'est le seul homme protecteur vis-à-vis de cette femme dans ce film où tous les hommes veulent prendre quelque chose d'elle. Quand elle est dans son taxi, il ne la drague pas, il la protège et partent ensemble avec la famille à la fin. C'est un espèce de bon chevalier servant. Question bateau: et l'Algérie dans tout ça? Je suis né en France. De la même manière qu'aux USA, si vous demandez à un chauffeur africain qui a un très fort accent d'où il vient, il vous dira je suis américain. Je pense qu'en France, ma génération, les enfants d'émigrés doivent dire «je suis français et j'ai la chance d'avoir une autre culture». La culture est faite de ça. Ce n'est pas que le camembert. Je ne suis pas nationaliste d'aucune sorte. Je me sens du pays dans lequel j'ai grandi, dans lequel je suis né et en même temps je me sens citoyen du monde. Après, dans ma vie et dans mon parcours j'ai fait plein de choses, que ce soit la musique gnawa, notamment avec Amazigh où on a monté la pièce Mohamed prends ta valise, fait des catamini (moi je lis des textes de Kateb Yacine et, lui, joue chante). On va le refaire je l'espère dés qu'on aura un peu de temps. Là j'ai un planning de malade. J'ai huit films à sortir. Connaissez-vous un peu le cinéma algérien? Je ne le connais pas très bien. Mais j'aime beaucoup le travail de Lyes Salem par ex. j'ai adoré Mascarades qui me fait penser à la comédie italienne dans ce qu'elle peut avoir de meilleur. J'aime beaucoup ce réalisateur. Après j'ai failli faire un film avec Nadir Mokhnache mais on ne s'est pas entendu sur le film. J'aime bien les premiers films de Merzak Allouache. Mais aussi les Hors-la-loi de Tewfik Farès. Si un jeune Algérien vous demande de jouer dans son film? Je le lirai bien sûr. S'il est bien je ne vois pas pourquoi je ne le ferai pas. Qu'est-ce qui nourrit Reda Kateb encore aujourd'hui en tant que comédien? C'est le vertige que j'ai tous les jours quand je monte sur un plateau à me demander si quelque chose va se passer.. J'ai fait beaucoup de théâtre avant de passer au cinéma. J'ai commencé à faire du cinéma alors que je vivais du théâtre depuis une dizaine d'années. C'est ma formation. J'ai commencé enfant avec mon père. A 8 ans il m'emmenait partout et j'ai envie de retourner aussi au théâtre. Mais je vais prendre un peu de temps pour moi. J'ai réalisé aussi un court métrage que je vais monter en décembre. Il ne faut pas tourner tout le temps. C'est bien de faire un break et se laisser inspirer par autre chose, voire des expo, lire, écouter de la musique. Même si cette dernière est tout le temps avec moi. Ça va de la musique du Mali à du gnawa. (Je suis déjà parti enregistrer du gnawa au Maroc) mais aussi du hip hop, du rap américain, du rap français mais plus des années 1990. je travaille beaucoup avec le rappeur La rumeur est qu'il vient présenter un court métrage mercredi... Le fait de parler arabe dans ce film Loin des hommes, m'a fait éveiller en moi l'envie de continuer de développer ses racines, de les chatouiller mais avec douceur. J'ai envie de continuer à parfaire l'apprentissage de cette langue.