C'est le grand retour de Mohamed Lakhdar Hamina au cinéma. Crépuscule des ombres, le dernier film du seul cinéaste algérien à avoir obtenu la Palme d'or au Festival de Cannes, a été projeté hier, en avant-première, à la salle El Mougar d'Alger. L'histoire se déroule entre les Aurès et le Sud algérien pendant et après le déclenchement de la Guerre de Libération nationale en 1954. Khaled (Samir Boitard) quitte, avec d'autres étudiants, les bancs de la Sorbonne, à Paris, pour rejoindre le maquis après un entraînement au Maroc. Il crée, avec ses compagnons, la CECA, inspiré par l'acronyme de la Communauté européenne du charbon et de l'acier. L'armée française croit avoir à faire à une «nouvelle organisation terroriste» en Algérie. Le commandant Saintenac (Laurent Hennequin), qui revient du Vietnam, est attaché à sa «mission civilisatrice» ; il se comporte comme un «soldat» au garde-à-vous de l'empire ; il mène avec brutalité ses troupes et les populations «indigènes» et recourt, sans scrupule, à la fameuse «corvée de bois». Des soldats français demandent à leurs prisonniers algériens de fuir avant de leur tirer dans le dos. La corvée de bois, thème ignoré jusque-là par le cinéma algérien, semble l'idée de départ du film de Lakhdar Hamina. «Beaucoup de corvées de bois ont été faites après des séances de torture. Les officiers français refusaient de laisser partir les personnes qu'ils avaient torturées auparavant», a précisé le cinéaste lors du débat qui a suivi la projection. L'objection de conscience représentée par le soldat Lambert (Nicolas Bridet) est un autre thème développé finement par le film. Lambert a un autre regard sur les Algériens, il croit à la légitimité de la lutte d'indépendance. Saintenac déteste, comme le sergent Picard (Mehi Tehmi), son adjoint, des objecteurs de conscience qualifiés de «virus dangereux». Il met Lambert à rude épreuve après avoir arrêté Khaled et ses hommes. Et c'est là que tout bascule. Lambert, Khaled et Saintenac se retrouvent sur le chemin du grand Erg occidental. Une longue traversée du désert qui révélera la contradiction des sentiments humains et sera l'occasion d'un échange entre Khaled et Saintenac. A travers ce dialogue intense, parfois surchargé, Lakhdar Hamina a tout dit de ce qu'il pense du colonialisme français, de ses crimes, de ses mensonges et ses manipulations. Khaled, en homme luttant pour sa liberté, évoque les «bienfaits» supposés de la colonisation, les «enfumades» du Dahra, la spoliation des terres, la torture, l'effacement de l'identité culturelle, le vol des richesses… En cours de route, Saintenac hésite entre la «repentance» et le sentiment de supériorité. Filmé comme un road movie, le long métrage de Mohamed Lakhdar Hamina paraît être le fruit d'une profonde réflexion sur la présence coloniale française en Algérie, sur les rapports à l'autre, sur les vérités cachées de l'histoire de l'occupation. A 80 ans, le cinéaste algérien signe là un film courageux. Une fiction servie par de beaux décors naturels de la région du Touat, des Zibans et des Aurès, par la musique tout en philosophie de Vangelis, par les images conçues comme les tableaux de maître de Alessandro Pesci et, bien entendu, par le jeu parfait des trois comédiens Nicolas Bridet, Samir Boitard et Laurent Hennequin. Le tout enveloppé dans un scénario bien mené jusqu'au «sursaut» final qui peut ressembler à un début. «Un film est un histoire qui se construit à partir de faits réels avec une part d'imaginaire. C'est une somme d'idées. Il faut être comme un couturier pour les rassembler. Le Crépuscule des ombres est un film sans haine. Un film sur les rapports humains», a précisé Mohamed Lakhdar Hamina. Crépuscule des ombres est produit par l'Agence algérienne pour le rayonnement culturel (AARC) et Sunset Entertainment. Nous reviendrons sur ce film dans notre édition de demain.