Amnesty International (AI) appelle l'Algérie à renforcer son dispositif de lutte contre les violences sexuelles à l'égard des femmes. Lors d'une conférence de presse, la directrice du bureau d'Alger a qualifié de «positives» les dernières mesures prises par les autorités, en évoquant néanmoins une «approche partiale», qui se reflète, dit-elle, dans le droit algérien et qui ne protège pas les femmes victimes de violences sexuelles. L'Algérie «doit encore faire des efforts pour améliorer» le dispositif légal en matière de lutte contre les violences à l'égard des femmes.C'est l'appel lancé hier à Alger, par AI, à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale (25 novembre) pour l'élimination des violences contre les femmes et coïncidant avec la remise au Premier ministre, Abdelmalek Sellal, d'une pétition signée par près de 200 000 personnes à travers le monde, exigeant l'abrogation des dispositions législatives «qui ne protègent pas les victimes de violences sexuelles de manière adéquate et d'adopter un cadre règlementaire exhaustif de lutte contre les violences sexuelles et de prendre des mesures pour faciliter l'accès des victimes à des voies de recours judiciaires et à un soutien médical approprié». Lors d'une conférence de presse, Mme Hassina Oussedik, directrice du bureau d'AI à Alger, est revenue sur les dernières dispositions prises par les autorités algériennes «positives», selon elle, et attendues de longue date. Elle cite le décret 14-26, relatif à l'indemnisation des femmes violées durant la décennie 1990, par les terroristes, mais aussi les projets de loi consacrant la protection des femmes victimes de violence. «Si de tels projets sont adoptés, ils érigeraient en infractions pénales la violence physique à l'encontre d'un conjoint, et le harcèlement sexuel dans des lieux publics. Le décret 14-26 n'envisage qu'une indemnisation financière pour les victimes de viol pendant le conflit des années 1990, sans évoquer leur droit à une réparation pleine et effective. Les projets de loi annoncés en juin reconnaissent certes le problème de la violence conjugale à laquelle de nombreuses femmes en Algérie sont confrontées, mais ils contiennent une clause prévoyant l'arrêt des poursuites judiciaires en cas de pardon de la victime, ignorant la réalité des relations de pouvoir et d'inégalité entre les hommes et les femmes.» L'Algérie n'est toujours pas dotée d'une loi spécifique pour lutter contre les violences liées au genre, pourtant une demande de longue date a été formulée par des associations algériennes de défense des droits des femmes. L'oratrice parle d'«approche partiale», qui se reflète, dit-elle, dans le droit algérien et qui ne protège pas les femmes victimes de violences sexuelles. Violences sexuelles : Victimes stigmatisées et vulnérables Mme Oussedik fait état de lacunes en droit qui, souligne-t-elle, pénalisent le viol mais ne le définit pas, tout comme il ne définit pas les formes de violence sexuelle et ne fait pas du viol conjugal une infraction pénale. Ces lacunes constituent des obstacles supplémentaires pour les victimes de violence sexuelle en Algérie.L'article 326 du code pénal permet à l'auteur d'un viol d'échapper aux poursuites s'il épouse sa victime. L'avortement pour les femmes et les jeunes filles enceintes des suites de viol ou d'inceste n'est pas expressément autorisé. Autant de clauses qui reflètent, note-t-elle, «la discrimination à l'égard des femmes en droit et en pratique. Les femmes victimes de violences sexuelles sont de plus stigmatisées sur le plan social, ce qui accroît leur vulnérabilité.De plus, les autorités n'ont pas mis en place de services de santé et de soutien suffisants et adéquats pour ces victimes, qui sont surtout soutenues par des associations de défense des droits des femmes qui ont mis en place des centres d'hébergement et d'écoute». De ce fait, la conférencière appelle les autorités algériennes «à prendre des mesures concrètes pour accorder pleine réparation aux victimes de viol, y compris leur réhabilitation, des mesures pouvant donner satisfaction et des garanties de non-répétition à l'avenir ; garantir que les lois, les politiques et la pratique répondent suffisamment à toutes les formes de violence sexuelle, adopter des mesures permettant de poursuivre effectivement les auteurs de viol et d'autres formes de violence sexuelle, et renforcer l'accès des victimes de violences sexuelles à la justice, aux services de santé et de soutien». Pour Mme Oussedik, les mesures prises par les autorités constituent «des pas positifs», mais, ajoute-t-elle, «il n'en demeure pas moins que les autorités ont fait preuve d'une attitude tout au mieux sélective, voire purement symbolique, dans leur façon de traiter la violence sexuelle et la violence liée au genre précisant : ‘‘Le conflit interne et une vague d'agressions contre des femmes, en 2001 à Hassi Messaoud, ont mis en lumière la réalité de la violence sexuelle en Algérie». Lors de la conférence de presse, la directrice d'AI n'a pas manqué de dénoncer l'absence de «statistiques exhaustives sur l'ampleur de la violence sexuelle et de la violence liée au genre en Algérie», indique-t-elle. Interrogée sur la suite à donner à la pétition lancée contre les dispositions qui consacrent l'impunité aux auteurs de viol, la conférencière répond : «Nous avons demandé une audience au Premier ministre, Abdelmalek Sellal, mais à ce jour nous n'avons pas eu de réponse. Nous comptons déposer les signatures au secrétariat du Premier ministère en espérant qu'elles seront bien prises en compte.» Intervenant lors des questions-réponses, Mme Chitour, membre du réseau Wassila, a réussi à resituer le débat autour de l'approche des autorités dans la prise en charge des violences à l'égard des femmes. Pour elle, «il y a une espèce de régression dans le domaine. Ce qu'ils nous donnent d'une main, ils nous le reprennent d'une autre». De grandes sommités, comme les défunts Mme Belkhodja, et le professeur Chaulet, ont mis au point un projet de loi sanitaire qui a pris en compte tous les aspects liés à la prise en charge des victimes de violence et à la prévention contre ce fléau à travers l'obligation faite au personnel de la santé de signaler les cas de ces violences. Aujourd'hui, ce projet de loi a été écarté d'un trait, au profit d'un autre projet qui ne dit rien sur ce volet. Mme Chitour plaide pour une loi sanitaire obligent les professionnels de la santé à signaler les violences, à procéder à l'avortement thérapeutique, lorsque la vie de la femme en dépend, mais aussi pour des lois qui pénalisent le silence des témoins et qui donnent aux femmes le droit de disposer de leur corps.