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Les cancéreux peinent à se traiter
Les médicaments et les moyens manquent dans les hôpitaux
Publié dans El Watan le 06 - 08 - 2006

Pour les malades atteints du cancer, chimiothérapie et radiothérapie sont deux termes familiers, mais néanmoins très redoutés, car devenus un véritable parcours du combattant pour des personnes démunies physiquement.
En effet, recevoir sa « dose » de rayons devient un luxe au Centre anticancéreux de Constantine (CAC) où entre de vieilles machines surexploitées et un nombre élevé de malades, les médecins font des acrobaties pour tenter de traiter tout le monde, d'autant que la structure et les équipements ne suffisent plus pour prendre en charge convenablement les patients de tous bords. Dès lors, l'équation chimiothérapie-radiothérapie devient aléatoire. Que devient dans ces conditions le malade et que peut faire le médecin quand la maladie continue son insidieuse évolution ? La prise en charge devient, en effet, difficile au centre anticancéreux de Constantine, submergé par un nombre considérable de cancéreux, parvenant des wilayas de l'Est et du Sud. Ce centre semble complètement dépassé, ces derniers mois, incapable de prendre en charge le nombre de plus en plus important de patients, essentiellement, à cause du manque de médicaments spécifiques, notamment en cas de récidive, mais aussi de l'équipement nécessaire pour la radiothérapie. La situation est d'ailleurs telle que les rendez-vous au service de radiothérapie sont actuellement bloqués jusqu'au mois de septembre 2006. Même constat du côté du service d'oncologie où les malades ayant récidivé malgré une première chimiothérapie et qui doivent suivre un nouveau protocole avec une nouvelle lignée de médicaments de dernière génération — indisponibles au niveau de l'hôpital — sont dans l'expectative. Or pour ces malades, chaque jour qui passe sans traitement est un jour de perdu contre le cancer dont la bonne volonté du personnel du service ne peut en venir à bout à elle seule. Cette maladie sournoise a, en effet, besoin d'un traitement approprié dans le respect des délais entre la dernière cure de chimiothérapie et la première séance de radiothérapie.
Faut-il sélectionner les malades ?
Disposant de deux cobalts (machines servant à irradier les malades), vieux de 17 ans, d'un accélérateur (utilisé pour les tumeurs profondes) et d'un simulateur (chargé de définir la cible à irradier pour délimiter les paramètres du traitement), le service de radiothérapie du CAC est actuellement littéralement « saturé », nous a-t-on affirmé, déplorant, à cet effet, le rythme auquel sont soumises les machines pour arriver à faire passer le maximum de malades par jour, soit entre 200 et 230 personnes quotidiennement. « C'est devenu presque une industrie. Le CAC a été conçu au début pour accueillir jusqu'à 600 malades par an. Aujourd'hui, ils sont trois fois plus nombreux. Pour pouvoir faire face à cette situation, nous avons mis en place trois équipes chargées de la manipulation et qui travaillent de 5 h à 20 h. Nous faisons passer environ 70 malades pour chaque machine, alors que ces appareils sont normalement conçus pour 30 patients par jour. Et quand l'une des trois machines tombe en panne, c'est vraiment la catastrophe », affirme-t-il. En 2005, le CAC a pris en charge 2100 nouveaux malades, en provenance des wilayas de l'est et du sud du pays et reçu 1075 nouveaux cancéreux durant le premier semestre 2006 en dépit d'un équipement insuffisant. « Nous sommes arrivés à un blocage. Selon les normes de l'OMS, il faut qu'il y ait une machine pour un million d'habitants alors qu'en Algérie nous ne possédons que 11 machines au total. Nous avons donc un déficit de 23 machines », nous confie-t-on par ailleurs. Depuis 1989, en effet, jusqu'à ce jour le nombre de machines indispensables à la radiothérapie n'a pas évolué, contrairement au nombre de malades qui ne cesse de croître avec une proportion inquiétante. « Si rien n'est entrepris d'ici à 2007 pour soulager un peu le centre anticancéreux de Constantine en réalisant les projets de création de nouveaux CAC à Annaba, Sétif, Batna et Ouargla, comment ferons-nous dans les prochains mois ? Allons-nous nous mettre à choisir les malades à traiter ? », nous a-t-on affirmé au service de radiothérapie. Dans cette structure où les malades, venus d'environ 23 wilayas, passent à la chaîne, à raison de plusieurs séances par personne sur les imposantes et impressionnantes machines pouvant céder à tout moment à cause de leur utilisation excessive, le personnel s'escrime chaque jour à tenter d'irradier tous les malades programmés, parce que « ces derniers ne doivent pas perdre le bénéfice du traitement en ratant une séance de radiothérapie, de même qu'ils ne doivent pas perdre de temps pour commencer les rayonnements dès qu'ils terminent la chimiothérapie ». Pourtant, des patients atteints du cancer, dont les principales localisations sont le sein, le colorectum, les poumons et le col de l'utérus, surtout ceux ayant bénéficié d'une chimiothérapie ailleurs dans d'autres wilayas, ont actuellement du mal à décrocher un rendez-vous au niveau du CAC de Constantine pour suivre une radiothérapie, puisque la programmation est bloquée jusqu'au mois de septembre. Et si un cancéreux n'est pas irradié un mois et demi après sa dernière cure de chimiothérapie, son traitement sera dès lors inopérant et la maladie gagnera, malheureusement, du terrain, comme elle en gagne aussi dans le cas des patients qui font une récidive quelques mois, voire quelques années après le premier traitement. « En ce moment, nous n'avons aucune nouvelle molécule au CAC. Nous utilisons les médicaments des années 1980. Quand un malade récidive, nous n'avons pas de nouvelle lignée de médicaments tels le Taxotère et le Gemzar pour faire un autre protocole au malade. Nous vivons une véritable crise du médicament au service d'oncologie, contrairement au CPMC (centre Pierre et Marie Curie) d'Alger où les médicaments sont plus disponibles », nous a déclaré un médecin du service. Ainsi, le CAC du CHU Ben Badis de Constantine ne peut assurer actuellement que la chimiothérapie « standard », administrée aux malades au niveau du service de jour entre 6 à 10 cures, suivant la gravité du cas et en fonction du type de cancer diagnostiqué.
Un traitement de luxe
Désemparés, les patients qui récidivent sont dès lors contraints de faire le pied de grue au CAC dans l'attente de recevoir un nouveau protocole médicamenteux. Mais rien. Pour ces malades, le temps presse, car « le cancer est une maladie qui ne peut pas attendre. Nous ne savons plus quoi dire à nos patients. La pharmacie centrale du CHU de Constantine n'achète pas les nouveaux produits comme le Xeloda, médicament de dernière génération, utilisé de surcroît, en ambulatoire dans le traitement du cancer du sein avancé ou métastatique et le cancer colorectal métastatique, alors qu'il existe à la PCH (pharmacie centrale des hôpitaux, ndlr) d'Alger et est même fourni gratuitement aux malades suivis au CPMC », a soutenu, à ce sujet, un médecin du CAC. A cet effet, nous avons appris que les patients en récidive, suivis au Centre anti-cancéreux de Constantine et auxquels le Xeloda a été prescrit, doivent l'acheter par leurs propres moyens, à raison de 35 700 DA la boîte, soit à la PCH d'Alger ou à la PCH de Annaba, alors que les malades de 23 wilayas de l'est et du sud du pays affluent tous vers le CAC du CHU Ben Badis. Une situation dénoncée par des malades obligés de se rendre soit à Alger, soit à Annaba pour se procurer ce produit, très utilisé actuellement outre-mer. En outre, contrairement aux malades suivis au CPMC, les cancéreux issus des régions de l'Est et du Sud doivent donc débourser 35 700 DA pour acheter une boîte de Xeloda à la PCH de Annaba ou à la PCH d'Alger, alors que les produits hospitaliers, appelés « produits stock » ne doivent pas normalement être vendus aux malades, a-t-on appris à ce sujet, mais ils leurs sont accordés gratuitement au niveau du service où ils sont suivis. A ce titre, il faut préciser que ce produit est utilisé en Algérie depuis peu par des médecins spécialisés en oncologie. Importé de l'Hexagone par le biais de la cellule des urgences située au sein des PCH, ce médicament possède, nous confie-t-on, « l'avantage d'éviter au malade d'être hospitalisé pendant plusieurs jours, puisque c'est une chimiothérapie faite en ambulatoire avec des effets secondaires moins contraignants et plus gérables. Seulement, ce traitement coûte cher et il n'est pas remboursé par la sécurité sociale d'autant que son prix s'élève à 35 700 DA. Même s'il est disponible uniquement dans les pharmacies centrales des hôpitaux, celles-ci le considèrent comme un produit non hospitalier car il est présenté sous forme de comprimés, alors que la CNAS le considère comme un produit hospitalier ». En 2005, 200 patients ont déjà été traités avec ce médicament au plan national et au cours du premier trimestre de l'année 2006, ils sont 150 patients à avoir eu recours à cette chimiothérapie qui évite au malade une hospitalisation dans des conditions difficiles à cause notamment du nombre important de cancéreux et de l'insuffisance des conditions d'accueil dans le CAC. Mise sous Xeloda depuis près d'une année, suite à une récidive, une malade atteinte de cancer et suivie au centre anticancéreux de la ville du Vieux-Rocher, n'arrive plus à faire face aux dépenses. « Je dois acheter ce produit même s'il est cher. C'est un traitement oral que je prends pendant 14 jours avec une semaine de repos entre chaque cure. En une année, cette chimiothérapie m'a coûté environ 700 000DA. C'est très cher, mais on ne peut arrêter d'en prendre sans risquer de perdre le bénéfice du traitement. Le problème, c'est qu'il n'est pas à la portée de tous les malades, car en plus d'être onéreux, il n'est pas remboursé ».
60 millions pour un malade
Contacté au sujet du manque de médicaments dont se plaignent certains médecins du service, le directeur du CHUC s'inscrit en faux affirmant que « les produits nécessaires à la chimiothérapie existent en générique. Nous avons ce qu'il faut au niveau de la pharmacie centrale de l'hôpital, seulement il y a des médecins qui refusent d'utiliser le générique lui préférant la molécule mère qui est, par contre, beaucoup plus chère. Le CAC consomme environ 15 milliards de centimes par an en médicaments et 2,5 milliards de centimes pour la maintenance des 2 cobalts, de l'accélérateur et du simulateur. Il y a une stratégie nationale mise en place en matière de santé en faveur du médicament générique tout aussi efficace que la molécule mère achetée à moindre prix, et c'est une stratégie qu'il faut respecter ». Selon le premier responsable du CHUC, la chimiothérapie d'un malade cancéreux coûte 60 millions de centimes à l'hôpital, une facture élevée qui pourrait être revue à la baisse grâce à l'emploi du générique qui permettrait, d'après ses déclarations, de soigner dix fois plus de patients avec cette somme. Le directeur du centre hospitalo-universitaire de Constantine trouve, par ailleurs, « important que les médecins puissent arriver à un consensus afin d'arrêter des schémas thérapeutiques, pour éviter d'essayer n'importe quel traitement nouveau », et estime, à ce propos, que « c'est parfois un leurre pour les malades, car quand la récidive s'installe, il n'y a généralement pas beaucoup d'espoir de guérison. Certes, il n'est pas question de priver un patient d'un autre protocole, mais il existe des traitements de substitution, en l'occurrence, le générique. Cela dit, quand un malade répond favorablement aux critères de guérison, il nous arrive qu'on lui procure les toutes dernières molécules dans le cas où le médecin traitant en fasse la demande ». Or, lors de notre visite la semaine dernière au CAC, nous avons — fait curieux — constaté, en dépit du nombre considérable de patients traités, que le service d'oncologie était, en revanche, à moitié vide. A part quelques malades dont la chimiothérapie nécessite une hospitalisation pendant plusieurs jours, plusieurs lits étaient inoccupés, à cause du « manque de médicaments », nous avait assuré un médecin qui avait surtout insisté sur « l'inconstance de la disponibilité des médicaments anticancéreux et l'absence de nouvelles molécules ». La direction de cet établissement hospitalier conteste, pour sa part, l'existence d'une « crise du médicament » au CAC, attribuant plutôt cela à un refus du corps médical de recourir aux médicaments génériques, lié, selon lui, à une question de « morale et de culture ». Et en attendant un « consensus » éventuel, ce sont, sans nul doute les nombreux malades cancéreux qui en font les frais.
L'errance du malade
En effet, outre le fait que ces derniers doivent quotidiennement affronter la maladie, ils subissent également ce que le directeur du CHUC a qualifié de « mauvaise coordination entre les médecins », puisque avant d'être admis au sein du service, le malade, déjà accablé par la maladie, l'est davantage par l'absence d'interlocuteur. « Il perd du temps avant de commencer son traitement, et ce, pour un problème de séparation entre le service de radiothérapie et celui d'oncologie. Forcément, à défaut d'une consultation commune, le malade est ballotté et erre d'un service à un autre plusieurs jours avant son admission », avons-nous appris au CAC. De l'avis de certains médecins, c'est aussi une question d'éthique et de déontologie, car « il s'agit avant tout de prendre en charge le patient en proie à un grand désarroi depuis le moment où le diagnostic plaide en faveur d'un cancer, au lieu de le faire ballotter ou de refuser carrément de le recevoir pour une simple affaire de mauvaise entente ». Selon certaines indiscrétions, nous avons également appris, que « si un malade se présente au CAC au-delà de 12 h, il ne trouve plus personne au service. Les cancéreux hospitalisés pour des chimiothérapies lourdes sont livrés à eux-mêmes, surtout durant la nuit, alors que c'est justement à ce moment de la journée qu'ils souffrent le plus des effets secondaires de la chimiothérapie. C'est un service où il n'y a ni gardes ni astreinte. C'est grave d'autant qu'il peut arriver n'importe quoi aux malades ». Renseignement pris, il s'avère que le CAC compte 3 spécialistes et 6 résidents en oncologie et 7 spécialistes dont 6 maîtres assistants et une dizaine de résidents en radiothérapie. Interrogée à ce sujet, une patiente qui a fait jusqu'à présent 8 cures de chimiothérapie suite à une récidive, nous a affirmé qu' « à part le personnel paramédical très réduit, je n'ai jamais eu droit à la visite d'un médecin. Une fois que ce dernier aura établi le protocole, je suis prise en charge par des paramédicaux qui se partagent les patients. Si l'un d'eux quitte le service, le malade qui est sous sa responsabilité est alors livré à lui-même, alors qu'il risque des complications dues à la chimiothérapie pouvant être fatales ». Une autre patiente atteinte du cancer du côlon nous a fait part, quant à elle, du problème du manque de literie surtout en ce qui concerne « certains malades démunis qui ont de la peine à trouver un drap, un coussin ou une couverture, car les lits sont nus, recouverts d'une alèse seulement ». Néanmoins, malgré ces « imperfections », d'aucuns reconnaissent à certains praticiens un dévouement exemplaire et une volonté manifeste d'assister au mieux les malades dans leur lutte permanente contre le cancer. Cela étant, il est, par ailleurs, important de souligner que la majorité des malades cancéreux est traitée au service de jour et repartent chez eux dans la même journée, malgré les effets secondaires du traitement, faute de place justement. Quant aux patients non originaires de Constantine et devant être irradiés, ils sont hébergés à El Khroub, à l'ex-hôtel Simco aménagé en centre d'accueil et à Diar Errahma domiciliées à Djebel Ouahch. Ils sont conduits chaque jour au CAC, en bus pour y accomplir leur séance de radiothérapie et sont reconduits ensuite au centre d'accueil une fois le traitement terminé. Cette solution permet de désengorger un peu la structure, incapable de contenir tous les malades qui ne peuvent, en plus, pas parcourir quotidiennement des centaines de kilomètres pour une séance de radiothérapie de quelques minutes, et ce, en attendant que le projet d'extension du CAC soit concrétisé. Nous avons appris, à cet effet, que le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, Amar Tou, a donné dernièrement des directives en ce sens « afin d'augmenter la capacité d'accueil du centre anticancéreux du CHUC dans la perspective d'en faire un établissement hospitalier spécialisé (EHS) à l'image du CPMC d'Alger avec, en outre, un budget indépendant ». Une information non confirmée par le directeur du CHUC, soutenant à ce propos qu'« il n'est pas question pour l'heure de créer un EHS. Le CAC est un service dépendant de l'hôpital, géré au même titre que les autres services avec le budget global de l'établissement ». Certains médecins du centre anticancéreux estiment, en revanche, qu' « avec des malades ayant des pathologies lourdes nécessitant un traitement lourd au coût conséquent, le CAC ne devrait plus être considéré comme un simple service, mais être plutôt doté d'un statut particulier avec un budget indépendant ». Au demeurant, il semble que la problématique du médicament et la polémique que cela suscite, au même titre d'ailleurs que les conditions difficiles de prise en charge des patients, constituent, de l'avis de certains, autant d' « ingrédients » favorables, dans certains cas, à la récidive.


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