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«Ramener la culture à la rue»
Ahmed Bedjaoui. Critique de cinéma et universitaire
Publié dans El Watan le 29 - 11 - 2014

Notre Monsieur Cinéma national sur plusieurs registres...
- Dans Cinéma et guerre de libération, Algérie, des batailles d'images, vous évoquez le cas de films censurés en France durant de la guerre de Libération nationale. Quel était l'objectif de cette censure ?
Vous savez, au cinéma, on peut tuer un film dès la première semaine en salle. Le premier film censuré fut Les statues meurent aussi d'Alain Renais et Chris Marker en 1953. Dans ce film, le cinéaste dénonçait la manière avec laquelle les œuvres africaines étaient emprisonnées et tournées en objets de zoologie par l'anthropologie culturelle coloniale (les deux réalisateurs voulaient savoir pourquoi l'art africain n'avait pas de place au Musée du Louvre à Paris comme l'art grec, Ndlr).
C'était un film très audacieux interdit jusqu'à 1963. Ensuite, tous les films qui ont abordé de près ou de loin la guerre d'Algérie ont été censurés jusqu'à 1963. Il y a eu le film de René Vautier, Afrique 50, qui a été interdit aussi (le film a été censuré pendant quarante ans et le réalisateur passé des mois en prison à cause de ce documentaire de dix-sept minutes). Comme Le petit soldat de Jean Luc Godard (sorti en 1960 et interdit jusqu'à 1963).
Le seul film qui a été toléré était R.A.S d' Yves Boisset (une production franco-italo-tunisienne, sortie en 1973). Donc, la censure officielle était absolument draconienne, il n'a eu prescription qu'après l'indépendance de l'Algérie. Dans le livre, je cite les témoignages de cinéastes connus comme Philippe de Broca, qui a passé son service militaire dans le service cinématographique des armées (SCA) (en Algérie et en Allemagne). Lui et d'autres ont vu la guerre de près en Algérie, mais ils ne pouvaient pas la montrer (Philippe de Broca a, entre autres, réalisé Le roi de cœur, Le diable par la queue, Le magnifique et On a volé la cuisse de Jupiter). Les Français avaient décidé de faire une guerre sans images, voulaient réduire la situation à de petits événements. Tous ceux qui ont essayé de montrer la guerre se sont cassé les dents.
On évoquait la situation en Algérie mais de loin, comme dans Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy (1964) dans lequel un soldat se pose des questions sur la justesse de la guerre. Mais, l'expression directe était proscrite. Plus tard, et sur une longue période, des films documentaires basés sur des archives ont été produits comme celui d'Yves Courrière (réalisé avec Philippe Monnier) avec tiré d'une série de livres en quatre volumes sur la guerre d'Algérie (Les fils de la Toussaint, Le temps des léopards, L'heure des colonels et Les feux du désespoir, paru en 1968 et 1971). Bertrand Tavernier a fait également un documentaire sur cette guerre (La guerre sans nom avec Patrick Rotman). Des films ont été réalisés aussi en Suisse, en Grande-Bretagne et ailleurs.
- Comment expliquez-vous la réponse donnée en France pour le film Hors-la-loi de Rachid Bouchareb, un film en grande partie ignoré par la presse française, comme vous le soulignez dans votre livre ?
La semaine dernière, j'ai eu une discussion avec Benjamin Stora à Constantine. L'historien me disait que Hors-la-loi est plein d'inexactitudes. Je lui ai répondu qu'il s'agit d'une fiction. On ne peut reprocher les inexactitudes qu'à un film documentaire. Et j'ai encore dit à Stora que le film de Rachid Bouchareb a fait plus de bruit que tout son travail sur l'Histoire réuni… Hors-la-loi représente trois frères à travers lesquels le cinéaste a décrit la structure du FLN (la cellule de base).
Il y a quand même des éléments importants dans ce film. Il faut laisser la liberté au cinéaste. Dans le cinéma américain, on ne s'embarrasse pas de détails. Personne n'ose dire à Michael Cimino (Voyage au bout de l'enfer, L'année du dragon, La maison des otages…) que cela ne se passe pas de cette manière, qu'il faut tenir le pistolet de telle façon… Encore une fois, la fiction est un espace de liberté. Pour faire de l'Histoire, il faut réaliser des documentaires.
- Le cinéma de toute évidence n'écrit pas l'Histoire…
C'est justement ce que j'aborde dans mon livre. J'évoque la confrontation entre les cinéastes et les historiens. J'écris : «Cinéaste et historiens, quelle histoire !». Le cinéaste se trompe d'histoire lorsqu'il dit je veux écrire «L'Histoire». Les gouvernants, parfois par manque de formation artistique, prétendent pouvoir écrire l'histoire par le cinéma.
Un cinéaste peut démarrer à partir du travail d'historiens et des sources viables. Il y a par exemple des archives à consulter pour faire un travail sur Amirouche, Ben Boulaïd ou Lotfi. Il y a des documents qu'on n'a pas encore vus. Un cinéaste peut faire un film sur un personnage qui ressemble à Si El Haoues ou au Colonel Lotfi, on laisse le soin au public d'imaginer… L'opium et le bâton est une fiction, mais Mouloud Mammeri n'a pas dévoilé les gens à qui il faisait allusion (le film a été réalisé par Ahmed Rachedi en 1969). C'était beau. Il y a un peuple derrière un héros. C'était une Révolution populaire
- Dans le livre, vous avez expliqué comment l'image a été utilisée par les dirigeants de l'ALN…
Oui, à partir de la Vallée de la Soummam exactement. Abane Ramdane a été le premier théoricien sur l'utilisation de l'image pour communiquer. Mohammed Boudiaf, à Tanger, a fait énormément de travail là-dessus. Les deux hommes ont compris que le fusil ne suffisait pas face à une armée puissante.
Il fallait compléter la lutte armée par l'image, la guerre de la communication. Des journaux ont été créés comme La Résistance algérienne et El Moudjahid ainsi que la radio La voix de l'Algérie. A l'époque, la vente des piles de transistor était soumise à l'autorisation des SAS (Sections administratives spécialisées, action psychologique) ! La voix de l'Algérie a tellement fait de mal à l'armée française que les Français étaient obligés de limiter la vente des piles.
Djamel Eddine Chanderli, photographe et caméraman, travaillait en free-lance. Un jour, il était avec d'autres journalistes et photographes en déplacement avec le gouverneur général dans le cadre de ce qui était appelé à l'époque «la pacification». Au cours de cette mission, Chanderli a filmé un bombardement au napalm d'un massif par l'aviation française. Il a décidé de franchir les frontières avec la Tunisie, aidé par l'officier de l'ALN Tahar Bouderbala. Une fois à Tunis, Djamel Chanderli a préparé les images et les a envoyées à son frère Abdelkader Chanderli qui était à New York où il représentait le FLN.
- Abdelkader Chanderli avait beaucoup de contacts aux Etats-Unis…
Oui, il avait des contacts au sein du Parti Démocrate, surtout dans l'entourage du sénateur Kennedy, à l'époque président de la Commission des Affaires étrangères. Les images ont pu être remises à la chaîne NBC. A l'époque, la télévision avait une présence marginale en Europe, un poste de télé pour 100 foyers alors qu'aux Etats-Unis la télé était déjà répandue. Donc, ça a fait un bruit considérable. Les images ont été montrées à des diplomates à l'ONU.
A partir de ce moment-là, la relation entre le terrain de la guerre et celui de la communication s'était établie. René Vautier est venu après, suivi du photographe du président Tito, Stevan Labudovic. Tito l'avait envoyé pour réaliser un reportage sur les Algériens à Tunis. Labudovic était choqué par ce qu'il avait vu. De retour à Belgrade, le photographe a demandé à Tito de revenir pour réaliser un reportage dans les maquis algériens. Il a tout abandonné pour venir réaliser des images avec l'ALN.
Il a fait énormément d'images. Des images qu'il n'a jamais signées et qui ont alimenté des films comme Yasmina, Les fils de la liberté, Djazairouna. Il a même remis des clichés à des reporters américains (…). La cellule «image et son» du GPRA qui était dirigée par Mahieddine Moussaoui avait fait un énorme travail. Elle était composée notamment de Charby, Chaulet, Serge Michel, Belhadj et d'autres. Ces personnes s'entendaient sur les scénarii, écrivaient.
Chaulet et Serge Michel avaient de belles plumes. Ils écrivaient les commentaires et le montage se faisait sous leur direction. C'était un travail collectif sous les ordres de l'ALN. Ce comité a envoyé des films à l'ONU entre 1960 et 1961. Déjà, à l'époque, une opinion s'était dégagée après Le discours «algérien» du sénateur Kennedy fait le 2 juillet 1957.
Deux reporters américains, Peter Throckmorton et Herb Greer, sont venus après dans le maquis dans la Wilaya V pour y réaliser des reportages. Abdelkader Chanderli et M'hamed Yazid ont fourni de grands efforts pour mobiliser l'opinion américaine en faveur de la lutte du peuple algérien.
- Le cinéma algérien en 10 leçons, c'est quoi ?
C'est un choix subjectif et personnel de films qui ont marqué ces cinquante ans de cinéma algérien. On commence après l'indépendance avec Hassan Terro (1967). J'aurais pu en choisir un autre, mais dans ce film il y a de l'humour. Pourquoi pouvait-on parler de la Révolution avec humour en 1967 et pas aujourd'hui ?
Pourquoi l'humour et la distanciation sont devenus suspects ? Donc, on parle du présent avec le passé et vice-versa. C'est aussi un choix de films rares, méconnus et peu distribués. On connaît mieux Chronique des années de braises que Hassan Terro. C'est pourtant un film très bien fait, linéaire et humain, avec une vision de la Révolution loin de tout dogmatisme. Il traite d'un être humain qui a peur, mais qui peut aussi être un héros... Après, ce sont les années 70' avec Tahia ya Didou de Zinet. Un film exceptionnel qui a été fait en dehors des circuits, qui n'a pas été distribué et dont le négatif a disparu.
C'est un appel pour le sauver. On parle de le numériser depuis longtemps et cela devient urgent. Ensuite, au milieu des années 70', on a Omar Gatlatou. C'est la rupture avec le passé. On y voit une génération de jeunes, nés à la fin ou après de la guerre, qui sont en rupture et se sentent exclus. Ils ne pouvaient pas aller vers les filles et se réfugiaient dans une musique et une culture de l'incommunicabilité et de la mélancolie, où l'amour n'est jamais accompli. Ce film annonce la fronde qui se déclenchera 10 ans après, en 1988.
Ces jeunes rejetés seront plus tard l'armée de réserve du FIS. Quant à la Nouba des femmes du mont Chenoua, c'est l'apparition de la première femme réalisatrice (Assia Djebar). Avant, ont avait des films féministes faits par des hommes. Là, on a enfin une femme qui parle des femmes et de la Révolution. Une femme écrivain et historienne avec un haut niveau comparé au niveau moyen des cinéastes algériens. Au départ, notre cinéma a un fort ancrage rural et masculin. Assia Djebar apporte une vision féminine de l'histoire. «Je regarde le monde à travers l'œil du hayek», écrit-elle.
Un œil unique comme celui de la caméra. Le miracle de La nouba... c'est qu'il lui a permis de se réconcilier avec l'écriture après une rupture de 10 ans. Ce film, produit par la télévision, a été diffusé une seule fois. Mais il a eu la reconnaissance qu'il mérite avec le prix de la critique au Festival de Venise de 1981 (le seul prix distribué) et, depuis, vous avez des dizaines de thèses… Sinon, on aurait dit que c'est juste un quelconque téléfilm.
Autre téléfilm, Les enfants de Novembre de Moussa Haddad. Après les femmes, c'est à une autre minorité, les enfants, qu'on donne la parole. C'est un pur chef-d'œuvre qui n'a pas été distribué mais qui est du niveau de La Bataille d'Alger dans la structure, le rythme, le cadrage de Youcef Sahraoui et l'interprétation des plus grands acteurs algériens...
- On trouve justement un grand nombre de films réalisés pour la télévision dans votre sélection…
Peut-être que le vrai cinéma n'était pas au cinéma mais à la télévision. Avec le peu de moyens, le rêve hollywoodien cédait le pas à la créativité. Quand vous avez les moyens, vous voulez représenter plus que dire. Je propose une autre histoire du cinéma algérien. Je pense qu'il faut réamorcer une lecture du film algérien en intégrant ces films réalisés pour la télévision. On y trouve de purs chefs-d'œuvre : Assia Djebar, Moussa Haddad, Les rameaux de feu d'Iftissen, Nahla de Beloufa… Ce dernier est le film algérien le plus abouti techniquement et artistiquement.
Pour les années 80', j'ai choisi La Citadelle de Mohammed Chouikh. Sorti en plein dans le bouillonnement de 88' et la montée de l'intégrisme. Ce film dénonçait la situation de la femme, mais on est, comme souvent avec Chouikh, dans une Algérie hors du temps. C'est le Ouarsenis dans un milieu traditionnel, tribal et figé. On ne sait pas si on est dans la période coloniale ou après. C'est un film qui était en déconnexion ou à contre-courrant de l'actualité de l'époque, le volcan de 88'.
Au début des années 2000, on a Rachida de Yamina Bachir-Chouikh qui est le premier film à raconter la décennie noire. Tandis que Mohammed Chouikh est dans le monde rural, la réalisatrice part du monde citadin pour revenir à la ruralité. Le personnage de Rachida est une fille émancipée, pur produit de l'Algérie indépendante et de l'alphabétisation massive des filles. Elle est belle, elle enseigne, elle vit de son savoir. Suite à des menaces, elle doit se réfugier dans un village.
C'est un peu le monde de Mohammed Chouikh qui rattrape celui de Yamina. On revient là encore à l'ancrage rural. Après un éloignement de cette identité rurale et des films de plus en plus citadins, on retrouve des films qui amorcent un retour à la terre. Mais le retour est différent. C'est l'identité, mais vue autrement. Elle est amazighe dans La Maison jaune de Amor Hakkar (2008), un film en dialecte chaoui réalisé dans un village enclavé.
Et puis, on a Mascarades de Lyès Salem (2008) réalisé à Biskra, que je qualifierais de comédie post-islamiste. Les rapports sont plus détendus. On a les ingrédients de La citadelle mais traités autrement. Pour la fin, j'aurais voulu présenter London River plutôt qu'Hors-la-loi de Bouchareb, mais on n'avait pas de copie. L'idée est de parler de l'émigration, des gens qui sont de l'autre côté de la mer et qu'on ne peut pas ignorer. Hors-la-loi parle du 17 octobre 1961, autrement dit de la Révolution vécue par les émigrés. Enfin, on termine avec quatre courts métrages de jeunes pour montrer que le cinéma bouge encore. Les lignes de rupture sont en train de bouger.
Dans L'Ile d'Amine Sidi-Boumediène par exemple, ce n'est plus le boat-people mais un étranger qui vient chez nous. C'est l'inversion et la folie. On peut citer également Les jours d'avant de Karim Moussaoui sur les jeunes pendant la décennie noire. Un monde où tout s'oppose à ce que deux jeunes gens puissent s'aimer. On retrouve la même problématique que Omar Gatlatou. Ce sont des lignes transversales, des constantes qui traversent notre cinéma.
- Ces leçons de cinéma sortiront aussi en livre. De quoi sera-t-il fait ?
Justement de cette première rencontre avec le public. Ces films appartiennent à une certaine période, mais quand le film sort de sa boîte et revient vers le public, il existe autrement. Je voulais provoquer des réactions, voir comment ces films sont reçus par le public. J'ai eu des réactions inattendues, des réactions de 2014. Avec le recul, ce n'est pas tant le contenu que le style de chaque film qui reste et qui fait sa qualité. On est loin des débats politiques sur la révolution agraire…
C'est pour cela que je parle moins que je n'écoute. Cela m'intéresse et le livre sera le produit de cette expérience. Savoir si je ne me suis trompé dans le choix de tel ou tel film. C'est cela que je vais travailler plus tard à froid pour faire le livre. Je reviendrai ensuite, après la parution, proposer à ce moment-là mon analyse des films. C'est un livre en gestation avec le public. J'ai toujours dit que le cinéma c'est le public.
Ces leçons ont vocation à tourner dans plusieurs wilayas. Après, si on trouve les producteurs et les éditeurs, l'idée est de décliner ce programme en coffret de DVD et de le faire balader dans les facs par exemple. Je propose un parcours, fait de choix personnels, dans 50 ans de cinéma algérien. A l'origine, je voulais aussi montrer les petits films réalisés pendant la Révolution.
Mais les copies étant en très mauvais état, on a changé d'avis. Mais j'en parlerai dans le livre. Ces films ont donné naissance au cinéma algérien. Et puis, c'est aussi pour dire tout ce que le cinéma algérien a fait pour la Révolution. Aujourd'hui, est-il payé de retour ? Grande question. Le cinéma a énormément apporté à l'internationalisation de la question algérienne. Et après l'indépendance, on a peut-être eu trop de rêves hollywoodiens et pas assez de rêves algériens. Il y a un manque de reconnaissance envers le cinéma.
- Manque de reconnaissance ou manque de connaissance ?
Je crois que la politique culturelle est dans une phase d'urgence qui ne prend pas en compte tout cela. La seule forme de reconnaissance vient du public. Vous voyez l'état des salles et le public déshabitué du cinéma ! Comment inverser la pente et revenir à une abondance d'offre et de public ? C'est en proposant des salles et des multiplex…
Beaucoup d'opérations culturelles admirables ont été faites, mais sont-elles structurelles ? On doit réhabituer les gens à payer des places de cinéma comme cela se passe en Turquie ou en Egypte. Ces pays on agrandi leur parc de salles. Certains films turcs qui arrivent à faire 5 millions de spectateurs avec 60% des recettes réalisées dans le marché national. Le cinéma turc arrive à réussir chez lui parce qu'il a environ mille salles en activité.
- Quelle est l'urgence pour remonter la pente ?
Tout est urgent. Mais le plus important c'est la matrice qui est le guichet. Quand les spectateurs paient au guichet, une partie de l'argent va au fonds d'aide et c'est le public qui financera le cinéma. Ce n'est plus à l'Etat de financer. Et d'ailleurs, l'Etat finance de la production et non du spectacle cinématographique. Il est aberrant de voir des salles comme le Debussy, L'Afrique ou, à Oran, une salle comme le Balzac avec plus de mille places en mono-salle.
On pourrait les découper en six à huit salles. Aujourd'hui, on sait qu'on ne peut pas réunir (sauf exception) plus de 300 spectateurs. La capacité d'accueil dans le monde entier est entre 100 et 300 places. Les habitudes de consommation ont changé. On ne doit plus offrir un seul film par salle. Le spectateur veut avoir le choix, comme à la télé.
Dans un multiplex, il y a huit salles et autant de films au choix. L'autre constat est que le public ne se rend plus dans les salles de proximité pour partager un film avec le voisin. Le public, ce n'est pas les voisins, ce sont les inconnus. Le cinéma c'est une salle noire qui accueille un film fait dans une chambre noire qui se partage dans l'anonymat. En prenant sa voiture, en trouvant des places de parking aux Quatre vents ou à Sidi Abdallah, en trouvant des cafétérias, des pizzerias, des aires de jeu et des multiplex on aura une consommation de cinéma autrement plus importante.
Certes, il y a des salles qu'on peut rouvrir mais à condition d'en faire des multiplex. Sinon, ça ne marchera pas. On dépense beaucoup d'argent pour ces salles. C'est une bonne intention. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions. Il faut changer totalement de stratégie. Dans le monde entier, le cinéma est basé sur les multiplex. Avant, on avait plus de 50 salles à Alger. Avec huit multiplex de sept à huit salles, vous avez l'équivalent. Il faut multiplier les écrans pour tenir la concurrence avec la télé.
- Vous pensez que c'est la priorité ?
La priorité, c'est donc le public. Une fois que le public vient dans les salles et juge les films, il devient le vrai critique. D'ailleurs, aujourd'hui le critique de cinéma ça n'existe plus. C'est un fantasme ! Vous êtes critique au nom de quoi ? Quel est le public qui vous a fait tsar ? Quand je faisais des émissions à la télé, il y avait 450 salles et on parlait à des gens qui allaient au cinéma et réagissaient. Un moment donné, il n'y avait plus de public et on s'est arrêté.
Je m'étais dit que je ne pouvais plus aller à la télé pour parler d'une chose virtuelle. Quand il y aura de nouveau un public dans les salles, les guichets alimenteront le FDATIC. Ce fonds d'aide est actuellement alimenté par les impôts de citoyens qui ne vont pas au cinéma ! Chronique des années de braises ou L'Opium et le bâton sont des films entièrement financés par le FDATIC.
Les recettes étaient considérables. Quand le public est conscient de payer, il veut savoir ce qu'on lui donne. Le dernier film qui puisait ses thèmes dans le public, c'était Omar Gatlatou. En 1976, on avait encore 380 salles en fonctionnement. Une des scènes se passe d'ailleurs dans une salle, où on voit la truculence du public populaire. Les thèmes de ce film (le chaâbi, Bab El oued…) ont été donnés à Allouache par son public.
Aujourd'hui, d'où viennent les thèmes des cinéastes ? Et à qui ces thèmes reviennent ? A quel public ? A celui des festivals à l'étranger peut-être… Quand on aura 200 écrans, les recettes seront significatives et les aides viendront du public. L'aide de l'Etat doit être complémentaire. A ce moment-là, on aura de vrais distributeurs et de vrais producteurs à l'écoute du public. La fréquentation des salles créera des vocations et, de là des métiers. La pompe qui amorce l'activité et l'industrie cinématographie, c'est le public. Ramenez la culture à la rue et elle vous sera rendue dans les salles.


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