Les ouvrages critiques qui s'intéressent aux littératures africaines sont nombreux et utiles, non seulement pour les universitaires mais aussi pour les amoureux des textes de fiction africains. Un ouvrage critique a attiré mon attention dans la mesure où il s'agit d'un recueil d'essais et de textes courts inédits. L'originalité est que l'ensemble rend hommage à James Gibbs, un universitaire qui a consacré sa vie à la recherche en littérature africaine et à l'enseignement de cette matière dans de nombreuses universités africaines, par exemple au Ghana, au Malawi et au Nigeria. Spécialiste de théâtre, il a grandement contribué à faire connaître la dramaturgie ghanéenne et la dramaturgie nigériane, notamment celle de Wole Soyinka qui a reçu le Prix Nobel de littérature en 1986. L'ouvrage est divisé en six parties. Les trois premières se réfèrent aux quatre espaces géographiques de l'Afrique : l'Ouest, l'Est, l'Afrique Centrale et l'Afrique du Sud, ce qui donne au lecteur un panorama global. Les trois suivantes sont thématiques. La dernière partie est un ensemble d'œuvres inédites qui inclut des textes poétiques comme ceux de Kofi Anyihido et Jack Mapange, des nouvelles comme celles de Charles R. Larson et de Robert Fraser, et du théâtre avec une pièce en un acte, Oduduwa, Let's go de Femi Osofisan. L'autre pièce publiée dans cet ouvrage est intitulée Mosquito A Railway for Freetown de Martin Banham. C'est une pièce en dix scènes, produite à l'université de Freetown, à Fourah Bay College. Cette pièce fut écrite à partir de documents historiques découverts par les professeurs John Peterson et Eldred Jones. Elle raconte l'histoire d'une gare désaffectée de Freetown dont il ne reste que quelques ponts. Cette pièce souligne le fait que cette gare fait partie de la mémoire de la ville, avec ses vestiges de voies ferrées au milieu de la brousse. Cette œuvre qui clôt l'ouvrage est un bel hommage à James Gibbs, qui affectionnait le genre théâtral et la terre africaine. Les articles concernant l'Afrique de l'Ouest sont consacrés au Nigérian Wole Soyinka avec deux études fort convaincantes. Celle qui analyse son premier roman The Interpreters, écrit juste après l'indépendance du Nigeria et qui constitue une critique acerbe de la gestion des indépendances par des intellectuels post-coloniaux. Ce roman revisite le début de l'indépendance au Nigeria avec subtilité. Sola Adeyemi montre comment ce texte fort est toujours d'actualité. Il y analyse la représentation de la violence et du sexe, symboles et facteurs de l'évolution de la société, tout en étant des éléments constitutifs d'une critique post-coloniale mordante et prémonitoire. Ce texte de fiction a posé les questions essentielles, celles qui remettent en cause les pouvoirs hégémoniques d'une Afrique à la recherche de son équilibre. Une autre étude porte sur une pièce ghanéenne écrite par Kobina Sekyi en 1916 The Blinkards, qui met en scène des Ghanéens qui reviennent d'Angleterre tout en imitant les Anglais et en montrant du mépris pour leur propre peuple. Awio Mana Asiedu analyse comment cette pièce met en scène le dédain ostentatoire d'une certaine partie des intellectuels africains pour les cultures africaines. Ce type de comportement, prétendu gage de progrès et de modernité, est toujours d'actualité dans le Ghana indépendant, un siècle plus tard ! En effet, l'auteur ironise en suggérant que cette pièce aurait pu être écrite en ce début de XXIe siècle. Dans le même temps, l'acceptation d'une hybridation des cultures africaines et occidentales ainsi que l'intégration des conséquences de l'Histoire coloniale sont à prendre en compte pour un équilibre structurant. Par ailleurs, Gareth Griffiths s'intéresse à l'autobiographie d'un missionnaire, Joseph Jackson Fuller, un Jamaïcain qui fut le témoin du passage historique du territoire camerounais entre l'autorité des Anglais et celle des Allemands. L'analyse souligne les difficultés rencontrées par ce religieux durant cette période de transition. Raoul Grankvist étudie les observations du chercheur Suédois Anferrs Sparrman qui a collecté des informations sur la vie des Hottentots au XVIIIe siècle, leurs habitudes, l'organisation de leur société et la culture originale de ce peuple nomade, jaloux de sa liberté. L'intérêt de cette étude est d'autant plus utile que les Afrikaners avaient toujours déclaré qu'ils avaient débarqué sur une terre sud-africaine non habitée. En effet, les Boers avaient construit le mythe d'une Afrique du Sud blanche à partir de cette falsification de l'histoire. Terminons par cet article passionnant de Bernth Linfors qui révèle et qui montre les circonstances d'une représentation de la pièce Othello de Shakespeare en 1857, en Afrique. On voit donc combien les sujets abordés dans cet ouvrage sont variés et riches dans leurs analyses critiques, par la publication de pièces de théâtre courtes et de poésie, ce qui fait de cet hommage à James Gibbs une belle réussite éditoriale qui met en valeur les cultures africaines.