Le cinéma doit se libérer du regard colonial», estime Ahmed Bedjaoui, spécialiste du cinéma. Dans son livre, Le Cinéma et la Guerre de libération, paru aux éditions Chihab tout récemment, Ahmed Bedjaoui revient sur cette image que l'on a voulu donner à la Guerre de Libération nationale à travers le cinéma. Le spécialiste retrace toutes les étapes à travers lesquelles l'image a donné corps à la lutte de libération, à commencer par le premier film de Djamel Eddine Chandarli en pleine guerre, jusqu'aux films récents des jeunes cinéastes qui n'ont pas connu la période coloniale. Ahmed Bedjaoui regrette qu'à la fois le cinéma français et le cinéma algérien aient peu couvert la Guerre de libération. Les mémoires étant toujours vives des deux côtés de la Méditerranée, les cinéastes ne sont pas complètement libérés pour livrer leurs capacités créatrices et traduire par la fiction le vécu de ces années de quête de libération. Lors d'une conférence de présentation de son livre tenue mardi, à la librairie Chihab, Ahmed Bedjaoui estime qu'il y a un besoin pour le cinéma français de se libérer du regard colonial sur la Guerre de libération, et pour le cinéma algérien de se libérer du besoin du regard et de la reconnaissance de l'ancien colonisateur. «Avant, il y avait la censure officielle, puis la censure du public s'est installée en France. La culture coloniale est toujours vivace et pas suffisamment remise en cause… Et le cinéma algérien a malheureusement été, depuis 1962, dans la recherche de la reconnaissance à Cannes, c'est-à-dire dans le besoin du regard d'approbation de l'autre. C'est une erreur. Il faut aller chercher d'autres festivals, Berlin, Venise, Toronto, tant que le cinéma en France n'est pas affranchi du regard colonial», précise l'auteur. Interrogé par El Watan sur le besoin pour le cinéma algérien de se libérer aussi de la version officielle de l'histoire de la Guerre de libération, M. Bedjaoui a répondu par un appel aux cinéastes à plonger davantage dans la fiction. «Nous avons besoin de raconter des hommes, des femmes, des vieillards… comment ils ont vécu cette guerre, c'est la seule manière de s'affranchir de l'histoire officielle. La fiction a cette capacité que n'a pas le film documentaire de réveiller les mémoires et de toucher l'émotion des spectateurs, c'est pour cela qu'elle redoutée. Il faut aller chercher ces histoires personnelles qui sont des scénarios tout faits», dit-il. Et de s'étonner que le cinéma algérien n'ait pas traité de faits importants comme le 11 Décembre, les massacres du 8 Mai 1945, l'histoire du Mouvement national, celle du PPA et tant d'autres étapes qui ont mené à la libération du pays. Il reconnaît que lorsque des cinéastes touchent à certaines mémoires et à des personnages, une chape tombe et freine leur élan. «Je crois – c'est un avis personnel – qu'on n'est pas encore mûrs pour aborder les questions de leadership. Il y a eu trop d'histoires en 1962 entre l'armée des frontières et le GPRA. Je crois qu'il faut d'abord laisser les historiens travailler et séparer le bon grain de l'ivraie. Les historiens n'ont pas eu le temps, les moyens et la liberté de le faire. Il faut arriver à un moment où l'histoire doit être replacée comme une priorité et donner aux historiens la liberté et les moyens pour aborder leurs recherches», estime Ahmed Bedjaoui, qui regrette que le cinéma algérien ait trop souvent été dans la ruralité et le masculin. Et d'ajouter, sur le tollé autour du film de Lyes Salem, L'Oranais, que les spectateurs peuvent ne pas aimer mais il est grave de dire qu'un film ne doit pas exister. «Le cinéma, c'est la liberté et la vision personnelle du cinéaste. S'il n'y a pas de liberté, il ne peut y avoir de cinéma», conclut-il.