Des règles de civisme et de savoir-vivre à travers la religion, pas de lancer des appels à la haine. L'Oranais est un film courageux. Il est tout à fait normal qu'il y ait des réactions. -Ahmed Bedjaoui. Critique de cinéma et universitaire Le film L'Oranais ne me dérange nullement. Je n'ai pas apprécié une seule scène, celle de l'attaque maladroite contre la langue arabe. C'est pris un peu à la légère. Mais, pour le reste, le cinéma est un espace de liberté. Personne n'est obligé d'aller dans une salle de cinéma. On choisit d'aller au cinéma ou pas. Un film, c'est le point de vue d'un réalisateur, pas celui de la société. C'est une représentation personnelle du monde. Donc, il faut laisser au cinéma cet espace de liberté, ne pas contester au cinéaste le droit de dire quelque chose. On nous parle de gros mots utilisés dans L'Oranais. J'invite tout le monde à regarder le cinéma marocain. Les dialogues du film comme Zéro (de Nourredine Lakhmari, ndlr) sont composés à presque 80% de gros mots. Quand le film est programmé à la télévision, c'est un autre débat. Les télés marocaines telles que 2M financent des films mais ne les diffusent pas en raison du langage utilisé (...). Moi, j'ai toujours lutté contre la censure d'où qu'elle vienne, d'en haut ou d'en bas. La censure d'en bas est plus grave que la censure d'en haut. Un cinéaste français a dit, lors de la guerre d'Algérie, que le pire est quand la censure vient du public. Le public juge parfois le film sans l'avoir vu ! Il ne faut pas que nos médias conduisent le public à exercer une censure. Le cinéma, c'est quoi : des milliers de spectacles, rien comparé aux millions de téléspectateurs. Donc, ce n'est pas quelques milliers de spectateurs qui vont déranger la société. Il faut arrêter de fantasmer là-dessus...». -Souhila Batou. Documentariste et journaliste A mon avis, le sujet c'est Chemseddine (le ‘' mufti'' d'Ennahar TV, ndlr) pas le film L'Oranais. Une institution de régulation de l'audiovisuelle existe. C'est le moment qu'elle intervienne pour mettre un arrêt aux dépassements de cet homme qui délire, qui intervient sur des sujets autres que ceux liés à la religion, qui demande aux comédiennes de ne pas accepter des rôles de femmes qui divorcent. Ce qui est attendu d'un tel intervenant, c'est de transmettre des règles de civisme et de savoir-vivre à travers la religion, pas de lancer des appels à la haine. L'Oranais est un film courageux. Il est tout à fait normal qu'il y ait des réactions. Lyès Salem a eu l'audace de dire des choses de par sa position d'être entre les deux rives. Nous avions besoin de parler de cette période d'après-guerre en Algérie. Souvent, nous avons l'impression que notre mémoire est cloîtrée entre 1954 et 1962. On doit remonter avant 1954 et après 1962. C'est notre histoire. Jusqu'à quand cette dernière restera-t-elle opaque ? Elle nous appartient. Nous faisons partie d'une génération qui ne veut plus poser des questions, mais apporter des réponses qu'elle s'imagine. Que ceux qui ne sont pas d'accord nous contredisent avec des preuves et des arguments.» -Mahdi Berrached. Journaliste, chercheur en patrimoine populaire Il est évident que le cinéma signifie une grande part de fiction. Il ne faut pas qu'on ouvre la porte à l'évaluation de la création artistique à partir de jugements de valeur. Sinon, certains se permettront de dire que cela ‘'yadjouz'' et cela ‘'la yadjouz''... Et on sera devant un phénomène qui n'existait même pas dans les années 1970. Phénomène qui consiste à disqualifier tout ce qui ne va dans le sens qu'on veut imposer à tout le monde. Ce qui est sacré dans l'histoire ne l'est pas pour le cinéma. Au cinéma, c'est l'art qui est sacré. Le réalisme lié au septième art fait qu'on dialogue dans les films de la même manière que dans la société. Les gros mots sont quotidiennement utilisés dans la rue. Pour revenir à l'histoire, les moudjahidine ou les martyrs de la guerre de Libération nationale ne sont pas des anges. Nous ne devons pas les déshumaniser. Ceux qui ont déclenché la lutte d'indépendance sont des êtres humains. Des humains qui mangent, boivent, se trompent, adorent le vin, aiment les femmes... Il faut éviter de sacraliser sur fond religieux les acteurs de la guerre de Libération nationale.» -Imad Benchenni. Comédien L'Oranais est un film lié à la Révolution mais nous n'avons jamais vu un long métrage pareil. Un film qui sort de l'ordinaire. C'est un point important. Nous avons vu les moudjahiddine sous un autre angle. Dans le film, le cinéaste a traité des deux périodes avant et après la guerre de Libération nationale d'une autre manière. Je suis contre le tapage fait autour du film à partir d'un problème qui n'existe même pas. L'Oranais porte une vision du cinéaste. Une vision qu'on doit respecter. Beaucoup de spectateurs ont apprécié le film en raison d'une certaine vérité dite à propos d'une période de notre histoire. Le cinéma ne ment pas, mais dit la vérité. Les moudjahiddine n'étaient pas tous bons, pas des robots et pas des anges…». -Yanis Koussim. Cinéaste Cette histoire est d'un ridicule sans nom pour ce personnage qui fait des prêches sur une chaîne privée. Ridicule est également la réaction des acteurs de la période de la guerre de libération. Il n'y a eu aucune insulte contre la religion dans le film pour qu'un prêcheur intervienne. De quoi se mêle-t-il ? Le pire est qu'il a avoué qu'il n'a pas vu le film. Dans un pays normal, cet homme aurait été obligé de déposer sa démission et poursuivi en justice pour diffamation. Je refuse de voir ses vidéos. Chemeseddine a été curieusement relayé par des sénateurs. Ils se moquent de qui ? Tout le monde sait qu'en Algérie la plupart des bars et des dépôts d'alcool ont été donnés aux anciens moudjahiddine. Pourquoi font-ils tout ce tapage ? Ils se mentent à eux-mêmes car nous connaissons tous la vérité. La seule chose positive dans cette polémique est que le film de Lyès Salem invite au débat sur la sacralisation en carton pâte de certains aspects de la révolution. Une sacralisation qui dessert la révolution...». -Djamel Allam. Chanteur Nous sommes tous choqués par les attaques contre Lyès Salem. Tous les artistes qui s'expriment par le théâtre, la musique, l'image, la peinture, la BD, la danse... sont tous choqués. Dans mon court métrage Banc public, j'ai eu un problème avec la scène montrant une femme avec un haïk et une autre avec un jelbab. En fait, je voulais montrer que le jelbab a chassé le haïk. Le haïk, c'est aussi un voile. Mais, c'est notre enfance, notre culture. Le jelbab n'est pas notre culture. Au Festival arabe du film d'Oran, ils ont refusé de programmer mon film à cause de cette scène. Ils voulaient que je coupe cette scène alors qu'elle est la plus forte du film. Lyès Salem, qui est un ami, est un garçon merveilleux. Il s'exprime d'une manière entière. Je vais vous dire quelque chose : ils sont en train de revenir à ce que j'appelle «les diables». Les artistes, eux, ne sont pas des diables. Nous communiquons, donnons de l'amour, de l'émotion, du rire. Nous devons lutter contre ces gens-là. Quand je vois ce cheikh à la télévision, je zappe tout de suite. Je n'ai pas envie de le voir. Cet homme-là n'a même pas vu le film et a lancé la fetwa. Il est capable de dire des choses plus graves. Heureusement que Lyès a réagi d'une manière extraordinaire. Il faut soutenir Lyès Salem et soutenir son film.» -Salim Aggar. Critique de cinéma et président des Journées cinématographiques d'Alger (JCA) Lyès Salem n'a jamais eu l'intention de toucher ni aux moudjahiddine ni à la religion, ni à quoi que ce soit. Lyès Salem est un jeune réalisateur qui a du talent et qui voulait exprimer à sa façon un film sur les moudjahiddine. Ce qui est raconté dans le long métrage n'est pas faux, n'est pas une utopie. Il s'agit d'une réalité qui existe dans la société algérienne. Que cheikh Chemseddine s'en mêle, c'est n'importe quoi. Là, on dérape. Aujourd'hui, une fatwa contre Lyès Salem, demain ça sera le tour d'un autre artiste. On revient petit à petit à la période du FIS. C'est grave !» -Raouf Benia. Cinéaste Le prédicateur Chemseddine s'est, à mon avis, trompé de religion. La religion que nous avons apprise à l'école algérienne nous a enseigné le refus du culte des personnes. Après Dieu, il y a la nation. Je ne pense pas que le film L'Oranais ait porté atteinte à l'image des combattants ou à celle de la nation. Il s'agit de faits. Je ne parle pas de faits historiques puisque le film est une fiction. La Révolution n'a été évoquée que durant les dix premières minutes de L'Oranais. Tout le film se déroule après l'indépendance de l'Algérie. Où est la diffamation dans ce film ? Qu'un personnage s'appelle El Wahrani, ne peut pas représenter tous les Oranais ou tous les moudjahidine. Il ne s'agit que d'un seul homme qui évolue dans une fiction. Si l'on commence à interdire la projection ou censurer un film, je ne vois pas ce qu'on est en train de faire ici...».