Bedjaoui, le Monsieur cinéma algérien Passionnante rencontre-débat avec Ahmed Bedjaoui autour de son ouvrage Cinéma et guerre de libération Algérie, Des batailles d'images. Il a réponse à tout ou presque, prolixe, passionné et passionnant, débattre avec lui c'est établir un dialogue à bâtons rompus où les détails du passé affluent à force dose. Ce fut le cas mardi dernier à la libraire Chihab international de Bab El Oued où «Monsieur cinéma», alias Ahmed Bedjaoui est venu parler de son dernier ouvrage intitulé Cinéma et guerre de libération Algérie, Des batailles d'images. Cette rencontre, il la fera sciemment coïncider avec la date du 11 décembre, très peu abordée au cinéma tout comme celle du 17 octobre 1961 a-t-il estimé d'emblée. Mis à part dans le film Décembre de Lakhdar Hamina, précisera-t-il tout de même. Parmi les détails avancés, on apprendra l'échappée d'un réseau de femmes de leur cellule à l'époque de la guerre de libération et ce, grâce à l'amas de leurs bas. Ce qui constitue pour notre conférencier un scénario en soi et une belle idée à explorer au cinéma. Mais a-t-on suffisamment couvert les événements de la guerre d'Algérie des deux côtés des belligérants? été Ma réponse est non! Et de souligner: «Le cinéma algérien a trop souvent été rural et masculin, il a fallu l'avènement de Assia Djebar avec son regard d'historienne pour que la pensée rencontre enfin le cinéma, alors qu'il était constitué plutôt de cinéastes autoproclamés et autodidactes. Le pic de la rencontre entre les images de la France et celles de l'Algérie rappellera-t-il, sont les dates du 11 Décembre et le 17 Octobre avec cette date fatidique comme première étape déclencheur, le 9 Août 1955. (...) Quand la répression est devenue terrible, les images de guerre reflétaient une idéologie malgré elles; elles ont commencé à circuler à la télé notamment américaine.... Les premières images d'archives sur la guerre ont été montrées par Yves Courrière. «Les images comportent un discours selon les diverses perceptions que l'on fait. Ce sont ces perceptions que j'ai tenté de rendre compte dans mon livre» a fait remarquer Ahmed Bedjaoui. Il citera aussi le nom de Djamel Chandarli qui sera le premier à lancer le premier Centre d'images d'archives à partir de Tunis. Ce photographe et reporter avait aussi tourné un film Les plongeurs du Sahara. Premier film algérien avec comme acteur Momo. Ce film note-t-on, avait été interdit par les Français et Jean Senac avait fait un long article pour dénoncer cette censure. Les journalistes algériens ont pu aussi pénétrer la télévision américaine grâce à une relation entretenue entre un journaliste algérien avec la fille d'un grand mania de la presse américaine à l'époque, se remémore Bedjaoui, tout en sourire. Et de citer également deux noms de films algériens qui ont bien fait «pleurer dans les chaumières» et contribuer à sensibiliser l'opinion internationale sur la situation sociopolitique en Algérie. Il s'agit du court métrage Yasmina et Les fusillés de la liberté qui sont en réalité des oeuvres «de travail collectif». Ceci, a fait savoir Ahmed Bedjaoui, pour montrer «comment l'image a pu jouer le rôle de catalyseur». Et de souligner: «A la fin de la guerre ils sont arrivés à 90.000 clichés. Quand le Gpra est arrivé, le Centre des images a été baptisé d'image et du son». Pour Ahmed Bedjaoui, il faut remettre l'Histoire dans son cours et d'indiquer: «Moi je ne suis pas historien, mais si je traite de l'histoire c'est quand elle m'invite à lire et voir une image.» Et de prendre comme exemple le président Kennedy. «Il s'agit de montrer comment les images peuvent jouer un rôle important dans cette écriture.» Et de citer des noms de jeunes réalisateurs contemporains qui d'après lui font un travail remarquable dans ce sens, à savoir Narimane Mari dans Loubia Hamra et Fidaï de Damien Ounouri. Si le cinéma est budgétivore, la télé qui porte elle un discours plutôt formaté ne coûte pas très cher, cela n'a pas empêché au film Patrouille à l'est, tourné en noir et blanc, par manque de budget de faire sensation, apprend-on. «Le plus beau film fait sur la guerre est à mon avis Noua» dira avec enthousiasme Ahmed Bedjaoui. un film brillant qui montre des gens marchant vers la mer, ils ne lui donnent pas le dos»... et de renchérir: «Derrière ces films-là, il y a de la réflexion, des auteurs.» Et de faire le distinguo entre le documentaire et la fiction: «Le documentaire a l'air d'écrire l'Histoire, or, il n'est là que pour donner un point de vue. La fiction est beaucoup plus dangereuse car on peut s'identifier. Le cinéaste peut s'emparer de la matière historique avérée. C'est ce qui m'a choqué d'ailleurs lors de la polémique qui a entravé la sortie du film Hors-la-loi de Bouchareb, qui n'évoque les événements de Sétif que durant dix minutes, c'est que ces événements là avaient été avérés par les historiens français alors pourquoi tout ce bruit?» Répondant à une question suite à la polémique entourant récemment le film El Wahrani de Lyes Salem dont l'acteur Khaled Benaïssa alias Hamid vient d'être couronné du titre de la meilleure interprétation masculine, Ahmed Bedjaoui dira que le cinéma est avant tout une démarche donc relevant de l'acte personnel, qui suppose apporter un point de vue personnel qu'on se doit de respecter. «Ma réponse de toujours est: le pire des films est celui qui n'a pas encore été fait!» Entendre: «Si j'étais à sa place j'aurai fait autre chose!». C'est cette dialectique qui peut pousser les gens à faire une démarche, c'est un choix. Si on entrave la liberté du cinéaste il n'y aura plus de cinéma. On ne doit pas spéculer sur l'existence ou pas d'un film. Il faut qu'il y ait au moins 50 films car on a la capacité de les faire. L'envie de dire c'est comme une sève, il faut la laisser couler, après le talent on le verra ou pas. J'ai produit Nahla de Farouk Beloufa, son seul film et ce fut un chef-d'oeuvre d'une beauté absolue...» Et de confier: «Je suis en train d'achever un autre livre actuellement, toujours avec le concours des éditions Chihab et je peux vous dire que j'ai pu dénombrer 830 films sur la guerre d'Algérie. Très peu de films français fiction ont été faits. Les mémoires restent encore blessées, des deux côtés. Mais pour s'affranchir de l'Histoire il faut plonger dans la fiction...»