Le débat organisé dans le cadre des 3es Journées cinématographiques d'Alger a suscité beaucoup de réactions. Les intervenants ont relevé les problèmes qui persistent dans le monde du 7e art algérien, notamment la censure, le financement et la liberté de création. Mohamed Bensalah, critique et universitaire, a soutenu hier matin à la Cinémathèque algérienne, lors d'une conférence intitulée “Le cinéma et la guerre de Libération", que cinquante ans après l'Indépendance, “il est temps d'assumer le passé". Lors d'une communication portant sur le rôle de l'image et du son dans l'imaginaire collectif, M. Bensalah a indiqué que faire un film sur tel ou tel héros de la guerre de Libération ne signifie pas que le point de vue du cinéaste est une vérité absolue. Pour lui, il faudrait laisser la liberté au créateur de “revisiter l'histoire à travers le prisme, qui peut être déformant, de l'audiovisuel". Au bout du compte, ce n'est que la vision et le regard d'un artiste sur l'histoire, d'autant qu'il est question, dans ce cas, de mémoire. “Pour fabriquer un imaginaire collectif, il faut cultiver la mémoire", a-t-il souligné, tout en expliquant que “l'image est un matériau supplémentaire, complémentaire à l'archive", mais il ne se substitue pas à celle-ci. Il relèvera également que la mémoire du 17 Octobre 1961, après avoir été ignorée dans un premier temps, n'a pas été suffisamment présentée, mise en valeur et exploitée par le cinéma. Saïd Ould Khelifa, dont le long métrage “Zabana !" devait sortir hier en salle, a estimé qu'il était “ridicule" de célébrer le 17 Octobre comme “une journée de l'émigration". M. Chentouf, universitaire de Saïda, a présenté son ouvrage en langue arabe, “Le Cinéma algérien et la guerre de Libération", dans lequel il recense 160 longs métrages de fiction produits, dont 50 sujets ayant trait à la guerre de Libération nationale et à l'histoire, abordés sous différents angles et points de vue. “Il y a des films qui posaient un regard glorificateur, et d'autres qui proposaient une position plutôt critique, comme le film ‘'les Rescapés'' d'Okacha Touita", a-t-il noté. M. Chentouf a, par ailleurs, relevé que les films algériens révolutionnaires et de guerre se subdivisent en trois parties, selon le contexte : l'avant-guerre, la guerre de Libération et les conséquences de la guerre. Concernant ce dernier point, les deux films qui l'illustrent parfaitement, d'après l'intervenant, est “Moissons d'acier" de Ghaouti Bendeddouche, d'après un scénario de Mourad Bourboune, et “Voyage à Alger" d'Abdelkrim Bahloul. Durant le débat avec le public, il a été question du concept de “cinéma-mémoire" et des limites de la fiction. Saïd Ould Khelifa rappellera que la censure existe encore et citera comme exemple Ahmed Rachedi qui a dû couper la séquence de la rencontre de Ben Boulaïd avec son épouse. “Un épisode intime et humain", d'après M. Ould Khelifa, qui n'a pas résisté face à la censure. Il signalera ensuite que “nous ne sommes pas, en tant que cinéastes, détenteur d'une mémoire quelconque", tout en déplorant le fait que, dans le contexte d'aujourd'hui, “l'on n'accepte pas la fiction". Azeddine Mihoubi, scénariste du film “Zabana !", déclarera que certaines personnes qui n'avaient rien à voir avec Ahmed Zabana s'étaient ingérées et avaient critiqué le contenu du long métrage. Toujours dans le chapitre de la censure, Damien Ounouri, réalisateur de “Fidaï", qui devait être projeté hier en soirée aux JCA, a évoqué son expérience avec la Télévision algérienne, à laquelle il avait proposé son documentaire. La télévision a accepté d'acheter son film, à la condition qu'il enlève les passages ayant trait à la confrontation MNA/FLN. Chose que le réalisateur a refusé. Yamina Chouikh, réalisatrice, a tenu à apporter son témoignage quant à notre “histoire confisquée de manière bien cadrée, avec un cinéma étatique", en soulignant qu'au départ, durant les premières années d'indépendance, “on s'est intéressé au mouvement de libération. On ne touche pas à ce qui dérange dans l'histoire. Après ‘'Ben Boulaïd'' et ‘'Zabana'', les gens ont peur". En effet, avec la tendance des biopics, les choses se compliquent davantage et beaucoup de parcours vont s'arrêter à 1962, ou seront traités partiellement. M. Chouikh, tout comme M. Bensalah, reviendront sur la loi qui permet au ministère des Moudjahidine de donner son aval sur les scénarios qui traitent de l'histoire de l'Algérie. Pour la réalisatrice de “Rachida", “c'est de notre faute, nous n'avons pas réagi". Et pour M. Bensalah, “nous ne sommes pas assez rebellés contre cette loi". Le modérateur de la conférence, Ahmed Bédjaoui, a mis l'accent sur le grand absent : le public. Désertant les salles depuis longtemps, l'Algérie produit des films que le public ne voit pas, en l'absence de salles de cinéma, et surtout d'intérêt. Mais peut-être que le public ne se reconnaît plus dans un cinéma qui ne lui ressemble plus. S K