La compilation des œuvres algériennes de ce grand cinéaste rebelle... La coopérative audiovisuelle Les Mutins de Pangée vient de publier un coffret reprenant pas moins de 15 films de René Vautier sur l'Algérie réalisés pendant la guerre et après. On y retrouve les premières images tournées dans les maquis de l'ALN, période où il fut blessé par une balle qui pulvérisa sa caméra, laissant à ce jour un morceau de métal dans sa tête. Période aussi où il passa près de deux ans dans les geôles algériennes en Tunisie, victime alors de frictions au sein du FLN. Le cinéaste qui œuvra en 1962 à la création du cinéma algérien, n'en a jamais gardé de la rancœur, il en sourit même. Les films demeurent, comme Peuple en marche, premier long métrage documentaire de l'Algérie indépendante. Ensuite, il fit en France des documentaires ou des courts métrages de fiction qui dénonçaient la précarité des travailleurs algériens et le racisme dont ils faisaient l'objet. On y retrouve avec émotion le regretté Mohamed Zinet, truculent dans ces petits films, tels Les trois cousins (1970). Vautier, quant à lui, se met en scène dans Le remords (1975). Des entretiens avec le cinéaste resituent l'ensemble. La fille du réalisateur, Moïra Vautier-Chappedelaine, elle-même cinéaste (société Ciao Film) a œuvré pour que ce coffret impressionnant voit le jour. «Le plus compliqué a été de récupérer les droits sur les négatifs, surtout sur Avoir 20 ans dans les Aurès», nous confie-t-elle. Ensuite, ce fut une longue et patiente démarche pour retrouver les bouts de bobines disséminés ici ou là. «On s'est aperçu qu'on avait beaucoup de choses mais dans un état très abîmé, car ce sont des films qui n'ont jamais été stockés dans de bonnes conditions. Ils étaient dans des formats qui n'entraient pas dans les normes de conservation des cinémathèques et ils n'ont pas été préservés à l'INA car jamais diffusés à la télévision. Du coup, on s'est retrouvé avec beaucoup de films, mais la plupart dans un état de décomposition avancée». C'était sans compter sur la volonté de la jeune femme pour qui les films de Vautier sont «en quelque sorte son héritage moral», depuis Afrique 50, considéré comme le premier film anticolonial français et restauré grâce à la Cinémathèque française. Une détermination nourrie par le fait qu'après le retour sur les écrans d'Avoir 20 ans… en 2012, pour le cinquantenaire de l'indépendance, des éditeurs DVD voulaient le publier. Pour Moïra Vautier, il n'était pas imaginable qu'il soit édité seul. Une aventure commence qu'elle raconte ainsi : «Du coup, on a travaillé avec la coopérative Les Mutins de Pangée qui avaient déjà sorti Afrique 50 avec un livret en 2013. Je leur ai proposé une publication des films de Vautier ayant trait à l'Algérie. Je me suis transformée en archéologue cinématographe, j'ai cherché dans les lieux de dépôt où je savais qu'il y avait des choses, la Cinémathèque de Bretagne, dans les caves des uns ou des autres, dont les deux bobines tournées pour la télévision algérienne, Guerre aux images en Algérie et Déjà le sang de mai ensemençait Novembre, qui sont peu connus en France. Ce qui était important, c'était de mettre en écho à la fois les films comme Algérie en flammes, film de combat, et des œuvres largement inspirées de cette période-là. Comprendre dans cette mise en relation le cheminement de René Vautier au travers de ce conflit qui l'a beaucoup marqué au début de sa carrière jusqu'au film en 1988 sur Le Pen en Algérie». Le résultat est appréciable. Il rend un bel hommage à un rebelle, chercheur d'images et militant irrépressible : «Le cinéma pour lui est un moyen d'expression et il a toujours voulu le mettre auprès de ceux à qui on le refuse. Il se trouve que c'était les Algériens pendant une période. Etre breton l'a aidé à avoir une conscience de ce que cela pouvait être la négation du culturalisme, des spécificités d'une région». Dans le coffret, si on découvre des œuvres jamais vues, on a aussi le bonheur de voir enfin Avoir 20 ans dans les Aurès dans une qualité technique qui respecte la vision de Vautier. Pour sa fille, «les gens s'y reconnaissent, quel que soient leur positionnement durant la guerre et leur cas de conscience. Je crois que c'est cette force d'identification qui fait que le film est toujours d'actualité. Il est largement transposable dans d'autres conflits car c'est ce mécanisme de la guerre qui est décortiqué de manière très humaine. Comment, d'un être humain, on devient une machine de guerre, quelle que soit notre force de conviction». Cela touche même des antimilitaristes, comme le groupe d'appelés dont le témoignage dans le film demeurera en France comme le plus juste sur la guerre. L'histoire se prolonge aujourd'hui même dans l'actualité. Il y a quelques jours, en effet, Marine Le Pen a estimé que la torture pouvait parfois être utile, alors que tout le monde s'indignait des exactions américaines à Guantanamo. En 1988, René Vautier a réalisé A propos de l'autre détail, un film documentaire sur l'implication supposée de Jean-Marie Le Pen dans la torture en Algérie. Moïra Vautier se souvient d'un épisode marquant de son enfance : «Je me rappelle qu'à la fin des années 80', lorsque Le Canard Enchaîné a publié un article disant que Le Pen avait été tortionnaire en Algérie et que René avait fait des enregistrements, on a eu des menaces à la maison, et on a fini par déménager parce qu'il y avait des menaces sur moi et ma mère, sachant tout de même qu'on habitait au fin fond de la Bretagne et que les coups de téléphone étaient incessants à la maison sur le thème : on sait où votre fille va à l'école, on sait que votre femme a telle voiture, où elle se gare, etc. A cette époque, il restait quelques ex-OAS bien actifs encore et le Front national était bien vaillant et virulent. Bref, c'est toutes ces choses-là dont je me souviens et qui sont aussi mes souvenirs d'enfance». Nous lui avons demandé comment elle a réagi quand Marine Le Pen a justifié la torture après les révélations aux USA sur son usage par la CIA. «Il se trouve que j'étais avec mon père quand on a appris cela. Quand je pense qu'on s'était posé la question de savoir s'il fallait ou non mettre le film sur Le Pen dans le coffret ! En fait, il y a eu un livre de Péan et Cohen, les fameux journalistes ‘‘objectifs'' du Monde, qui expliquaient que Le Pen n'avait pas torturé, que ce n'est pas sûr, on ne sait pas trop… Effectivement, il y a une loi d'amnistie qui protège par rapport à cette question, qui fait qu'on n'a pas le droit de reprocher ce qu'ils ont fait durant la guerre sous l'uniforme. Du coup, on s'inquiétait que le coffret puisse être saisi, une éventualité parce qu'on y diffuserait le documentaire de Vautier. Finalement, j'ai fini par dire clairement : ou on met le documentaire dans le DVD sans rien ajouter comme commentaire, ni avant, ni après, tel qu'il est, ou alors on ne met rien et on l'enlève. C'est ce à quoi j'étais favorable, mais c'est une responsabilité d'éditeur et je comprends leur position. Dans le livret, on a mis une page explicative pour dire le pourquoi et le comment de notre décision et de notre démarche. Et lorsque j'ai entendu Marine Le Pen, je me suis dit : c'est pas possible, on n'est toujours pas sorti de ça ! C'est ça qui est terrible, se dire que si elle fait son boulot de défendre son père, je fais le mien de faire circuler la parole du mien. Alors que tout le monde est unanime (évidemment, c'est facile de condamner les Américains, de dénoncer ce qui est scandaleux), elle trouve le moyen de légitimer la torture. Je trouve cela grave. Mais bon, il semble qu'elle soit revenue sur ses propos…». Le film sur Le Pen figure bien dans le coffret. «Oui, conclut Moïra Vautier, et c'est elle qui fait ma communication. Sérieusement, c'est compliqué cette histoire d'amnistie, et c'est pourquoi on a fait un encart. C'est dur d'écrire l'histoire en France, car il y a des pans entiers dont on n'a pas le droit de parler, des pans qui sont protégés. Lorsqu'on a le plus parlé de torture en France, c'est lorsque les tortionnaires ont eux-mêmes témoigné. Comme Aussaresses…».