Retenez ce nom de Fatma N'parapli, car il risque fort de devenir un classique de la BD algérienne. Le premier tome, intitulé Fatma N'parapli et les Fatma du quartier, a été salué par la critique pour ses qualités graphiques et scénaristiques, et lors du dernier Fibda de nombreux spécialistes étrangers ont souligné son excellence et son originalité. Les auteurs : un jeune trio formé de Mahmoud Benameur et Soumia Ouarezki pour le dessin, et Safia Ouarezki (sœur jumelle de la première) pour le scénario. Ces derniers ont compris qu'il fallait travailler ensemble pour réussir quand, souvent, les auteurs de BD s'escriment à œuvrer seuls sans recourir à des scénaristes. Et le résultat de cette entreprise familiale à but artistique est une BD unique en son genre. Racontée sur le ton de la confidence, du ragot mais aussi du conte, l'histoire se déroule dans le vieil Alger, dans ce monde hors de l'espace et du temps qui est la «houma» (quartier). Les racontars y vont bon train sur le compte de Fatma N'parapli. C'est une dame originale aux allures bohèmes qui collectionne les parapluies, survit en vendant de la guernina (cardon sauvage) et fréquente assidûment les cafés, toujours prête à en découdre avec celui qui discuterait de sa présence en ce haut lieu de machisme à l'algérienne. Comme il arrive souvent avec les femmes hors-normes, on raconte que Fatma et Lallahoum, sa vieille colocataire, s'adonne à la sorcellerie. Mais la clé du mystère est ailleurs… Visuellement, Fatma N'parapli est une belle réussite. Le découpage quasi-cinématographique plonge irrésistiblement le lecteur dans un univers «étrange et familier». Avec des planches entières sans texte, ou avec des dialogues minimalistes, l'image assume une fonction narrative à part entière. Réalisé à l'encre de Chine, le dessin affiche une fausse nonchalance à la Joann Sfar qui ne fait que renforcer l'onirisme de l'ensemble. La Casbah, les intérieurs des vieilles maisons, les tenues des femmes et leurs bijoux… Autant d'éléments qui auraient pu verser dans l'étalage folklorique de «marqueurs culturels», voire ethnologiques. Mais il n'en est rien. Le tout est naturellement intégré et ne se découvre qu'à une deuxième (voire troisième) lecture. L'autre force de cette BD est sa langue. Les savoureux dialogues en arabe algérien, dans sa variante algéroise, sont truffés de trouvailles du parler populaire. Un choix linguistique qui libère des trésors de créativité. Ce langage, comme notre tchektchouka nationale, s'accommode de tous les emprunts sans perdre un gramme d'originalité. Et vous savez quoi ? Au dernier Fibda, Fatma N'parali a remporté le prix du meilleur album en langue nationale, une classification qui reconnaît à la BD le droit et même le devoir de parler «vrai», au-delà des impératifs linguistiques scolaires ou académiques. Cet album à six mains est assurément une œuvre qui marque un moment de la BD algérienne.