Réveil brutal sur une réalité économique sur laquelle des spécialistes, des pans entiers de la classe politique et du mouvement associatif n'ont cessé d'alerter depuis des années. Si le gouvernement, lui qui n'a pas cessé de louer ses propres politiques en matière économique, a pris la douloureuse décision de geler les recrutements dans la Fonction publique, c'est qu'il y a vraiment péril en la demeure. Conséquence néfaste pour un pays qui vit de sa seule rente pétrolière, la mesure prise pour assurer, dit-on, «les équilibres internes et externes», suite à la chute brusque mais attendue des prix des hydrocarbures, peut s'avérer dramatique sur le plan social. Ces dernières années, la Fonction publique a constitué une véritable soupape pour les pouvoirs publics, car étant le plus important secteur recruteur en Algérie. Le pouvoir s'en est servi maintes fois pour éteindre le feu de la contestation sociale en procédant à des programmes de recrutement de masse pour absorber un chômage endémique chez les jeunes. Avait-il d'ailleurs d'autre choix que de créer des milliers de postes dans le corps de police, qu'il a offerts aux jeunes chômeurs du Sud au cœur d'une protestation sociale sans précédent dans le pays ? Quinze ans après et une manne pétrolière providentielle abondante, la politique du président Bouteflika n'a hélas permis aucune alternative à une jeunesse coincée dans l'engrenage sans issue du chômage. Lorsqu'on est jeune diplômé, peut-on admettre le fait que l'on doit réprimer, pendant une année, tout espoir de se faire recruter par la Fonction publique ? La mesure est terrifiante : les jeunes en général et les diplômés en particulier, ceux qui sont déjà sur le marché de l'emploi et ceux qui vont arriver, doivent se faire violence et attendre, reclus, que les pouvoirs publics lèvent la suspension. Et ce n'est pas évident. Rien ne dit que le marché pétrolier va rebondir d'ici là. Pis encore, qui peut garantir que la dégringolade ne va pas se poursuivre ? Les prix se décident à Londres et sont soumis à l'implacable loi de l'offre et de la demande, sur laquelle l'Algérie n'a plus aucune influence. En plus de la problématique de l'emploi que pose avec acuité le penchant facile à l'austérité du gouvernement Sellal, il va de soi que d'autres secteurs, et pas des moindres, vont souffrir des effets d'une mesure que l'on ne peut que qualifier d'impopulaire. Ce sont les secteurs de l'éducation, de la santé et de l'administration qui devront prendre leur mal en patience. L'éducation nationale, qui a déjà exprimé ses besoins en matière de recrutements, va-t-elle renoncer aux concours qu'elle prévoit d'organiser au début de l'année prochaine ? La santé aura, elle aussi, du mal à combler son déficit en personnel paramédical. Quant à l'administration, il lui sera difficile de satisfaire la «permanisation» des jeunes qu'elle a recrutés dans le cadre du préemploi et qui attendent – depuis des années pour certains d'entre eux – de se voir affecter des postes budgétaires par la Fonction publique. Comme dans toutes les crises économiques, c'est cette dernière qui est la première cible des coupes d'austérité. L'on n'en est qu'aux premiers effets de la crise. Faute d'avoir construit une économie émancipée de la dépendance quasi totale de la rente pétrolière – ce qui était largement à la portée de l'Algérie –, l'Exécutif, à sa tête le président Bouteflika, est au moins coupable d'imprévoyance. Et comme toujours, cela retombe sur les couches les plus vulnérables. Dans la situation qui est celle de l'économie nationale victime d'une gouvernance chaotique qui dure depuis 15 ans, l'on ne peut plus parler d'erreurs, mais de dérives. Les Algériens en découvrent, à leurs dépens, les prémices.