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La paix sociale résistera-t-elle aux coupes budgétaires ?
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Le baril de pétrole a clôturé hier autour de 56 dollars, scellant une perte de valeur de près de 50% en six mois. Face à cette situation délicate, le gouvernement tente d'apporter des réponses rassurantes.
Le gouvernement envoie des signaux contradictoires. Au début du mois, Mohamed Djellab, ministre des Finances, se montrait confiant en «la politique économique prudente» menée par l'Algérie. Plus encore, il fanfaronnait que le pays «était doté de mécanismes à même de faire face à ce genre de situation». Ce «genre de situation», il ne s'agit de rien d'autre que du prix du baril de pétrole qui n'a de cesse de décroître, perdant pratiquement 50% de sa valeur en six mois, emportant de facto la moitié du budget de l'Etat. Abdelmalek Sellal, quant à lui, s'est montré plus grave, hier, quand il a décrété qu'était venu le temps de «la solidarité nationale».
En somme, terminées les dépenses faramineuses et les projets de grande ampleur «comme les chantiers de tramway et de travaux ferroviaires». Jusque-là, les mesures sont encore supportables, mais le Premier ministre n'était pas arrivé au terme de son allocution : «Pour 2015, les recrutements dans la Fonction publique, tous secteurs confondus, seront gelés ainsi que les salaires.» Choc. 88% de la population active algérienne sont fonctionnaires et cette annonce sonne le glas. Manel, 22 ans, fonctionnaire, trouve que «cette décision n'a aucun sens» et y voit «une manière de priver une offre de postes déjà réduite». Nedjma, étudiante, âgée de 20 ans, voit dans cette décision «les signes d'une crise». Et d'ajouter : «Il faut qu'il détaille les raisons de cet arrêt des recrutements. S'il n'y a plus de recrutement dans la Fonction publique, ça veut aussi dire que le risque de licenciement n'est pas écarté. Quid des nouveaux diplômés ?»
Paix sociale
L'inquiétude est latente, réelle et, surtout, elle est pour le moins justifiée, comme l'explique le sociologue Zoubir Arous, professeur à l'université d'Alger : «Cette décision a de quoi faire peur. Ce sont les universitaires, les diplômés et les jeunes du préemploi qui vont en payer le prix. C'est une mesure qui vise la catégorie de la population qui a le plus besoin d'un poste de travail stable.» En effet, si les Algériens sont aussi sensibles aux répercussions que peut avoir la chute du baril de pétrole, ce n'est pas seulement parce que cela peut avoir une incidence directe sur la vie quotidienne, mais surtout parce qu'elle va bouleverser des habitudes récemment acquises : «Pendant les quinze dernières années, l'Etat a habitué les Algériens à les satisfaire, sous forme d'assistanat au quotidien, par les biens de la rente pétrolière. Aujourd'hui, le pouvoir doit continuellement intervenir pour répondre à leurs besoins sociaux», analyse Noureddine Hakiki, sociologue.
Dès lors, le pouvoir se retrouve dans une position très délicate : il doit concilier le besoin immédiat «de s'atteler à la rationalisation des dépenses publiques» comme l'avance le président Bouteflika dans un communiqué publié à l'issue d'un Conseil des ministres restreint, mardi soir – qui semblait être le conseil de l'urgence – et la nécessité perpétuelle d'acheter la paix sociale, alors même que les grèves dans le secteur de l'éducation se font plus pressantes et que les chômeurs du sud du pays battent inlassablement le pavé.
Déficit
Un dilemme auquel le gouvernement a voulu répondre rapidement, avec ses recettes habituelles. Sellal a été clair : pas question de toucher aux sommes allouées aux transferts sociaux et aux grands programmes d'investissement publics qui sont «créateurs d'emplois et de richesses pour le pays», selon le communiqué de Bouteflika. En clair, programmes de crédits Ansej mais surtout de logements, comme l'AADL, ne devraient pas être suspendus. La loi de finances 2015 entérine d'ailleurs la poursuite du programme de logements LPP destinés aux classes moyennes supérieures. Pour ce faire, le gouvernement n'a d'autre choix que de puiser dans le Fonds de régulation des recettes (FRR) ainsi que dans les réserves de change.
En somme, remplacer les dollars de la manne pétrolière par le surplus de dollars issu de la même manne. Une solution de court terme qui, au demeurant, ne paraît pas satisfaisante, comme l'avance Mourad Goumiri, politologue : «Ce qui devait arriver arriva, une fois la confirmation de la baisse substantielle des prix du pétrole ! Pour ne pas toucher aux acquis, on va hypothéquer l'avenir.» Ainsi, les transferts sociaux devraient avoisiner les 500 milliards de dinars, auxquels s'ajoute une augmentation de 5,5% des dépenses de fonctionnement. Le coup fatal est une augmentation des importations de l'ordre de 6,2% par rapport à 2014. Des solutions d'urgence qui devraient entraîner un déficit public de 4100 milliards de dinars. Pour M. Goumiri, «les capacités et les compétences de ce gouvernement ou de ses prédécesseurs à juguler la crise» sont à remettre en cause.
Militaire
Le plan du gouvernement apparaît donc inadapté dans la recherche d'issues pérennes. Et les citoyens ne sont pas dupes, à l'image de Hicham, 25 ans, qui estime que «ce qui se passe n'est que le résultat d'une politique économique erronée. Tous les indicateurs faisaient part d'une crise prochaine». Et d'ajouter : «De lourdes décisions seront prises pour 2015.» Pourtant, l'Algérie n'est pas sclérosée, elle dispose d'atouts qui ne cherchent qu'à être exploités. Ainsi, Samir Boumoula, professeur d'économie à l'université de Béjaïa, juge que «plusieurs secteurs présentent toujours des atouts incontestables au regard des spécificités diverses de l'Algérie, de l'agriculture à l'industrie pétrochimique en passant par les activités agroalimentaires et de transformation du bois ou du cuir». Et de poursuivre : «Il faut essayer de redémarrer une stratégie industrielle avec des objectifs identifiés, une échéance planifiée, un personnel politique convaincu, des ingénieurs qualifiés et un personnel technique qualifié.»
Diversifier l'économie est la piste principale, elle permettrait de sortir de la dépendance endémique de l'économie algérienne vis-à-vis de sa rente pétrolière tout en créant de l'emploi. «Diversifier l'économie», une rengaine que le pouvoir entonne à chaque échéance électorale sans succès, que les observateurs appellent de leurs vœux depuis des décennies ; maintenant que l'option devient une nécessité absolue, nos dirigeants osent à peine la prononcer. A plus court terme, la «rationalisation des dépenses» que préconise le Président n'est pas vide de sens, seulement la loi de finances votée en novembre dernier ne semble pas en prendre le chemin. Manel pense qu'«au lieu d'annuler le recrutement durant toute une année, il aurait été plus judicieux de réduire les projets liés à la culture, au sport ainsi que ceux du ministère des moudjahidine qui engloutissent tous les budgets».
Rachid Tlemçani, pour sa part, fustige les dépenses militaires – en augmentation cette année encore – et qui représente un quart des dépenses de l'ensemble du continent africain : «Le budget militaire et sécuritaire pour l'année 2015 s'élève à 21 milliards de dollars, soit plus de 30% du budget global. Un gouvernement rationnel réduirait le budget militaire au lieu de s'attaquer aux budgets qui auraient un impact direct sur la vie des citoyens. Le budget militaire est toujours perçu comme un tabou auquel on ne touche pas.» Finalement, dos au mur, le régime n'a d'autre choix que d'enfin se montrer novateur dans ses réponses, rompant ainsi radicalement avec sa logique rentière.


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