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«Zeghar faisait des affaires, mais toujours en vrai patriote»
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Publié dans El Watan le 08 - 01 - 2015

Si Zeghar l'iconoclaste algérien. La véritable histoire de Rachid Casa*, un ouvrage sur un personnage controversé de l'Algérie post-indépendance, résultant de quatre ans (décembre 2010 à décembre 2014) de recherches, de rencontres et d'écriture. Son auteur, Seddik Larkèche, professeur-chercheur s'en explique.
- Qui est Messaoud Zeghar, personnage sulfureux, controversé, complexe ? Grandeur et décadence d'un homme hors du commun...
Le parcours des hommes exceptionnels est souvent traversé de volte-face où le tragique se dispute à l'insolite, et c'est ce qui démultiplie l'aura et le charisme de Messaoud Zeghar. Homme-clé des relations commerciales internationales avec l'Algérie et homme d'influence dans la diplomatie parallèle, en particulier dans les relations algéro-américaines, ses plus belles opérations lui ont permis de constituer un patrimoine important, difficilement mesurable, l'amenant à être considéré comme le personnage le plus fortuné et un des plus décisifs d'Algérie.
La révélation de plusieurs affaires le faisant passer de l'ombre à la lumière jusqu'à son arrestation par le nouveau régime au début des années 1980, a entraîné sa mise à l'écart. A ce moment crucial de sa vie, il perdit quasiment tous ses repères, impuissant pour la première fois, ne pouvant plus compter sur ses réseaux et une grande partie de son équipe, et voyant son patrimoine décliner à grande vitesse. Il décéda peu après dans des conditions controversées, mettant un point final à sa trajectoire exceptionnelle qui fut à la fois romanesque, passionnante et tragique.
- Vous lui consacrez un livre. Peut-on parler de mythe Zeghar ? Vous le qualifiez de patriote. Qui est-il réellement ?
Trente ans après sa mort, ce personnage attire toujours autant l'attention. En 2014, lorsque nous évoquons le nom de Zeghar en Algérie, les gens sont toujours captivés pour diverses raisons : son amitié exceptionnelle et unique avec Boumediène, sa contribution déterminante aux relations algéro-américaines, sa démarche entrepreneuriale remarquable, mais aussi l'enlèvement de sa sœur, son emprisonnement sous l'ère Chadli et sa mort tragique à un âge peu avancé.
Se consacrer à un tel ouvrage pendant quatre ans trouve aussi pleinement son sens s'il permet de faire comprendre aux jeunes générations que cette personnalité unique a su mêler, à l'avantage de l'Algérie, un patriotisme authentique au génie des affaires. Certains grands noms de l'industrie et des services en Algérie tirent actuellement leurs fortunes d'intermédiation sans forcément y associer l'intérêt général du pays. Si ce n'étaient les parts d'ombre personnelles de Zeghar qui l'ont fait inexorablement sombrer, le pays aurait pu encore longtemps bénéficier de ses talents exceptionnels dans la diplomatie parallèle.
- Vous évoquez son amitié avec le président Boumediène. Qu'est-ce qui liait les deux hommes ?
Le président Boumediène utilisait Zeghar pour son entregent, son lobbying, sa capacité d'influence et de collecte des informations stratégiques pour les intérêts de l'Algérie. Il savait que Zeghar possédait des sociétés à l'étranger, en particulier en Suisse et aux Etats-Unis. La seule condition qu'il lui imposait était de ne pas nuire aux intérêts du pays et de rester patriote, ce dont il ne douta jamais. Leur proximité personnelle le confortait dans le fait que Zeghar était un vrai nationaliste qui défendrait toujours les intérêts de son pays.
Il appréciait également son génie des affaires et sa capacité exceptionnelle à faire de l'argent et acceptait qu'il fût rémunéré sur ses transactions avec l'Algérie, en particulier en termes d'assistance technique. Il ne souhaitait simplement pas qu'il franchisse la ligne rouge en portant préjudice aux partenaires algériens. Ses coups de génie furent nombreux en 40 années, allant du négoce international, en passant par l'aviation, l'immobilier, les hydrocarbures ou l'armement. Son coup le plus spectaculaire fut assurément lié à l'achat du n° 1 mondial des télécommunications militaires, l'entreprise allemande Telemit, qui lui permit de passer un palier supplémentaire dans ses affaires en achetant plusieurs actifs prestigieux aux Etats-Unis.
Qui aurait pu imaginer, au milieu des années 1970, qu'un autodidacte algérien d'El Eulma ait pu racheter une entreprise allemande, leader mondial dans son domaine ? Zeghar le fit parce qu'il était capable de relever les défis les plus fous, son génie était là. La stratégie de Zeghar était triple. Tout d'abord, il avait investi à l'étranger dans la pierre et en particulier dans l'hôtellerie. Ensuite, il diversifia géographiquement ses investissements en France, Espagne, Suisse, USA ou en Allemagne.
Cette stratégie était sûrement liée à une volonté de minimisation des risques. Enfin, son troisième pilier était de ne pas investir dans son pays d'origine, l'Algérie, non pas par manque de patriotisme, mais au contraire pour éviter la confusion des genres, en particulier par rapport à son rôle dans la diplomatie parallèle algérienne. A la fin des années 1970, Zeghar disposait d'un patrimoine colossal, plusieurs hôtels en France, aux Etats-Unis, aux Bahamas, une usine en Suisse, un ensemble immobilier en Espagne, une compagnie aérienne américaine, des puits de pétrole en Virginie et des biens immobiliers de grand luxe à travers le monde, en Amérique, au Canada, en France, en Espagne, au Portugal et bien sûr en Algérie, et tout particulièrement à Alger et à El Eulma.
Il était incontestablement l'homme le plus riche d'Algérie, et surtout il était l'un des plus puissants car il avait la confiance totale de son ami et mentor, le président Boumediène. Il voyageait à travers le monde et ne passait que quelques mois par an à Alger où il recevait beaucoup dans son domaine de Poirson et passait beaucoup de temps au téléphone avec ses différents relais internationaux. Le culte du secret de Zeghar le poussait à faire porter ses affaires par des proches ou par des sociétés écrans lui permettant de rester dans l'ombre tout en étant omniprésent dans la gouvernance de son groupe.
Zeghar avait compris qu'il lui fallait une équipe dévouée et de confiance pour gérer ses multiples affaires. A Genève, il s'agissait de Jacqueline Schwarz, à Paris, c'était Saïd Goutali, à Madrid, Roberto Sancho, et en Allemagne, Jimmy Oebel fils. Quant à Djilani Seghir, Jimmy Oebel père, Raymond Obadia et Gilles Clamageran, ils restaient flexibles et prêts à intervenir lorsque le besoin se faisait sentir. Ces huit personnes constituaient l'équipe Zeghar et eurent tous un rôle crucial dans le développement de son empire. Sur le plan structurel, le groupe Zeghar était composé d'une multitude de sociétés internationales.
- Comment expliquez-vous sa descente aux enfers ? Pourquoi a-t-il été incarcéré ?
En janvier 1983, Messaoud Zeghar fut arrêté et incarcéré durant 32 mois dans une prison à Blida. Fin d'année 1985, les événements s'accélérèrent. Le pouvoir algérien avait atteint son objectif, neutraliser Messaoud Zeghar en lui faisant perdre une grande partie de sa fortune et surtout de son pouvoir d'influence, car tous ses relais en Algérie et à l'étranger avaient été anéantis. Il fallait dès lors le libérer pour ne pas en faire un martyr, tout en lui faisant comprendre qu'il ne pourrait plus faire commerce avec l'Algérie.
Il devait surtout comprendre que l'on n'avait plus besoin de son entregent dans les affaires internationales de son pays. Un procès eut lieu en date du 29 septembre 1985 au tribunal militaire de Blida et dura quatre jours. Ce procès, à titre exceptionnel, fut enregistré. Les accusations contre Zeghar et ses acolytes étaient fortement fragilisées par l'argumentaire des avocats. Le verdict tomba, tous les accusés furent acquittés, ce qui était prévisible pour ne pas les victimiser. La thèse sur l'opposition de deux clans au ministère de la Défense nationale avec des surprises de dernière minute émanant du tribunal ne peut être soutenue.
Le dossier Zeghar a été validé du début à la fin au niveau des plus hautes sphères de l'Etat, c'est-à-dire du président Chadli. Le pouvoir avait totalement atteint son double objectif, neutraliser Messaoud Zeghar sans en faire un martyr, ce qui aurait pu nuire à l'image de ce Président modéré qui avait su apaiser les relations internationales de l'Algérie. En octobre 1985, il sortit finalement de prison, amaigri, livide, presque jaunâtre, fragile physiquement. Paradoxalement, il sortit plus calme, comme libéré d'une addiction, en particulier aux affaires. Sa fortune avait fondu au soleil et ne se chiffrait plus qu'à quelques centaines de milliers de dollars.
Il ne lui restait plus que son hôtel Pintor Goya à Madrid, sa villa à Marbella, quelques propriétés en Algérie, dont son domaine dans le quartier chic de Poirson à Alger. Il n'était pas ruiné, mais son patrimoine avait été amputé de plus de 90% de sa valeur initiale. Il n'était plus incarcéré, mais restait sans passeport, sans pouvoir sortir du territoire. Il ne le récupéra qu'en avril 1986, après six mois qu'il passa dans la plus grande incertitude.
- Il connut une fin tragique ?
Dans la soirée du 21 novembre 1987, Roberto Sancho, le directeur général de l'hôtel Pintor Goya, se trouvait à son domicile madrilène. Le téléphone sonna, la famille Zeghar l'appelait pour le prévenir que Messaoud venait de faire une crise cardiaque. Il se précipita à son chevet, mais à son arrivée Messaoud était déjà mort. La police imposa à la famille une autopsie et cette dernière fut explicite, confirmant l'attaque cardiaque.
Depuis sa sortie de prison, Messaoud était physiquement diminué. Diabétique et hypertendu, il tentait de se soigner, mais il avait du mal à redresser la barre. Sous le choc de cette mort subite, la famille soupçonna un empoisonnement, contrairement à Roberto Sancho qui s'appuyait sur le résultat de l'autopsie. La réalité était qu'au bout de 50 ans de travail acharné, de voyages à travers le monde, Zeghar avait subi une pression inconcevable dans la gestion de ses multiples affaires, associée à une hygiène de vie qui laissait à désirer.
Pas de sport, consommation excessive de tabac et surtout le contrecoup physique et psychologique terrible de son incarcération de 32 mois. La volonté d'imputer son décès à des membres de la Sécurité militaire ou à ses anciens adversaires est totalement absurde. En 1987, Zeghar était amputé de presque la quasi-totalité de sa fortune, il était persona non grata dans le jeu des affaires et de la diplomatie en Algérie, sa créance auprès d'un certain Smaïl Si Ahmed avait été recouvrée et il ne restait plus autour de lui que les membres de sa famille. Il n'était définitivement plus un danger pour ses éventuels adversaires.
- Que reste-t-il de la mémoire de Messaoud Zeghar ?
Nous avons lu des milliers de pages sur les histoires relatives à la vie de Zeghar et rencontré les principaux protagonistes de sa trajectoire, en retirant quelques apprentissages utiles aussi à l'Algérie. Le premier, c'est de confirmer que Zeghar a été le seul à ce jour à avoir combiné le rôle de lobbyiste international en faveur de l'Algérie, d'entrepreneur international et de diplomate non officiel pour son pays, disposant de plusieurs passeports diplomatiques et d'ordres de mission quasi permanents lui permettant de faire des contre-enquêtes sur les sujets les plus sensibles, y compris relatifs au secret Défense.
Le second apprentissage, c'est la démonstration de son génie des affaires avec une stratégie internationale, alors que nous étions au début de la mondialisation avec des moyens de télécommunications archaïques, sans internet et sans téléphone portable. Il alla d'ailleurs jusqu'à racheter le leader mondial des radio-télécommunications militaires. Sa qualité d'entregent était surtout liée à une capacité extraordinaire de se rendre indispensable, d'aller très vite dans l'analyse et la prise de décision, et de s'adapter à toutes les situations. Il savait surtout créer des liens intimes très rapidement avec des inconnus, rendant son relationnel extrêmement diffus avec une vision globale et planétaire.
- Zeghar est pourtant certaines fois défini comme un intermédiaire qui aurait bénéficié de son amitié avec le président Boumediène pour s'enrichir frauduleusement sur le dos de l'Algérie...
Dans un esprit rigoureux et mesuré, aller dans ce sens serait un raccourci facile, ne permettant pas d'analyser en profondeur la complexité du personnage. Nous ne pouvons occulter son sens aigu des affaires et du pouvoir de l'argent, mais nous estimons que cette fortune accumulée n'est que la partie visible de l'iceberg du personnage. Pour lui, l'argent permettait de répondre à certains objectifs, comme de subvenir aux besoins de ses proches, y compris dans le luxe, mais surtout de faire partie intégrante de l'histoire de son pays en étant toujours disposé à apporter sa meilleure contribution.
Des centaines de personnes ont bénéficié de la générosité de Zeghar, chefs d'Etat, ministres, en passant par de simples villageois. Il savait donner, parfois avec des visions à moyen et long termes, mais souvent sans rien attendre en retour. En affaires, il était capable de miser gros et certaines fois de mégoter sur des petites sommes, non pas pour le montant mais sur le principe. Il a pu à certains moments ne pas honorer des engagements en reportant certains règlements, mais il n'a jamais volé personne et encore moins d'une manière délibérée.
Nous pouvons également mettre en exergue sa lucidité sur les hommes, il savait qu'il ne pouvait faire les choses sans une équipe sûre et fiable. Il avait réussi à bâtir cette équipe, mais il a sous-estimé la dynamique du temps. C'était à la fin des années 1970, aube d'une nouvelle époque. Il pensait pouvoir continuer à fonctionner comme dans les années 1960 avec sa double casquette. Mais, malheureusement, le nouveau pouvoir des années 1980 ne pouvait s'accommoder d'un tel homme, car il disposait déjà d'une vraie légitimité historique couplée à une puissance sans précédent dans les affaires.
Lui renouveler ce positionnement double d'homme d'affaires et d'homme d'influence sur les dossiers sensibles aurait démultiplié sa puissance de frappe et donc de nuisance, y compris pour le nouveau pouvoir. Les propos d'un haut cadre, proche du président Chadli, sont éclairants : «Zeghar avait obtenu une place exceptionnelle durant l'ère Boumediène, car il était arrivé à le mettre dans sa poche, alors si on l'avait laissé faire avec Chadli, n'imaginons même pas la suite.» C'est en grande partie dans cette lecture qu'il faut analyser les véritables raisons de l'arrestation de Messaoud Zeghar.
Chadli Bendjedid a délicatement manœuvré en le neutralisant sans porter atteinte à sa vie, alors qu'il aurait pu aisément le faire. Le président Chadli et ses collaborateurs, dont le colonel Kasdi Merbah, se sont appuyés sur l'axe géostratégique que Zeghar avait initié avec des superpuissances, comme les USA, pour renforcer d'une manière indiscutable l'indépendance et le rayonnement de l'Algérie qui était alors à son apogée.
- Quels enseignements avez-vous tiré de l'écriture de ce livre ? De la relation entre la sphère politique et celle des affaires ?
Son action de lobbyiste international au profit de l'Algérie constitue le travail le plus spectaculaire de Messaoud Zeghar durant près de trente années. Ce travail d'influence ne doit pas être négligé, car il avait su créer un réseau d'amis, en particulier aux USA, qui impactait l'indépendance et la préservation des intérêts de son pays. J'estime que l'indépendance de l'Algérie en 1962 et surtout la nationalisation des hydrocarbures en 1971 n'auraient pas pu se réaliser sans heurt si les Américains n'avaient pas cautionné ces décisions révolutionnaires et stratégiques.
Dans ce cadre, je suis convaincu que Zeghar a apporté une contribution certaine pour que son influence soit la plus efficace dans la réalisation de ces bouleversements politiques et économiques. Il faut admettre que la nationalisation des ressources énergétiques algériennes au début des années 1970 fut étonnamment une réussite totale, alors que d'autres pays avaient tenté la même expérience mais avec un échec cuisant, comme ce fut le cas de l'Iran. Rachid Casa (nom de Zeghar pendant la guerre de Libération nationale, ndlr) était arrivé à faire cautionner par les Américains leur non-intervention contre les nationalisations en Algérie.
Précisément, Zeghar, dans le plus grand secret, avait signifié à son réseau américain l'intérêt pour les Etats-Unis de nationaliser les hydrocarbures en Algérie. Le deal conclu officieusement par Zeghar et validé par le président Boumediene était le suivant : vous, première puissance mondiale, vous nous laissez nous réapproprier nos richesses sans heurt et en neutralisant l'ex-puissance coloniale, en contrepartie nous vous donnons des assurances concernant le délogement des compagnies pétrolières de l'ex-puissance coloniale et les garanties de pouvoir participer au projet de développement de l'Algérie, tant en ce qui concerne l'achat d'unités clés en main, que de l'exportation d'hydrocarbures algériens.
L'intérêt pour cet accord officieux dont Zeghar était le représentant personnel du président Boumediène était stratégique pour les Etats-Unis qui attendaient des retombées économiques fortes, mais aussi la neutralisation de l'hégémonie russe en Algérie. Cette mission secrète de lobbying de Messaoud Zeghar aux Etats-Unis n'a été possible que parce que le président Boumediène avait compris très tôt depuis la fin des années 1950, sous la très forte influence de son ami Messaoud, que l'indépendance de l'Algérie serait toujours plus forte si les relations étaient diversifiées, les Russes pour l'armement, les Américains pour les équipements industriels et l'énergie, l'ex-puissance coloniale, la France, pour les produits agro-alimentaires et équipements.
Nous ne pouvons comprendre le génie de cette diplomatie parallèle sans souligner l'influence très forte de Jimmy Oebel père sur Messaoud Zeghar, cet Américain, ancien commandant de l'Oss (ancêtre de la CIA), amitié qui date des années 1950 et qui a renforcé considérablement son analyse géostratégique, en particulier vis-à-vis des Etats-Unis. Le rôle de Messaoud Zeghar dans la diplomatie parallèle est incontestable et il suffit de se reporter aux documents d'archives des Etats-Unis où il est le seul à être présenté comme une des personnes les plus influentes d'Algérie en étant le confident du président Boumediène.
Sur le plan prospectif, grâce à l'histoire de Messaoud Zeghar, les problématiques du business international avec l'Algérie sont révélées et réorientées, en particulier sur la question de l'intermédiation qui gangrène l'économie de ce pays depuis de nombreuses années. L'intermédiation en Algérie représente des sommes colossales, entre 4 et 10 milliards de dollars annuellement, peut et doit être dévoilée au grand public, car si elle se fonde sur des prestations réelles (conseil, assistance, accompagnement), elle est légale et doit participer ouvertement au positionnement des firmes étrangères en Algérie.
A contrario, si cette intermédiation se fonde sur la corruption de hauts fonctionnaires, c'est un cancer pour le pays. Ne pas en parler aujourd'hui, c'est faire perdurer certaines pratiques mafieuses et maintenir en place des filières complètes où des monopoles privés se sont constitués.
- Zeghar est-il une exception dans l'histoire de l'Algérie indépendante ? D'autres Zeghar sont-ils possibles aujourd'hui ?
L'objectif de cet ouvrage est également de remettre les pendules à l'heure afin que la mémoire de l'Algérie ne soit plus fondée sur des mythes, mais sur la vie réelle d'hommes qui ont marqué à jamais l'histoire de leur pays. L'aura des grands hommes réside dans ce lien inexplicable avec les autres. Zeghar dispose de ce lien avec les Algériens. Pourquoi ? Comment ? Finalement, nous ne le savons pas vraiment, mais le lien est étrangement très puissant.
En décembre 2012, j'ai reçu un jeune Algérien pour le conseiller dans des projets à l'international. Après discussion, il me signale qu'il est originaire de la région de Sétif. Je lui précise que je suis en train d'écrire un ouvrage sur un personnage de sa région et d'une manière spontanée il sort de son portefeuille la photo de Messaoud Zeghar, c'est aussi ça le charisme de ce personnage, trente années après sa mort. Les grands entrepreneurs algériens d'aujourd'hui et de demain, dont quelques-uns ont connu Zeghar, doivent s'inspirer de son histoire qui peut les renforcer dans leur patriotisme et leurs contributions au développement de l'Algérie.
Aujourd'hui, en 2015, la question est de savoir ce que l'Algérie peut utiliser de la trajectoire de Zeghar comme un éclairage pour les jeunes générations... Pédagogiquement, je pense que raconter l'histoire de Zeghar aux jeunes peut être utile dans cette approche gagnant-gagnant. De nos jours, beaucoup d'Algériens sont guidés par l'ambition de faire fortune sans patriotisme, voire même en détruisant volontairement les acquis de l'Algérie. Zeghar faisait des affaires avec son pays mais toujours en vrai patriote, en lui renvoyant l'ascenseur pour que l'Algérie soit plus forte et plus indépendante.


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