PARTENARIAT STRAT�GIQUE AVEC LES �TATS-UNIS D�AM�RIQUE �Ni un mal absolu, ni un bien absolu� Entretien r�alis� par Mokhtar Benzaki Le Soir d�Alg�rie : Quelle importance accorder � la dimension humaine, celle des communaut�s �tablies dans l�un et l�autre pays, dans les rapports alg�roam�ricains ? MCM : Pour la communaut� alg�rienne �tablie en Alg�rie, les informations sont indisponibles. Mais cette communaut� doit �tre d�importance num�rique marginale. La communaut� alg�rienne r�sidant aux Etats- Unis d�Am�rique regroupe quelque 30 000 personnes dont seulement 20 000 sont immatricul�es au niveau des services consulaires de l�ambassade d�Alg�rie � Washington. Sch�matiquement, il peut �tre distingu� deux vagues successives d�immigr�s. La premi�re se compose, principalement, de cadres et d��tudiants �tablis aux Etats-Unis o� ils avaient termin� leurs �tudes. La deuxi�me, plus h�t�rog�ne, comporte les �harraga� � �migr�s parvenus clandestinement aux Etats-Unis d�Am�rique � et les b�n�ficiaires de la fameuse loterie organis�e par les services am�ricains de l�immigration. De nombreux �migr�s alg�riens r�sidant aux Etats-Unis d�Am�rique sont originaires d�Arzew, port m�thanier de l�Ouest alg�rien o� ils ont embarqu� clandestinement � bord de navires qui se dirigeaient vers le territoire am�ricain. Les principaux centres r�gionaux d�implantation de la colonie alg�rienne sont le nord-est des Etats-Unis (New York, Boston, Massachusetts) ainsi que le sud-ouest (Californie, Los Angeles et San Francisco). A Chicago, il existe, �galement, de nombreux ressortissants alg�riens qui ont choisi cette r�gion connue pour la production de voitures et qui abrite une forte colonie arabe. L�origine r�gionale des �migr�s alg�riens �tablis aux Etats-Unis d�Am�rique se fait sentir, parfois. A Philadelphie et � Baltimore, par exemple, les Alg�riens originaires de M�d�a pr�dominent. Pour le reste, ce sont des Alg�riens originaires de l�Alg�rois et de la Kabylie qui constituent le plus gros des immigr�s. Les Alg�riens se regroupent, souvent, en associations � caract�re culturel qui activent dans diff�rents domaines comme, par exemple, l��panouissement de la culture berb�re. Les associations qui �voluent sous le couvert de l�ambassade d�Alg�rie et qui pr�sentent un caract�re peu ou prou officiel sont moins dynamiques. Les informations sur la colonie am�ricaine en Alg�rie ne sont pas disponibles et il est difficile de se livrer � une analyse qui rel�verait de la sp�culation. Souvent, les relations alg�ro-am�ricaines ont eu � souffrir de la qualit� des diplomates alg�riens en charge de la mission de repr�sentation � Washington. Vous pensez, vraiment, que le choix des ambassadeurs alg�riens � Washington est l��l�ment d�terminant dans le cours des relations alg�ro-am�ricaines ? D�abord, il faut relativiser, tout de m�me, le r�le des ambassadeurs. Ils ne pourront, jamais, � eux seuls, suppl�er aux graves dysfonctionnements de l�appareil diplomatique lorsqu�ils se produisent. Ensuite, l�Alg�rie a d�p�ch� � Washington de brillants ambassadeurs parmi lesquels MM. Ch�rif Guellal, Redha Malek, Layachi Yaker et Mohamed Sahnoun qui sont des diplomates chevronn�s. Pour aussi brillants que furent les diplomates alg�riens, cependant, la diplomatie alg�rienne a connu des carences. Ces carences �taient r�sorb�es par l�intervention de m�diateurs, des facilitateurs non institutionnels. Sous le pr�sident Houari Boumedi�ne, c��tait l�homme d�affaires, Messaoud Zeggar, qui �tait � la t�che. Il �tait second� par Ch�rif Guellal, premier ambassadeur � Washington, devenu figure marquante de la jet society am�ricaine. Apr�s la rupture des relations diplomatiques entre l�Alg�rie et les Etats-Unis, Ch�rif Guellal devint le repr�sentant de Sonatrach � Washington formant un duo parfait avec Messaoud Zeggar. Sous le pr�sident Chadli Bendjedid, c��tait l�homme d�affaires libyen Omar Yahia qui assurait cette m�diation. Tr�s li� � l�ancien pr�sident Bush, auparavant directeur de la CIA, Omar Yahia concentra son r�le d�interface � la pr�sidence de la R�publique et au minist�re de la D�fense nationale, accessoirement, aux services de renseignement. Aucune personnalit�, sous la pr�sidence de M. Abdelaziz Bouteflika, n�a assum� cette t�che, sauf � consid�rer que l�ancien ministre de l�Energie, M. Chakib Khellil, jouait ce r�le, de facto, en raison de son carnet d�adresses dans les milieux p�troliers am�ricains. Nous n�avons pas eu � �voquer jusqu�ici le mode de fonctionnement de l�appareil diplomatique alg�rien. Comment se comporte-t-il � l��preuve de ses rapports aux Etats-Unis d�Am�rique ? Par del� sa d�marche vis-�-vis du partenaire essentiel que sont les Etats-Unis d�Am�rique, la diplomatie alg�rienne est en crise. C�est une �vidence. Une crise � plusieurs dimensions. Premi�rement, une dimension doctrinale. La diplomatie alg�rienne n�a jamais proc�d� � l�actualisation de son corpus conceptuel pour l�adapter aux r�alit�s du monde moderne marqu�es par la mondialisation des rapports internationaux et l��mergence d�un p�le de puissance principal domin� par les Etats-Unis d�Am�rique. Ce nouveau contexte condamne-t-il l�Alg�rie � se couper des rep�res qui constituent le socle de son ancrage traditionnel, l�Afrique et le Proche-Orient ? Erreur fatale, m�me si un p�le de puissance h�g�monique s�est impos�, que d�ignorer son environnement vital imm�diat au profit d�une aspiration illusoire, vouloir, directement, trouver place aupr�s des grandes puissances. Il importe, en effet, que la diplomatie alg�rienne subisse son aggiornamento. Il s�agit, selon l�heureuse formule d�un �minent diplomate alg�rien, �de d�gager une vision et une strat�gie, de d�finir des objectifs et de s�assurer, subs�quemment, des moyens n�cessaires ainsi que des modes op�ratoires utiles�. Faut-il souligner que l�aggiornamento souhait� doit faire l�objet de la plus large concertation possible ? Que la doctrine diplomatique qui doit en r�sulter devrait reposer sur le consensus national le plus �tendu ? Cela rel�ve de l��vidence ! Deuxi�mement, la crise de la diplomatie alg�rienne comporte une dimension pratique relative au mode op�ratoire en usage. C�est un mode op�ratoire anachronique et d�suet. Il y a eu la tentative de feu Mohamed Seddik Benyahia lorsqu�il �tait ministre des Affaires �trang�res qui souhaitait d�finir un profil de formation et un profil de carri�re � l�usage du corps diplomatique. Il voulait parvenir � former des cadres diplomatiques dynamiques et performants. Confront�, d�embl�e, � la trop forte empreinte r�gionaliste dans la ressource humaine l�gu�e par son pr�d�cesseur, il fut trahi par le destin � travers sa mort soudaine. Le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi qui lui succ�da a favoris�, incontestablement, le rajeunissement du corps diplomatique alg�rien. C�est � son initiative que les jeunes �narques ont acc�d�, pour la premi�re fois, � de vrais postes de responsabilit� diplomatique. Dans l�ensemble, cependant, le minist�re des Affaires �trang�res n�a pas connu cette v�ritable refonte organique qui continue de lui faire d�faut. Son mode de fonctionnement est, totalement, inadapt� au regard des nouveaux d�fis diplomatiques qui interpellent le pays. Qu�il s�agisse de formation, de gestion de la ressource humaine ou de dynamisation op�rationnelle des structures diplomatiques, le dysfonctionnement est g�n�ral. Le dispositif diplomatique op�rationnel dans les pays d�accr�ditation constitue, le plus souvent, une excroissance administrative avec des cadres d�munis de marge de man�uvre. M�me s�ils venaient � disposer de potentiel intellectuel et d�exp�rience professionnelle v�rifi�s, ces cadres sont condamn�s � l�inaction. Prenons, pour exemple, l�ambassade d�Alg�rie aux Etats- Unis d�Am�rique pr�cis�ment. Son bilan ne saurait �tre ramen� aux mondanit�s dans les salons feutr�s de Washington, c�est entendu. Il devrait se rapporter aux contacts r�p�t�s et dynamiques avec les think tanks et les groupes de pression qui influent sur le processus de prise de d�cision diplomatique dans le pays d�accr�ditation. Mais, il faut justice rendre. Ce n�est pas l�ambassadeur en poste qui est, personnellement, responsable du profil bas de la repr�sentation diplomatique alg�rienne � Washington. Juste � titre d�exemple, indiquons qu�il vient de se voir affecter des collaborateurs arabophones qui mettront deux ans pour apprendre les rudiments de l�anglais. Il ne dispose, par ailleurs, d�aucune r�elle latitude pour prendre langue avec des interlocuteurs am�ricains hors le d�partement d�Etat. Il doit r�f�rer, syst�matiquement, au minist�re des Affaires �trang�res � Alger pour toute initiative. Le minist�re des Affaires �trang�res, lui-m�me, se limite � r�percuter les sollicitations aux services de la pr�sidence de la R�publique. Il en r�sulte une l�thargie qui rend inefficiente l�activit� diplomatique alg�rienne. Comment devraient proc�der les pouvoirs publics en Alg�rie pour mener � bonne fin l�aggiornamento de la diplomatie que vous appelez de vos v�ux ? Question pertinente. En fait, l� o� il semble que l�Alg�rie a remport� quelque succ�s, c�est plus le r�sultat de la ruse que la finalit� d�une vraie d�marche conceptuelle. Une telle d�marche implique la synergie de l�effort intellectuel de toutes les composantes de l��lite alg�rienne, � l�universit�, dans l�arm�e et les services de renseignement, au sein de l�appareil diplomatique et de son environnement gouvernemental et administratif, mais aussi dans la constellation de centres de r�flexion qui devraient tenir le haut du pav�, comme cela est le cas des pays qui ont vocation � �tre de vraies puissances r�gionales, je pense � la Turquie ou � la Malaisie. J�ai toujours �t� �tonn� que le pr�sident Abdelaziz Bouteflika ,apparemment soucieux d�apposer son nom au panth�on de l�Histoire, persiste � entretenir des sentiments de m�pris vis-�-vis de tous les Alg�riens capables de r�fl�chir et impr�gn�s de la n�cessit� du d�bat contradictoire. Le pr�sident Abdelaziz Bouteflika qui admirerait Napol�on Bonaparte gagnerait, � cet endroit, � s�en inspirer : �Il n�y a que deux puissances au monde : le sabre et l�esprit. A la longue, le sabre est toujours vaincu par l�esprit.� Actuellement, les grandes d�cisions diplomatiques se prennent � l�aune des humeurs du chef de l�Etat pas sur la base d�un �tat des lieux circonstanci� accompagn� de variantes de d�cision suivies de leurs r�percussions probables pour le pays. Vous avez bien raison d�insister sur l�aggiornamento de la diplomatie alg�rienne. Il para�t impossible de l�envisager alors que la gouvernance publique, dans sa globalit�, est d�ficiente. Revenons, justement, au processus de prise de d�cision diplomatique en Alg�rie pour vous convaincre que la th�rapeutique, facile � prescrire, est difficile � administrer. Par del� les anomalies av�r�es en mati�re de recrutement, de formation et de gestion de la ressource humaine en termes de cadres diplomatiques, par del� les carences dans les proc�dures d��valuation conceptuelles ou op�ratoires des situations diplomatiques, c�est le modus operandi de l�appareil diplomatique qui est en cause. Naviguant � vue, cet appareil diplomatique, � l�image d�un navire perdu, vogue sans capitaine � bord. Tous les leviers diplomatiques sont rassembl�s entre les mains du pr�sident de la R�publique lequel ne d�l�gue rien en mati�re diplomatique. Le ministre des Affaires �trang�res est un simple fond� de pouvoir. Le minist�re des Affaires �trang�res, lui-m�me, ne peut gu�re assumer son r�le d�arbitrage diplomatique car il a �t� d�poss�d� de tout pouvoir de v�ritable concertation avec les minist�res ou institutions concern�es par la gestion des relations internationales, notamment les minist�res de souverainet� et les services de renseignement. Ce sont, �videmment, moins les hommes qui animent l�appareil diplomatique qui sont en cause que le propre mode de fonctionnement de l�appareil. Il existe une pl�iade de diplomates alg�riens dont le potentiel intellectuel, l�expertise professionnelle et la conviction patriotique forcent l�admiration. H�las, leurs mains sont li�es tout comme celles de leur ministre. Il manque, sans doute, � ces diplomates la dose de courage qui anime les hommes d�exception. Ils sont rares, dans l�histoire universelle, les diplomates d�exception qui se sont distingu�s par leur courage. Il nous faudra, assur�ment, m�diter la le�on de cynisme l�gu�e par Talleyrand, l�in�narrable diplomate de Napol�on : �La parole a �t� donn�e � l�homme pour d�guiser sa pens�e.�